Depuis 2006, les bénévoles de l'association rouennaise Arami participent à l'inhumation des personnes indigentes, mortes dans la solitude. Mardi 1er novembre 2022, au cimetière de l'Ouest, ils rendaient hommage aux 46 personnes isolées décédées au cours de l'année écoulée.
Le Jardin de la mémoire. Ce nom n'a rien d'anodin. Il désigne un secteur bien particulier du cimetière de l'Ouest, à Rouen, en Seine-Maritime : celui où sont enterrées les personnes isolées, décédées dans la solitude. Depuis 2006, des inhumations y sont régulièrement organisées par l'Arami (Association rouennaise pour l'adieu aux morts isolés).
Ce mardi de la Toussaint, des bénévoles de l'association ont rendu hommage aux 46 personnes mortes dans ces conditions depuis le 1er novembre 2021. Parmi elles, on trouve des sans-abri, des malades qui meurent seuls à l'hôpital, et des personnes sans famille ou abandonnées par leurs proches.
"Même si on ne les connaît pas, on sait quand même que ce sont des gens qui ont eu une vie aussi et qui ne méritent pas de partir tout seul. Je suis très sensible en plus, il y a des moments où je pleure un peu…", confie Dominique Lasnez, présidente de l'Arami depuis 2019.
"Chaque être humain a droit à la dignité"
Dominique aime les gens. À 74 ans, elle emmène des personnes handicapées à Lourdes, et aide les hommes et les femmes dans la rue. "Je fais du Samu social, je fais les maraudes. J'ai fait la maraude cette nuit, je suis rentrée chez moi ce matin à 3h. Il y a deux ans, j'en ai trouvé deux en faisant la maraude un lundi soir. L'un était dans le coma et l'autre était mort depuis plusieurs heures. Tout le monde était passé à côté et personne ne s'était aperçu de quoi que ce soit", s'émeut-elle.
L'association réalise parfois jusqu'à trois inhumations dans la semaine mais peut aussi passer deux mois sans en faire. Marie-Agnès Bigot fait partie de la dizaine de bénévoles qui accompagnent les personnes indigentes jusqu'à leur dernière demeure. Assistante sociale en milieu hospitalier pendant 39 ans, elle s'est longtemps occupée d'organiser les obsèques des personnes isolées qui mouraient à l'hôpital. "Chaque être humain a droit à la dignité, de son vivant et au moment de sa mort", souligne-t-elle.
Si toutes les inhumations auxquelles elle a assisté l'ont marquée, "les histoires sont plus ou moins douloureuses", reconnaît Marie-Agnès. Elle se souvient notamment avec émotions des quelques enterrements de bébés issus de familles migrantes.
Une personne retrouvée six mois après son décès
Membre de l'association depuis 13 ans, elle constate aussi un isolement social de plus en plus préoccupant. "Au départ, cette association était principalement pour les personnes à la rue qui n'étaient pas accompagnées. Puis petit à petit, il y a eu des foyers d'hébergement, des associations… Lorsqu'ils sont en foyer, ils sont très bien accompagnés par les organisateurs et nous faisons ensemble les inhumations", observe Marie-Agnès.
Il est arrivé qu'une personne soit retrouvée seulement six mois après son décès. C'est ça qui nous choque le plus mais qui nous convainc de continuer à faire notre activité.
Marie-Agnès Bigot, secrétaire de l'Arami
Mais sur les 46 personnes enterrées cette année, "16 personnes sont parties de façon complètement isolée", s'indigne-t-elle. "Tout le monde ignore qui ils sont dans leur appartement, y compris quelquefois leurs voisins. Il est arrivé qu'une personne soit retrouvée seulement six mois après son décès. C'est ça qui nous choque le plus mais qui nous convainc de continuer à faire notre activité", appuie la secrétaire de l'association.
655 personnes inhumées depuis 2006
Suzanne, 91 ans, José, 46 ans… Durant l'hommage au cimetière de l'Ouest mardi matin, Marie-Agnès énumère les noms et les âges des personnes indigentes inhumées sur l'année écoulée. "Nous sommes de plus en plus sollicités par les Ehpad et les maisons de retraite qui ne veulent pas voir partir les personnes complètement seules, et nous le faisons volontiers", note-t-elle.
"On ne refuse absolument rien parce que c'est très important d'accompagner la personne qui vient de mourir et qui est vraiment seule. Je ne supporterais pas que la personne aille dans un trou sans qu'il y ait quelqu'un à côté, ce n'est pas possible", lance Dominique.
Depuis la création de l'association en 2006, 655 personnes ont été inhumées au Jardin de la mémoire.