Harcèlement moral et sexiste, heures supplémentaires... Ces alternants dénoncent les pratiques douteuses d'une entreprise de communication

Dans une vidéo publiée sur TikTok, une jeune femme dénonce les pratiques d'une agence de communication de la métropole de Rouen envers ses alternants et ses stagiaires. Elle va faire un recours aux prud'hommes. D'autres alternants et des collaborateurs ont pris la parole. Des témoignages similaires à celui de la jeune fille. Enquête.

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"Au bout d'un an et demi de harcèlement moral et sexuel, j'ai enfin décidé de faire appel aux prud'hommes". Sa vidéo postée sur TikTok en septembre 2024 a cumulé plus de 55 000 vues. 

Lisa (prénom modifié), 23 ans, dénonce à visage découvert ce qu'elle raconte avoir subi pendant un an et demi dans l'entreprise dans laquelle elle était en contrat d'alternance. À l'heure où nous publions cet article, la vidéo a été remise en mode privé sur TikTok. Lisa a décidé de faire appel aux prud'hommes avec l'aide d'une avocate.

En 2023, Lisa entame sa troisième année de licence en communication et événementiel à l'ISCOM de Rouen. Elle trouve un contrat d'alternance dans une agence de marketing, d'influence et d'hôtes et hôtesses de la métropole de Rouen. "Une agence très idéalisée par les jeunes", nous confie la jeune femme.

Elle se fait recruter par le directeur de l'agence, un certain Patrick, nom d'emprunt qu'elle lui attribue sur TikTok.

"Je séchais les cours, il fallait se rendre disponible le week-end"

"Je me prends à cœur dans cette nouvelle mission, sans me rendre compte qu'elle empiète de plus en plus sur mes cours", explique-t-elle dans sa vidéo. La jeune femme raconte qu'elle se met à sécher les cours et fini par passer en cours à distanciel, sur les conseils du fameux Patrick.

"Je suis passée du rythme trois jours d'école-deux jours en entreprise à cinq, voire six jours par semaine en entreprise. Il fallait aussi se rendre disponible le week-end et les jours fériés."

Très vite, la charge de travail s'accumule. Patrick est souvent absent. 

Selon le témoignage de Lisa, l'agence ne compterait aucun salarié, seulement quatre alternants et des stagiaires "non rémunérés" que les alternants recrutaient. "Il nous interdisait de dire qu'on était alternants."

On était quatre alternants à faire tourner l'entreprise qui ne nous appartenait pas. On ne s'en sortait pas. On nous ordonnait de prendre des stagiaires non rémunérés. Ils nous ont vus dans des états pas possible.

Lisa

"Il faudrait que tu arrives à perdre 10 kilos"

Peu à peu, Lisa raconte qu'elle découvre un autre visage chez son patron. "J'ai commencé à avoir des jugements sur mon physique de la part de Patrick." Ainsi, ce dernier lui suggère de perdre 10 kilos, ou encore lui donne son avis sur sa coupe de cheveux. "Il m'a dit qu'il fallait que je maigrisse avant de faire une frange, parce que j'avais les joues beaucoup trop enflées et que ça ne faisait pas beau."

Des remarques de ce style, Lisa en aurait eu d'autres. Elle évoque aussi le jour où elle porte un chemisier blanc qui devient "légèrement transparent" à la lumière du soleil et laisse légèrement apparaître son soutien-gorge. "Il m'a dit 'j'adore ce que je vois, je suis en plus à la bonne hauteur, avec le soleil qui reflète, j'aime beaucoup ton sous-vêtement'.", nous livre-t-elle.

L'agence en liquidation judiciaire

La situation financière de l'agence se complique. En mars 2023, elle est liquidation judiciaire et ferme. "On a dû rendre les locaux de l'agence du jour au lendemain. On s'est retrouvé sans locaux." L'agence déménage. 

L'alternance de Lisa prend fin en août 2023. Quelques mois plus tard, elle retourne travailler pour Patrick, mais pas question d'avoir un CDI. "Je ne faisais pas assez d'heures sup', explique Lisa. J'ai donc accepté de travailler pour lui via un statut d'autoentrepreneuse."

L'agence se porte mal. Patrick souhaite revendre ses parts.  

Il nous faisait pression pour qu'on rachète ses parts. On n'a pas voulu alors il a arrêté de nous payer et nous menaçait.

Lisa

C'est le coup de trop pour Lisa qui décide de faire appel à un avocat. "Je lui en ai fait part et il s'est énervé, il a dit que j'étais une menteuse, que j'étais complètement folle dans ma tête." 

La jeune femme prévoit de saisir prochainement le conseil de prud’hommes. "Pendant longtemps, j'ai cru que le problème venait de moi, puis j'ai réalisé avec le temps que je n'étais pas le problème. Beaucoup de personnes proches de lui l'idéalisent", conclut Lisa.

"Il nous mettait en compétition"

Agathe* (prénom modifié), a aussi été alternante au sein de l'agence. Aujourd'hui, elle n'en garde pas un mauvais souvenir : "J'avais mon équipe qui était solide, j'ai un caractère bien trempé." Mais selon elle, Patrick avait un "lien au physique très malsain". "Il misait tout sur le physique. Au-dessus du 38, on était considéré comme grosse."

J'ai pris des remarques sur mon poids. Il me disait que j'étais belle, mais qu'avec 10 kilos en moins, je serai sensationnelle.

Agathe, ancienne alternante

Agathe évoque une pression au niveau du travail. "Si les chiffres d'affaires n'étaient pas bons, il disait que je voulais faire couler la boîte. Il nous mettait en compétition. Si on ne faisait pas d'heures sup', on était considérés comme les derniers. C’était sectaire, on ne faisait que ça. On vivait pour notre travail."

"Il pouvait nous mettre au plus bas"

Agathe décrit aussi un personnage qu'elle qualifie d'ambigu et de manipulateur : "C'était une claque, une caresse, une claque, une caresse. Il pouvait nous mettre au plus bas. Il nous écrasait, nous faisait pleurer, puis nous expliquait gentiment qu'il faisait ça pour nous aider à grandir."

Il était prêt a s’investir pour nous et à faire du mal.

Agathe

Aujourd'hui, Agathe nous raconte qu'elle garde quelques séquelles psychologiques de son expérience au sein de l'agence. "On nous a vendu un projet qui était censé construire notre vie et le début de notre carrière, c'était du vent. J'ai perdu confiance en moi dans le monde du travail, c'est violent."

Héléna (prénom d'emprunt), a, elle aussi, été alternante et essaie aujourd'hui de "garder une bonne expérience." Au sujet des nombreuses heures supplémentaires, elle nous indique que Patrick ne leur "demandait pas de le faire. Mais on le faisait car on était tout le temps mises en compétition. C'était un jeu malsain".

"C'était notre tuteur, mais il n'était jamais à l'agence. On est entre jeunes de 18 à 24 ans. Les alternants formaient les stagiaires et les stagiaires formaient les alternants. On était livrés à nous-même."

La jeune femme a fini par se mettre en arrêt avant la fin de son année d'alternance, nous dit-elle. "J'étais psychologiquement affectée. Mais avec le recul, j'ai fait de super rencontres et j'ai appris à me débrouiller seule."

De son côté, Marc (prénom modifié), ancien alternant, "n'a pas vécu la même expérience." "Ça se passait bien, nos horaires dépendaient de notre bon vouloir. J'aimais passer du temps sur des projets pour apprendre. Je n'avais pas de pression de mon côté."

Selon lui, la situation "s'est gâtée" quand l'agence a développé l'activité d'hôtes et hôtesses. "Ça ne me plaisait pas, je suis parti quand ça a commencé à dégénérer."

"Les faits existent, mais sont détournés"

Contacté, Patrick nous confirme que la vidéo publiée sur Tik Tok parle bien de lui et de son ancienne agence.

Tout est faux. La vidéo que j'ai vue m'a blessé. On l'a beaucoup aidé, accompagné... C'est retourner mes valeurs contre moi. Aider les femmes, j'en ai fait le combat de ma vie.

Patrick (prénom d'emprunt)

Au sujet du chemiser transparent de Lisa, "les faits existent, mais sont détournés. Ce jour-là, je lui ai plutôt dit qu'il ne fallait pas qu'elle vienne habillée comme ça", nous explique l'entrepreneur.

"Il peut détruire des gens"

Dans son entourage professionnel, Patrick est décrit comme un entrepreneur qui a "d'immenses qualités" mais qui peut "détruire des gens".

"Il a pris le temps de former beaucoup de jeunes. C'est un entrepreneur, il a des idées bien claires sur le sujet et tout le monde doit penser comme lui, nous confie un collaborateur qui souhaite rester anonyme. Il voulait que ses alternants se défoncent au travail pour son agence, quitte à parfois s'asseoir sur le droit du travail et à être dur dans ses propos. Il dépassait parfois les bornes."

Patrick a une certaine influence, pour lui, il faut parfois bosser jusqu’à 20h-0h. Il peut détruire quelqu’un.

Un collaborateur anonyme

Au sujet des remarques déplacées vers ses collègues féminines : "Il était parfois lourd et borderline dans ses propos. Mais ce n’était pas de la drague, il n’espérait rien derrière. Il est très amoureux de sa femme. C'est plus de l'immaturité."

Il finit par nuancer ses propos : "Quand plusieurs femmes travaillent ensemble, elles peuvent mal interpréter des propos qui n’étaient pas l’intention initiale."

Dans le milieu de la communication, Patrick est connu pour être "un beau parleur"."Il utilisait les compétences des alternants, il est connu pour mener la grande vie au frais de sa boîte qui a fini en liquidation judiciaire", nous murmure-t-on.

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