L'heure des vacances a sonné et beaucoup de vacanciers se sont déjà jetés à la mer en Normandie. Et l'eau est étonnamment bonne avec un à deux degrés de plus que l'année précédente. Une bonne nouvelle pour les vacanciers mais pas forcément pour l'écosystème.
Le soleil, le sable et la mer. Pendant que certains s'adonnent à la bronzette sur la plage de Cabourg (Calvados) ou jouent à la raquette, d'autres préfèrent se jeter à l'eau... Et surprise, ils n'hésitent pas une seconde !
Un touriste qui n'avait encore jamais mis les pieds en Normandie durant l'été nous confie : "Pour une première, c'est clairement correct ! La température est agréable". Un peu plus loin, une Normande fait le même constat : "Elle est plutôt bonne pour la Normandie, pas froide, c'est facile de rentrer dedans, c'est nickel". Une autre ajoute : "On constate d'année en année que ça se réchauffe et qu'on peut y rentrer de plus en plus tôt c'est sûr".
1°C à 2°C de plus que l'année dernière
C'est aussi ce que remarque Antoine Bulléryal. Il est sauveteur et mesure la température de l'eau tous les jours : "À 150 mètres, je l'ai prise à 21,1°C". Un geste qu'il fait tous les étés sur les plages normandes depuis dix ans : "Il y a quelques années, on était sur des températures en début de saison autour de 17,18°C, là on commence dès 20°C parfois, alors oui, l'eau est de plus en plus chaude" ajoute ce dernier.
L'eau est en moyenne à 18°C en ce début d'été, selon Météo France, c'est un à deux degrés de plus que ces 20 dernières années. Parmi les explications, un mois de juin particulièrement chaud dans la région et l'absence de vent qui vient refroidir la mer : "Ça peut préfigurer les étés du futur, d'ici quelques décennies. Avec le réchauffement climatique, si l'air est plus chaud, l'eau sera également forcément plus chaude. On peut s'attendre à + 2, + 3 degrés dans l'air d'ici 2050" explique Franck Baraer, climatologue à Météo France.
Des conséquences sur la vie sous-marine
Si l'eau chaude fait le bonheur des vacanciers, elle peut avoir des conséquences sur la mer et son écosystème. Pour Pascal Claquin, responsable de la station marine de Luc-sur-Mer, le Centre de recherches en environnement côtier (CREC) à l'université de Caen Normandie, la hausse des températures de l'eau n'est ni inattendue, ni remarquable. C'est d'ailleurs un refroidissement qui serait même surprenant pour ce dernier. En effet, depuis quelques années, le CREC fait des relevés tous les quinze jours dans le cadre d'un protocole national et enregistre des trajectoires de courbes de températures de la mer qui sont croissantes.
À la station marine, les chercheurs suivent notamment le phytoplancton (l’ensemble des cyanobactéries et microalgues végétales présentes dans les eaux de surface et qui dérivent au gré des courants et qui est à la base de toute vie sous-marine). Et les conséquences du réchauffement de l'eau sont là : "Il est délicat d’isoler les effets de la température sur l’écosystème côtier. Les espèces qui vivent le long de la côte sont soumises à plusieurs pressions dont la température". Mais en Normandie, les espèces sont habituées aux changements de températures selon le chercheur :
"Dans la région, les organismes sont habitués à subir des variations de température puisque dans nos baies, les eaux sont plus chaudes en été en raison de l’apport des eaux venues du continent. La baie de Seine par exemple présente des profondeurs faibles et ça se réchauffe donc plus vite l’été. En hiver, à l’inverse, les fleuves refroidissent l’eau de la mer sur les côtes. En Normandie les organismes sont donc plus habitués à vivre des écarts de températures qu’en Bretagne"
Pascal ClaquinResponsable de la station marine de Luc-sur-Mer, CREC de l'université Caen Normandie
Les températures de l'air qui se réchauffent ont également un impact sur la vie sous-marine : "Ça a un impact sur le débit des fleuves : celui de la Seine ralentit l’été, donc les apports en eau douce mais aussi en éléments tels que l’azote ou le nitrate évoluent. Les algues se nourrissent de ces éléments mais aussi le phytoplancton (des microalgues) et le zooplancton (plancton animal) qui sont à la base de la chaîne alimentaire de la vie sous-marine". Si la composition du phyto et du zooplancton évolue, c’est un facteur tout aussi important que la température de l’eau, il y a un phénomène de synergie.
Le chercheur explique qu'en Méditerranée, le réchauffement de l'eau a eu des conséquences :
"On a déjà observé dans le système méditerranéen une diminution de la taille des poissons. En effet la température de l’eau s’est réchauffée. Il va falloir comprendre les différentes interactions. Chez nous en Normandie, on n’a pas constaté ce phénomène »
Pascal ClaquinResponsable de la station marine de Luc-sur-Mer, CREC de l'université Caen Normandie
Avec le changement de températures, les chercheurs en France s’intéressent aussi à l’acclimatation et à l’adaptation des espèces : "L’acclimatation peut aller vite : quand il fait très chaud, on supporte la chaleur même si on en souffre mais il peut y avoir une limite de tolérance des espèces. L’adaptation ou le changement du patrimoine génétique pour survivre prend beaucoup plus de temps. Et vu la rapidité des changements en cours, cette adaptation peut poser question" ajoute Pascal Claquin.
Au fil de l'été, le thermomètre aquatique risque de continuer de grimper. Depuis deux mois déjà, à l'échelle de la planète, la température moyenne de l'eau a atteint un niveau record jamais enregistré.