Fin mars 2021, une expérimentation à grande échelle du cannabis thérapeutique a été lancée en France. Alors que cette dernière a pris fin ce mardi 26 mars, nous avons interrogé le Dr Delphine Martin, médecin en soins palliatifs, qui a pu suivre 30 patients lors de cette expérience menée au CHU de Rouen.
L'expérimentation du cannabis thérapeutique lancée il y a trois ans dans 275 établissements de santé en France, dont 7 en Normandie, vient de prendre fin. La molécule, délivrée par la pharmacie du CHU de Rouen, était proposée sous forme d'huile à boire ou de fleurs inhalées dans des vaporisateurs, pour éviter toute combustion du produit.
Entretien avec le Dr Delphine Martin
France 3 Normandie : Dans quel cadre s'est déroulée cette expérimentation ?
Dr Delphine Martin : L'ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ndlr] a sollicité des centres référence, dont le CHU de Rouen. En tant que praticiens des centres de référence, il fallait qu'on s'inscrive à une formation de quelques heures pour pouvoir ensuite prescrire la molécule.
Cette formation visait à connaître le produit, ses effets, ses indications et contre-indications, et surtout à comprendre le circuit de ce médicament : s'il est développé, comment l'intégrer, comment le prescrire et sous quelles conditions ?
C'était ça, l'idée de l'expérimentation, plus que l'étude des effets du cannabis thérapeutique, même s'il y aura aussi des données.
Quels types de patients ont pu en bénéficier ?
Là, le cannabis a été prescrit selon plusieurs indications : dans les cas d'épilepsies pharmaco-résistantes, de scléroses en plaques ou autres pathologies du système nerveux central entraînant une spasticité musculaire [contraction des muscles, ndlr], de douleurs neuropathiques ou en soins palliatifs.
Au CHU de Rouen, mes collègues neurologues et algologues ont donc aussi participé.
Le THC n'est pas un antalgique.
Dr Delphine Martinà France 3 Normandie
De votre côté, comment s'est passé le suivi des patients ?
En tout, j'ai donc pu prescrire le médicament à 30 patients, à partir du moment où il y avait un bénéfice à compléter leur traitement par le cannabis. Pour les patients douloureux pour lesquels les traitements classiques, type morphine, ne suffisaient pas, pour lutter contre la spasticité douloureuse, les douleurs musculaires ou positionnelles ou dans le cas de la sclérose latérale amyotrophique [maladie de Charcot].
J'ai d'abord prescrit du THC à très faible dose puis augmenté progressivement le dosage. C'était à double indication : pour les douleurs, mais aussi pour l'effet anxiolytique et apaisant du cannabis.
Le CBD était-il également prescrit ?
Non, je n'ai prescrit que du THC. La molécule est plus efficace que le CBD. En revanche, au niveau pharmaceutique, elle n'est pas considérée comme un antalgique. Les malades se sentent moins mal face à la douleur et leur vécu peut être amélioré. Là-dessus, je pense qu'on a fait quelque chose.
Vous êtes-vous inquiétée des potentiels effets indésirables, comme la dépendance ?
En situation palliative, on ne s'en est pas inquiété : le THC n'est présent qu'à petites doses et je sais que mes patients ont malheureusement une espérance de vie limitée.
Le cannabis est intéressant pour compléter ce que l'on a déjà pour soulager les malades.
Dr Delphine Martinà France 3 Normandie
Quel bilan tirez-vous donc de ces trois années à prescrire du cannabis thérapeutique ?
Parmi mes patients, 5 ont arrêté le traitement par manque d'efficacité. Le cannabis est intéressant pour compléter ce que l'on a déjà pour soulager les malades. Mais il n'est ni révolutionnaire, ni magique.
Ce qui est décrit dans les différentes études déjà menées, c'est que sur les échelles de l'évaluation de la douleur, il ne donne pas de résultats incroyables. Il fonctionne, mais ne vaut pas les autres traitements. Il présente parfois un bénéfice, parfois pas. Sur le plan de la douleur, mes collègues algologues, par exemple, l'ont peu prescrit.
L'expérimentation ne sera pas reconduite : qu'en est-il de vos patients déjà sous traitement ?
L'expérimentation devait durer deux ans mais a été prolongée. Assez vite, les patients se sont inquiétés de l'arrêt du traitement.
Aujourd'hui, c'est vraiment la fin de l'inclusion de nouveaux patients, mais on ne sait pas encore ce qu'il adviendra des patients déjà sous traitement ; ils vont sans doute être obligés de continuer. Le cannabis est prescrit dans d'autres pays, alors pourquoi pas.