Antisémitisme, demande de cessez-le-feu par l'ONU pour Gaza : trois questions à la rabbin Delphine Horvilleur

Dans le cadre des ateliers de réflexion pour la revue Tenou’a, la rabbin Delphine Horvilleur était à Rouen ce mardi 26 mars 2024. Pendant deux heures, elle a échangé avec le public sur le thème de la haine et le rapport entre l'utilisation du langage et le surgissement de celle-ci. À cette occasion, nous avons pu la rencontrer.

Un peu plus de 200 personnes s'étaient réunies à l’historial Jeanne d’Arc de Rouen pour la venue de la rabbin Delphine Horvilleur. Invitée dans le cadre de ses ateliers Tenou'a, elle devait initialement échanger sur le thème de Pourim et plus particulièrement en quoi se déguisent nos haines ? Mais finalement elle a choisi de débattre sur le dialogue : de quelle manière notre façon de parler est une entrave à la possibilité d'une conversation avec l'autre?

Avant d'échanger pendant deux heures avec le public, la rabbin a visité la Maison Sublime située sous le palais de Justice de Rouen.

Le hasard du calendrier a voulu que les trois religions monothéistes partagent au même moment des fêtes incontournables dans leurs pratiques à savoir le Ramadan chez les musulmans, Pourim chez les juifs et la semaine Sainte chez les chrétiens.

Dans ce contexte, la rabbin Delphine Horvilleur a choisi d'échanger avec le public sur le dialogue.

Elle officie au sein du Judaïsme en Mouvement et dirige la rédaction de la revue d’art, de pensée et de créativité juive Tenou’a depuis 2009. Dans le cadre de ce laboratoire d’échange religieux et philosophique, elle anime tous les mois à Paris des ateliers sur différents thèmes. Nous lui avons posé quelques questions avant le début de ses échanges avec le public.

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Tenou'a (@tenoua)

Quel est l’esprit des ateliers Tenou’a ?

Delphine Horvilleur : Lors de ces ateliers, basée sur une méthode juive traditionnelle et ouverte à tous, on se penche sur des textes. On réfléchit à la façon dont ils peuvent être interprétés et réinterprétés. De quelle manière l'exploration de nos héritages, nous permet de penser à des situations contemporaines.

Dans l'histoire, beaucoup de penseurs nourris de traditions religieuses cherchaient à apporter du savoir ou de la réflexion un peu partout. J'essaye surtout de répondre à une demande de personnes qui ont envie d'étudier, d'apprendre, de réfléchir dans un temps ou cela me paraît plus important que jamais. On fait souvent des raccourcis. On n'étudie pas les textes ou n'interprète pas les textes de nos vies en général. Même les textes de l'actualité, on fonctionne à coups de slogans, on ne cherche pas la complexité, la subtilité, notamment sur les réseaux sociaux. On est toujours en train de faire des raccourcis, on ne grandit pas en nuance.

Il faut faire attention avec les textes, on peut leur faire dire n'importe quoi. C'est vrai aussi avec l'Evangile, avec le Coran. À coups de versets, on peut lui faire dire ce qu'on veut, le manipuler. On peut utiliser les textes pour leur faire dire des choses grandes ou médiocres, pour devenir des gens plus intelligents ou au contraire plus rabougris. Il y a toujours un enjeu de bonne foi et de réflexion sur les textes qui peuvent faire de nous des gens qui pensent avec un peu plus de subtilité.

Que penser de la montée de l’antisémitisme en France ?

Delphine Horvilleur  : Cette montée de l'antisémitisme est une réalité depuis des années. On pourrait même dire que c'est une réalité éternelle, car l'antisémitisme n'a jamais disparu. Mais il est croissant depuis quelques années et je tiens à dire qu'il ne m'inquiète pas en tant que juive, mais il m'inquiète en tant que citoyenne.

L'antisémitisme ne raconte jamais rien des juifs, il raconte tout de la société qui le tolère, qui l'encourage, qui le nourrit. On reproche toujours aux juifs quelque chose qu'on n’est pas prêt à assumer en soi. On leur reproche quelque chose qu'on aimerait bien avoir, de savoir quelque chose qu'on aimerait bien savoir. Il y a une forme de jalousie étrange quand on l'explore, ça raconte toujours une faille morale d'une société.

Quand tout à coup, on n'est plus capable de prendre une responsabilité, on va rejeter sur celui qu'on considère comme un bouc émissaire quelque chose dont il serait responsable. Ce n'est pas la seule haine dans notre société. On le sait, il y a des discriminations à l'égard de plein de gens. Il y a du racisme, de la haine de l'autre qui prend plein de formes. L'antisémitisme est une de ces haines, mais elle a un visage un peu particulier.

L’ONU a-t-elle raison de réclamer un cessez-le-feu à Gaza pendant le Ramadan ?

Delphine Horvilleur : Tout le monde veut un cessez-le-feu ! Ça serait absurde de dire qu'il y a des gens qui ne veulent pas. Là où il y a un désaccord, c'est sur les conditions actuelles. Depuis des mois, j'appelle à un cessez-le-feu, mais on ne peut pas le déconnecter de la libération immédiate des otages. Plus de 130 personnes sont retenues pas le Hamas, c'est comme cela que tout a commencé.

Le feu doit cesser, la crise humanitaire doit trouver un terme, les Palestiniens ont droit à la paix tout comme les Israëliens. Ces deux populations sont dans une situation et un deuil terrible. Au sein de la population israélienne, il y a des contestations fortes et beaucoup de gens se demandent jusqu'où doit aller cette opération militaire. Des gens contestent depuis très longtemps la politique de Benjamin Netanyahou. Mais à des milliers de kilomètres, il faut prendre en compte la complexité de cette situation.

Qu'est-ce qui permet d'aller demain vers une situation de paix ? Il ne faut pas se représenter le conflit de façon caricaturale et simplifiée, ça serait si simple qu'il y ait des gentils, des méchants, des forts et des faibles. On le sait, c'est beaucoup plus compliqué que cela. La force militaire israélienne est ce qu'elle est. De la même manière que la décision du passage à l'acte du Hamas le 7 octobre a été ce qu'il a été. On ne peut pas simplifier les positions des uns et des autres. Je déplore qu'aujourd'hui chez beaucoup de nos concitoyens, il y ait une fâcheuse tendance à jeter de l'huile sur le feu, à caricaturer, à simplifier dans une méconnaissance historique de ce conflit. Je me pose la question de comment, par nos actions et notre langage, on peut faire venir la paix et ne pas nous être acteurs de cette guerre à distance.

 

L'actualité "International" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Normandie
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité