Plus d'un an et demi après l'incendie de Bolloré Logistics, survenu le 16 janvier 2023 dans la zone industrielle de Rouen, les services de l'État ont mis un coup de pression sur la société : stockées sans autorisation, les batteries qui ont brûlé étaient dangereuses. Trois questions à Paul Poulain, expert en risques industriels.
L'enquête est toujours en cours, plus de 20 mois après l'incendie de Bolloré Logistics à Grand-Couronne (Seine-Maritime). Mais la pression s'accentue sur la société et sa "petite sœur" Blue Solutions, qui appartient également au groupe Bolloré.
Dans un arrêté préfectoral publié le 7 octobre 2024, les services de l'Etat indiquent que l'entreprise Bolloré Logistics n'avait aucune autorisation pour stocker des batteries au lithium dans ses locaux. De plus, elles n'ont toujours pas dépollué le site. Paul Poulain, expert en risques industriels, nous livre son analyse.
Des batteries usagées, donc des "déchets dangereux"
France 3 Normandie : Etes-vous surpris par les révélations de cet arrêté préfectoral ?
Paul Poulain : Malheureusement, non. Ce n’est pas la première fois que ça arrive. Moi, j’ai tendance à trouver que ce rappel à l’ordre est très lent. Mon hypothèse, c’est que la DREAL a pu avoir été surprise par le fait qu’elle ne soit pas au courant du statut des déchets du site de Bolloré.
Ils se sont rendu compte qu’il y avait un loup en visitant l’installation, et en voyant que les batteries n’étaient pas neuves mais usagées.
Cela signifie qu’elles étaient considérées comme des "déchets dangereux". Or, l’autorisation donnée au site vaut pour des batteries neuves, et non pour des déchets dangereux.
Quand on a une batterie usagée, on sait que c’est un déchet. Bien sûr qu’elles le savaient.
Paul Poulainà France 3 Normandie
Selon l’arrêté, les deux sociétés mises en cause semblaient savoir qu’il s’agissait de "déchets". Ont-elles omis sciemment des détails ? Ont-elles menti ?
Bien sûr, c’est évident. Quand on a une batterie usagée, on sait que c’est un déchet. Des entreprises de cette taille avec des services sécurité, bien sûr qu’elles le savaient.
Pour moi, c’est un mensonge total vis-à-vis de la réglementation française, et du code de l’environnement.
Dans l’idéal, selon moi, il faudrait une poursuite pénale. Si on veut que les choses changent, et que d’autres industriels ne soient pas encouragés à faire la même chose à l’avenir. Mais honnêtement, j’ai peur que rien ne soit fait.
Si Bolloré Logistics et Blue Solutions savaient qu'elles stockaient des produits dangereux, elles ont pris des risques en connaissance de cause ?
Oui, complètement. C’est ça qui est aberrant dans la manière dont ça a été géré. Ces entreprises-là connaissent très bien le risque. Elles ont des personnes compétentes en interne, et les choses n’ont pas été faites.
Pour moi, la décision a été prise encore au-dessus, au niveau des directeurs financiers, qui se sont dit : "on va faire des économies". Ce sont eux qui tranchent les décisions financières comme le fait de changer la classification de produits classiques en "déchets dangereux", et donc de devoir modifier la sécurité de ce type d’installation, ce qui coûte plus cher.
Donc pour faire des économies, ils ont décidé de ne pas le faire. Des économies faites au détriment de l’environnement et des enjeux sanitaires.
Propos rapportés par Frédéric Nicolas.