Nous sommes en 1857. Gustave Flaubert vient de publier son tout premier roman, "Madame Bovary", après plus de 4 ans de travail acharné. Plutôt que des louanges, ce livre lui vaut d’abord une comparution devant la 6ème chambre correctionnelle de la Seine pour "outrage à la morale publique, religieuse et aux bonnes mœurs". C’est un délit. Passible d’un an de prison et d’une forte amende sous ce début de Second Empire où la censure fait loi. Installez-vous là, face au banc de l’accusé… le procès va commencer.
Face à Flaubert, le procureur impérial Ernest Pinard. Cet homme d’une trentaine d’années est un ambitieux, soucieux de plaire au régime de Napoléon III. Mais il est aussi passionné de littérature.
Le procureur Pinard est un personnage très intéressant. (…) C’est un très bon lecteur, capable de faire le tri. Il fait 3 procès en 1857 : il attaque « Madame Bovary », « Les Fleurs du Mal » et « Les Mystères du peuple » d’Eugène Sue. Trois chefs d’œuvre, alors qu’il y a beaucoup de livres qui paraissent. « Madame Bovary », c’est un chef d’œuvre, écrit par un génie littéraire. Pinard sait que c’est un grand livre et que par conséquent c’est un livre dangereux.
Emmanuel Pierrat, avocatExtrait de « L’affaire Bovary » de Stéphane Miquel et Alban Vian
Vous l’aurez compris, le docu-fiction « L’affaire Bovary » vous fait revivre le procès de Gustave Flaubert comme si vous y étiez, par un habile mélange de fiction et de documentaire.
On voulait montrer ce procès et ça passait forcément par des acteurs, par de la fiction. Mais leurs mots sont vraiment ceux utilisés à l’époque, conservés par Flaubert.
Stéphane Miquel, scénariste et co-réalisateur de « L’affaire Bovary »
Il y a même une partie animée, pour évoquer le contenu du livre lui-même, magnifiquement réalisée par Hélène Moinerie, de l’école des arts graphiques animés Lanimea de Caudebec-lès-Elbeuf. Par exemple, cet extrait résumant l'intrigue du livre :
Chef-d’œuvre classique, histoire moderne
J’avais une revanche à prendre sur « Madame Bovary ». Je l’ai étudié à l’école, comme tout le monde, et elle m’a beaucoup fait souffrir. J’avais senti quelque chose de beau dans l’écriture mais je n’avais rien compris au sous-texte. Je l’ai relu, plus tard. Et ça m’a ébloui.
Stéphane Miquel, scénariste et co-réalisateur de « L’affaire Bovary »
C’est une histoire qui résonne encore aujourd’hui, notamment sur la place qu’on accorde à la femme dans la société. En cela, elle est profondément moderne.
Alban Vian, co-réalisateur de « L’affaire Bovary »
Au Second Empire, les lectrices sont particulièrement surveillées. Emma Bovary est d’ailleurs l’incarnation même de ces jeunes femmes dans les mains desquelles le livre de Flaubert peut tomber. Des âmes sensibles, impressionnables, pour qui ce roman pourrait constituer une « incitation à la débauche »… Cet extrait du documentaire l’illustre parfaitement :
Emmanuel Pierrat, avocat :
- A partir du moment où Emma sort du champ, du rôle qu’on lui a assigné socialement… A partir du moment où elle s’émancipe, elle met par terre la société, la paix sociale, l’image idyllique que le Second Empire voudrait avoir des familles.
Gisèle Sapiro, sociologue :
- Et c’est aussi faire advenir son point de vue dans l’espace public. Un point de vue qui n’était pas représenté. Bien sûr, il y a quelque chose de désuet et d’ironique dans la manière de le représenter mais son désir tout d’un coup est présent dans l’espace social. Le désir féminin c’était sans doute ce qui était le plus tabou et ça l’est resté pendant très longtemps, on se demande même s’il ne l’est pas encore.
Jacques Weber, comédien :
- Madame Bovary, c’est une femme qui dit je m’emmerde donc je baise.
Donc en mettant dans son premier roman une héroïne, une femme qui parle au lecteur et dont le lecteur suit l’histoire et peut s’identifier, c’est un acte qui est… peut-être pas féministe mais en tout cas très audacieux.
Emmanuel Pierrat, avocatExtrait de « L’affaire Bovary » de Stéphane Miquel et Alban Vian
Jugé pour ne pas avoir jugé Emma
Que reproche-t-on à Flaubert au fond ? Au-delà de la couleur « lascive » du roman et de la « beauté de provocation » d’Emma Bovary ?
On lui reproche de ne jamais la juger. Pas un personnage, pas un narrateur dans le roman ne juge les actions de l’héroïne et c’est là où le bât blesse.
Pourtant, Flaubert sera acquitté. Pour découvrir comment… n’hésitez pas à regarder « L’affaire Bovary ».
REVOIR. "L’affaire Bovary", un documentaire à (re)voir
Lundi 3 janvier 2022 à 9h50 sur France 3 Normandie.
Jeudi 6 janvier 2022 à 23h25 sur France 3 Normandie.
Et en replay ici, dès maintenant :
« L’affaire Bovary » de Stéphane Miquel et Alban Vian
Une coproduction Keren productions et France Télévisions
DEBADOC. "La création artistique en Normandie", une émission à (re)voir le mardi 4 janvier 2022 à 9h50 sur France 3 Normandie.
Et en replay ici, dès maintenant :
La Normandie est-elle une terre propice à la création artistique ? C’est le thème de notre Débadoc présenté par Emilie Flahaut.