Education: Rouen tient fermement à garder son rythme scolaire

La municipalité rouennaise ne reviendra pas à la semaine de 4 jours dans les écoles, à la rentrée prochaine. Un choix qu'elle défend avec conviction et sans trop de contradiction chez les différents acteurs de la vie scolaire. 

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Le décret Blanquer donne la possibilité aux municipalités de revenir à la semaine de 4 jours dans les écoles. A Rouen, les élus font le choix de ne rien changer. 

Lundi (3 juillet), lors de la réunion-bilan du comité de suivi et d’évaluation des rythmes scolaires de la Ville de Rouen (où tous les acteurs de la vie scolaire sont représentés), il a été question "de développer plus d’échanges entre le scolaire etle périscolaire", d’"articulation renforcée entre temps scolaires, périscolaires et extrascolaires", de "présence des référents périscolaires au conseil d’école"...

Périscolaire, périscolaire, périscolaire

Il n’y en avait presque que pour lui, ou que pour eux : les TAP (pour temps d’activité périscolaires), mis en place en 2013 dans le cadre de la loi Peillon instituant la semaine à quatre jours et demi dans les écoles maternelles et élémentaires publiques (le "demi", c’est en général le mercredi matin) au lieu de quatre auparavant. Soit 24 heures d’enseignement mieux ventiléeset aérées par des ateliers divers (culture, sport, jeux) assurés par des animateurs municipaux, matin, midi ou soir, à la carte.
Les TAP, forcément menacés par ce fameux décret Blanquer, qui propose aux villes qui le souhaitent de revenir à la semaine de quatre jours. Avec, en toile de fond, la suppression du fonds d’aide aux activités périscolaires à l’horizon 2019.

À Rouen, on fait donc comme s’il n’existait pas. Le retour aux quatre jours n’a même pas été un sujet. "Autant faire une seule journée de 24 heures et on serait tranquille", a-t-on même entendu grincer pendant la réunion animée par le maire adjoint Frédéric Marchand. Plus sérieusement, l’inspectrice de l’Éducation nationale Astrid Mazari a voulu rappeler, en conclusion, que "Jean-Michel Blanquer a dit au Sénat ne pas vouloir balayer ce qui fonctionne, mais améliorer ce qui ne fonctionne pas". "Il n’y a eu aucun conseil d’école extraordinaire", nous a-t-elle précisé juste après.

Détail non anodin, car le mode d’emploi du décret est le suivant : chaque commune est censée formuler une proposition à sa DASEN (directrice académique des services de l’éducation nationale) en concertation avec les conseils d’école. "Je ne fonctionne pas dans l’émotion, je ne mets pas 400 personnes à la porte".


Pour la rentrée 2017, ce processus n’a même pas été enclenché. La capitale normande, comme beaucoup d’autres grandes villes françaises –  Marseille et Nice sont les seules exceptions connues – jure fidélité au dispositif actuel. Avec une authentique détermination : conforté dans cette voie par le maire Yvon Robert le 30 juin en conseil municipal, Frédéric Marchand confie : "La politique éducative de fin mai pour début septembre, avec deux mois de vacances entre temps, ce n’est pas raisonnable et même dangereux pour les enfants. Donc non, on ne bouge pas. Je ne fonctionne pas dans l’émotion. En politique, dans certaines situations, par exemple des attentats, on peut agir rapidement en fixant des règles fortes. Dans le cas de l’éducation, ça me semble hors de propos."  

Et l’élu Europe Ecologie Les Verts de se fonder sur les chiffres de l’année 2016-17 : 78 % de fréquentation des TAP le midi, une offre d’ateliers en hausse (+ 16,6 % par rapport à 2015-16), un taux d’animateurs qualifiés de 76 % le midi et 92 % le soir... La municipalité de Rouen en emploie plus de 400. Ça pèse forcément dans la réflexion. "Si demain, on repasse à quatre jours, on en fait quoi ? Moi, je ne mets pas 400 personnes à la porte", martèle Marchand, qui, à sa prise de fonction en 2014, avait adressé aux plus de 7000 élèves des 55 écoles rouennaises une enquête de satisfaction. Les TAP venaient d’être institués et les rejetons s’étaient dits contents à 88 % de ceux du midi (les plus répandus). Mêmesice dernier indicateur mériterait une réactualisation, ça fait pas mal de données favorables. Celles de 2014 ont présidé à la rédaction du Projet éducatif de territoire (PEDT), convention signée en 2016 entre la Ville, la CAF, la DASEN etla préfecture, pour trois ans. Alors, non seulement rien ne bougera pour la prochaine rentrée, mais il y a peu de chances que la Ville infléchisse sa politique d’ici 2019. "On a construit patiemment une organisation qui donne globalement satisfaction et on vient nous dire : maintenant, chacun va faire ce qu’il veut. Dans un pays, le principe « chacun fait comme il veut", pour moi, ça ne peut pas marcher. L’Éducation nationale, ça veut dire ce que ça veut dire, non ?

Les enseignants beaucoup plus sceptiques

On a trouvé néanmoins des voix et des chiffres discordants en rendant visite à la section 76 du SNUipp, le principal syndicat d’enseignants : si elle partage cette crainte d’une « éducation de plus en plus communale, de moins en moins nationale », elle brandit aussi le résultat d’un sondage lancé dans tout le département (un millier de réponses recueillies) : 80 % de « oui » au retour à la semaine de quatre jours. Un plébiscite qui épouse celui de la consultation nationale menée par ce mêmeSNUipp (75%). « Un constat s’impose à beaucoup d’entre nous : les enfants ne sont pas disponibles sur cinq jours, physiquement et mentalement, confie une enseignante en maternelle à Grand-Quevilly. Nous sommes quand même les mieux placés pour en juger... Les mairies, ce n’est pas leur job et les parents, ils sont juste bien contents de voir leurs enfants pris en charge gratuitement une demi-journée de plus. »« Constat » qui a tendance à faire bondir Frédéric Marchand : « De toute façon, les enfants se lèvent tôt le mercredi, car leurs parents travaillent aussi ce jour-là... Alors, qu’ils aillent au centre de loisirs, dans des clubs, chez papy et mamie ou à l’école, ça ne change pas grand-chose. Cela dit, la fatigue du mercredi est un des sujets qui reviennent, notamment chez les enfants de maternelle. On a décidé de baisser le rythme avec des séances de relaxation, des lectures de contes, etc. Il faudrait peut-être, aussi, ouvrir une réflexion sur la qualité de vie des gens en France. L’idée que je défends et sur laquelle je suis suivi, c’est le rythme de l’enfant, pas le rythme scolaire. Et ça, c’est la responsabilité de tous, notamment des parents, le week-end. »Au SE-UNSA, l’autre syndicat enseignant pourtant réputé moins contestataire que le SNUipp, onreste très attaché à la semaine des cinq jours, s’inscrivant ainsi plutôt dans cette forme de résistance municipale : « Personne ne prend en compte la vie familiale : c’est fini, l’époque où on couchait les petits à huit heures du soir. Ils veillent souvent tard le week-end, ce qui représente trois soirées puisqu’il n’y a plus de classe le samedi en général. Ils arrivent crevés le lundi matin et l’école n’a pas grand-chose à voir avec ça. Le problème, c’est l’absence de véritables études approfondies, des études scientifiques », appuie Joëlle Ayache, en charge de Segpa (collégiens en grande difficulté) à Yvetot, qui voit dans la volonté de marche arrière de ses collègues « un ras-le-bol » : « Certains n’ont pas gagné grand-chose : ils ont subi le mercredi matin tout en finissant quasiment à la mêmeheure les autres jours, d’où le sentiment de s’être fait avoir. Mais je doute que la tendance soit aussi forte que ne le prétend le SNUipp. » « Tout dépend comment la question a été posée », sourit son acolyte Jean-Charles Hagnéré, enseignant en primaire à Eu.
Le SE-UNSA partage aussi l’inquiétude de Frédéric Marchand sur la disparition possible des TAP : « Ils permettent aux plus défavorisés de compléter gratuitement leur apprentissage », souligne Joëlle Ayache. « La ville d’Eu a mis en place des activités culturelles de qualité qui concernaient 75 % des gamins, et elle a décidé de garder ce dispositif. Celles qui ne le font pas ou qui vont l’abandonner, c’est par manque de moyens ou de volonté », ajoute Jean-Charles Hagneré. « A Rouen, ça coûte 0 euro de mettre les enfants au TAP. Ça donne à toute une partie moins fortunée de lapopulation l’accès à tout un panel d’activités. Ça ouvre les enfants à plein de choses, la discrimination garçon-fille, l’acceptation de l’autre, le handicap... Tout ça, on n’aurait pas letemps de le faire pendant l’école classique », argumente l’adjoint au maire.

Chez les parents d’élèves, la nostalgie du samedi

Dans le camp des parents d’élèves, tradition relativement respectée : la FCPE, l’association majoritaire, défend une ligne dure, alors que le regard est plus nuancé chez la PEEP. « Ce serait un moindre mal de supprimer le mercredi, car ça redonnerait plus de place aux activités associatives et une coupure aux enfants en milieu de semaine, estime la présidente de cette dernière, Cécile Fouache. Le maintien des activités périscolaires ne doit pas être le moteur principal des décisions. L’essentiel, c’est l’apprentissage. » Son homologue de la FCPE, Sébastien Léger, tempête, lui, contre « une annonce politicienne précipitée » : « Quatre jours, c’est mieux pour les parents que pour les enfants, dont on est en train de jouer avec l’avenir, en cherchant à faire des économies sur leur dos. » Les deux organismes partagent la même nostalgie du samedi matin, « le meilleur jour de la semaine, un espace de rencontres entre parents et avec les enseignants », dit Cécile Fouache. « Le remettre au goût du jour permettrait aux enfants de récupérer le mercredi, abonde Sébastien Léger. La semaine de quatre jours est un mauvais rythme. » « La réalité, c’est un taux d’absentéisme assez fort ce jour-là, répond Frédéric Marchand. Les parents avaient plus de temps pour venir, pour parler. Mais il y a aussi ceux qui voulaient profiter du week-end... ou ceux qui travaillent le samedi etle dimanche, puisque ça semble se généraliser."

La directrice d’académie favorable à la continuité


Et la DASEN dans tout ça ? La directrice académique Catherine Benoit-Mervant n’a pas répondu à notre sollicitation mais elle verrait plutôt d’un très bon œil le statu quo. Une épine en moins dans lepied, car si Le Havre, Dieppe et donc Eu persistent dans le système actuel, la situation est beaucoup plus contrastée dans les campagnes, où les questions de transport scolaire et bien sûr de budget sont sensibles, dessinant une école des villes et une école des champs. « C’est un risque », admet Frédéric Marchand. La directrice d’académie a en effet d’autres chats à fouetter et épines à enlever : le dispositif « 100 % de réussite au CP », qui consiste à réduire à 12 éléments les classes de cours préparatoires des écoles appartenant au REP+ (Réseau d’éducation prioritaire, anciennement ZEP, les quartiers défavorisés en résumé) a fait souffler un vent de panique plus fort encore, car lui doit entrer enapplication en septembre prochain. Le ministre Blanquer a ramené le calme dans les rangs en annonçant le 26 juin la création de 2500 postes prévus à cet effet, mais un enseignant de l’académie de Versailles (basé à Rouen) souligne : « C’est impossible de fournir 2500 postes supplémentaires puisque les concours de professeurs des écoles (CRPE) ont eu lieu en avril ! Ce qui va donc se passer, c’est la réaffectation des contractuels actuellement dédiés au dispositif « Plus de maîtres que de classes » (professeurs surnuméraires qui interviennent ponctuellement dans les zones dites fragiles). » Déshabiller Paul pour habiller Jacques, en résumé. « On abandonne un dispositif qui marchait très bien pour un dispositif qui peut fonctionner, sans doute, mais ça veut dire que la charge va venir uniquement sur les communes, poursuit Frédéric
Marchand. Les bureaux, les locaux supplémentaires, les tableaux, les étagères, vous les mettez où ? Au milieu de la cour ? Il faut tout dédoubler ! »Un vrai problème de maths, effectivement, lorsqu’on sait que 95 fermetures de classes ont ainsi été annoncées par le CDEN (Comité départemental de l’Éducation nationale) pour la rentrée en Seine-Maritime, contre seulement 56 ouvertures. Un problème que Rouen, dont 11 établissements sont classés REP+, (60 sur le Département) a vite résolu pour sa part : « Nous, on ne manque pas de bâtiments, c’est un vrai coup de bol. Mais sien 2018, on étend ça aux CE1 et au REP, ce ne sera juste pas possible », prévient Marchand. La ville aux cent clochers peut ainsi savourer le privilège, vraiment pas donné à tout le monde, de s’offrir des congés d’été à peu près sereins à partir de vendredi. Mais on peut compter sur la rentrée pour relancer, sur le fond cette fois, cet ancestral débat des rythmes.
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