Manque de formation médicale et surtout déficit de communication avec la presse, c'est ce que montrait le reportage de France 3 Normandie dans l'entreprise Lubrizol lors d'un exercice incendie en 1997. Flashback...
Alors que l'usine Lubrizol de Rouen a été le théâtre d'un important incendie dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, nous avons retrouvé cette archive, un reportage de France 3 Normandie qui soulignait il y a un peu plus de 20 ans déjà des progrès nécessaires pour l'entreprise en termes de sécurité... et de communication.
Lubrizol à l'épreuve du feu... en 1997
Flashback. 11 septembre 1997. Lubrizol effectue un vaste exercice incendie sur son site de Rouen, en Seine-Maritime.Depuis nos studios de l'antenne de France 3 Haute-Normandie à Saint-Sever, le présentateur François Verly, annonçait ainsi :
Lubrizol à l'épreuve du feu... Aujourd'hui il ne s'agissait que d'un exercice d'incendie. Un test réel un peu inhabituel pour l'entreprise chimique rouennaise puisque pour faire croire à un véritable accident, le personnel n'était pas dans la confidence... Apparemment le résultat est concluant : le feu -c'est important- a été maîtrisé... reste à peaufiner la stratégie de communication avec les médias.
Dans le reportage on apprend qu'une fois le feu maîtrisé, le nuage toxique a été confiné sous un rideau d'eau. "Chez Lubrizol, la sécurité est un souci permanent" constate dans son reportage le journaliste Thierry Bercault, qui pointe toutefois "un manque de formation médicale pour déterminer l'importance des blessures".
Frédéric Henry le PDG de Lubrizol France était alors directeur des opérations internes. Il reconnaissait un problème dans la communication avec les médias.
Ce qu'on a retenu au niveau de la presse, c'est que c'est très bien de les accueillir, comme on le fait, que c'était bien organisé. Mais il faut donner beaucoup plus d'informations, de manière régulière et ne pas attendre une heure, une heure trente avant de donner une première information digne de ce nom".
Frédéric Henry le PDG de Lubrizol France
"Le personnel est entraîné très régulièrement, tous les mois, surtout les équipes d'intervention, de même que les équipes d'encadrement qui sont amenées à intervenir, à prendre un rôle dans les postes de commandement en cas de crise ou des déclenchements de POI (Plan d'Opération Interne)", explique Maurice Olivier, directeur de l'usine en 1997.
Après la fuite de gaz de 2013 de l’usine Lubrizol de Rouen, qui avait incommodé toute la vallée de la Seine jusqu'en Angleterre avec une forte odeur de Mercaptan, l’information des habitants en cas d’alerte dans une usine Seveso a été rapidement un sujet de préoccupations. Nous avions à l'époque évoqué un système d’alerte en temps réel des habitants mis en place à Gonfreville-l’Orcher, baptisé AlertBox.
22 ans plus tard, la communication fait toujours polémique
Le 26 septembre 2019 à 2h40 du matin, l'incendie est bien réel cette fois. Après la période de sidération face à l'ampleur de cette catastrophe industrielle, les voix se sont vite élevées pour dénoncer un manque d'information et de communication de la part des autorités et du géant de la chimie. A commencer par la nuit de l'événement. Les riverains directs de l'usine, ceux qui habitent à 10 mètres à peine de Lubrizol vivent depuis dans l'angoisse et sont en colère...Personne n'est venu... On est à 15 mètres de l'usine ! Si on ne s'était pas réveillé nous-même et que ça avait pris feu dans l'autre sens, je ne sais pas où on serait !
Critiques des systèmes d'alarme inefficaces, discours peu clair des autorités, les citoyens se sont sentis délaissés. Avec pour résultat une vraie fracture entre le questionnement des habitants et le discours des politiques. Et au même moment... les patrons de Lubrizol restaient muets. Seule parole au lendemain du drame : "J'ai de l'empathie pour les habitants". Parole du même Frédéric Henry de 1997.Personne ne nous a prévenus, on n'a pas eu d'alarme...
À trois heures et demie, ils nous ont dit "Restez chez vous ça va bien se passer". C'était avant les grosses explosions...
Le président de #Lubrizol France Frederic Henry : « j’ai de l’empathie pour les habitants au vu de l’ampleur de l’incendie, je peux comprendre leurs craintes »
— France 3 Normandie (@f3htenormandie) September 27, 2019
Les salariés aussi pointés du doigt
Dix jours après le drame, nous recevons sur le plateau de France 3 Normandie, Francis Malandain, représentant du personnel et salarié depuis 31 ans sur le site rouennais de Lubrizol. Il revient sur les agressions dont les employés de l'usine et leurs familles se disent victimes depuis le 26 septembre."Nous sommes soulagés qu’il n’y ait eu aucune victime. Nous félicitons l’action de nos collègues et de l’ensemble des intervenants (pompiers, forces de l’ordre, confrères…) qui ont réussi à contenir l’incendie aux zones de stockage et à sauver notre outil industriel", explique-t-il en direct, précisant que "nous sommes fiers de la mobilisation de nos collègues dans la gestion de cette crise 24 heures sur 24 depuis le début de l’incendie."
Répondant aux questions de Frédéric Nicolas, Francis Malandin souligne le choc des salariés face à ce à quoi ils sont confrontés eux même ainsi que leur famille depuis l'incendie.
Aujourd'hui, des salariés, des conjoints, des enfants dans les cours d'école sont agressés. C'est insupportable d'en arriver là. Nous partageons bien évidemment le traumatisme de la communauté mais comprenez bien que ce "lubrizol bashing" sur les réseaux sociaux qui conduit à ça, c'est insupportable. Nous sommes des êtres humains. Le temps de la raison est arrivé.
Au regard des échanges avec nos collègues qui sont intervenus cette nuit-là, nous n’arrivons pas à nous expliquer le départ de cet incendie. Les moyens mis en oeuvre, les contrôles réguliers des autorités, la formation et l’implication permanente des salariés sur le terrain démontrent que la sécurité est un pilier de notre culture d’entreprise. De ce fait, nous ressentons un fort sentiment d’injustice.
Francis Malandain, représentant du personnel de Lubrizol
Le 12 octobre 2019, une troisième manifestation était organisée à Rouen pour obtenir la vérité sur le dossier Lubrizol. L'opération Transparence et dialogue du 11 octobre avec la venue de trois ministres n'aura pas convaincu les participants. Ils étaient environ 1500 à défiler avec le slogan "Lubrizol coupable. Etat complice".
Non seulement la pollution, on ne sait pas ce qu'elle fera dans vingt ans. Et en plus, au niveau de la sécurité de l'industrie, on voit aujourd'hui comment l'Etat réagit, c'est-à-dire de manière minimale. Et il s'alerte quand les populations décident de se lever"
Un manifestant rouennais