Incendie chez Bolloré Logistics près de Rouen : Quels risques pour la population ?

Les premiers résultats de mesure et d'analyse de l'air n'ont fait apparaître aucune anomalie selon la préfecture de la Seine-Maritime. Pourtant, plus de trois ans après la catastrophe de Lubrizol, se pose de nouveau la question de la toxicité des substances qui ont brûlé. Alors que les habitants s'inquiètent, les experts, eux, alertent sur la dangerosité de la combustion du lithium.

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Beaucoup ont tout vu et tout entendu. Tous ont eu l'impression de revivre le scénario de Lubrizol. Un panache de fumée noire qui s’échappe dans le ciel et une série de déflagrations, comme des coups de canon. C’est le spectacle de désolation auquel ont assisté pendant plusieurs heures les habitants de la métropole de Rouen. Et aux premières loges, les riverains de l’entreprise Bolloré à Grand-Couronne.

"Aucun risque pour la population" selon les pompiers et le préfet de la Seine-Maritime

Alors que les habitations les plus proches sont situés à plus de 500 mètres de ce site non classé Seveso mais seulement soumis à enregistrement, le préfet de la Seine-Maritime, Pierre-André Durand, a tenu très vite à rassurer la population. L’incendie ne présente selon lui "aucun risque pour la population". Dans un communiqué diffusé dans la soirée du lundi 16 janvier 2023, la Préfecture explique que la situation "n’a jamais impliqué d’évacuation, de confinement, ni même de mise à l’abri des populations". Tout juste prévient-on que la rive gauche pourrait être concernée par une odeur de brûlé mais toujours sans risque.

L’incendie, qui a été circonscrit en fin de soirée lundi, a d’abord touché un entrepôt au sein duquel étaient stockés plus de 8.000 batteries au lithium avant de se propager à une cellule voisine contenant 70.000 pneus. Malgré cela, la Préfecture de la Seine-Maritime a écarté dès les premières heures l’éventualité d’une pollution et donc d’un risque pour la santé en s’appuyant sur les premières analyses effectuées sur le site et à proximité par les pompiers.

Le colonel Rémy Weclawiak, directeur adjoint du service d'incendie et de secours dans le département, a expliqué qu'au moment de l'incendie, "les fumées sont parties très haut dans le ciel. Il y a une bonne dispersion et les relevés à proximité du site et un peu à l'extérieur n'ont pas permis de trouver de monoxyde de carbone, d'acide chlorhydrique ou cyanhydrique. Les taux sont à zéro".

De son côté, le préfet a promis que tous les résultats issus de ces analyses seraient prochainement publiés. Pas de quoi rassurer les habitants d'une métropole encore traumatisée par l'incendie de Lubrizol en septembre 2019 quand 10.000 tonnes de produits chimiques étaient partis en fumée. Plus de trois ans après, le discours des autorités reste le même. L'incendie n'a eu aucune conséquence sur l'environnement et sur la santé des habitants.

"Un incendie dégage en moyenne 200 substances chimiques"  

Paul Poulain, expert en risques industriels

Paul Poulain n'a toujours pas digéré l'épisode Lubrizol. Il a l'impression que l'histoire se répète avec Bolloré Logistics. Cet expert en risques industriels et auteur de "Tout peut exploser" (Fayard), un brûlot sur les politiques de gestion des risques, explique que "tout incendie est toxique par définition. Il faut savoir qu’un incendie dégage en moyenne 200 substances chimiques. Ce n’est pas anodin et le préfet Durand fait preuve de désinvolture. Il faut arrêter de croire que si le site n’est pas classé Seveso, il est moins dangereux. Il y a simplement moins de volumes de matières dangereuses mais la toxicité, elle est là. Et ce n'est pas parce que le nuage était très haut que des particules ne retombent pas ensuite. Il faudra de toute façon surveiller les pompiers qui sont intervenus sur l'incendie".

Quoi qu’il en soit, ce lundi 16 janvier 2023 fait déjà date. Bolloré Logistics a en effet vécu le plus grand incendie de lithium jamais enregistré en France. "Ces 5 dernières années, on a dénombré plus de 150 incendies liés au lithium en France, principalement dans les décharges. Les incendies de batteries au lithium sont très toxiques et très polluants", prévient-il. "Quand le lithium se consume, il peut dégager de l’acide fluorhydrique et des oxydes de carbone. L’acide fluorhydrique est corrosif. Il peut créer des œdèmes pulmonaires ou malformations osseuses".

Le soir de l’incendie, préfecture et pompiers affirmaient que l’acide fluorhydrique était uniquement contenu au cœur du foyer et pas présent à l’extérieur du foyer. Plusieurs médecins que nous avons contactés font part de leur perplexité et trouvent "surréaliste" qu’il n’y ait aucune pollution.

"Le préfet refait le même coup que Lubrizol" estime Paul Poulain. "Il est irresponsable en remettant en cause le principe de précaution". L'expert va jusqu’à recommander le port du masque pour les habitants du secteur et se félicite de l’initiative prise par certaines municipalités.

Des communes de la métropole rouennaise ont pris des mesures de protection pour leur population

Juste après le début de l’incendie, la commune d’Orival située à quelques kilomètres de Grand-Couronne, avait demandé à ses administrés sur Facebook de "rester confinés, fermer les fenêtres et ne sortir sous aucun prétexte". 

Un appel déploré par le préfet pour lequel "il y a eu une série de fausses nouvelles qui ont été diffusées". Ce mardi 17 janvier, Stéphane Barré le maire d’Oissel, commune proche du site, a pris la décision d'interdire, par mesure de précaution, les activités physiques en extérieur notamment celles organisées au stade Marcel-Billard.

Les stations d'Atmo Normandie ont enregistré un pic

Joint par téléphone ce mardi, Atmo Normandie nous explique que des pics de particules en suspension PM10 ont été enregistrés, entre 19h30 et 23h30 au plus fort de l'incendie, sur plusieurs de ses stations, notamment à Grand-Couronne mais aussi à Poses dans l'Eure après que les vents se dirigeaient dans la soirée vers le sud-est.

Sur la station de mesure située au centre hospitalier spécialisé du Rouvray, Atmo Normandie, qui a par ailleurs publié une modélisation du panache de fumée, observe "une contribution de 60% de particules de combustion au plus fort du pic, directement attribuable à l'incendie". Une question dès lors reste en suspens. De quelle nature sont ces particules ?

Pour autant, le seuil d'alerte n'a pas pas été dépassé. Au lendemain de l'incendie, des relevés ont été réalisés à l'aide de bonbonnes sous vide. Là encore, les résultats seront bientôt rendus publics. 

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