C’est une maladie chronique qui touche entre 10 et 15% des femmes en âge de procréer. Au lieu d’être évacuées au moment des règles, des cellules de la paroi de l’utérus se fixent ailleurs dans l’organisme. Elles provoquent des douleurs intenses, invalidantes, le plus souvent au moment des règles. Mais pas uniquement.
« Pendant de longues années, je me suis sentie différente des autres », se souvient Marie-Elodie, aujourd’hui âgée de 32 ans, « mes règles étaient des hémorragies. Au lycée, mes amies me prêtaient leur manteau dans lequel je me cachais pour aller à l’infirmerie. Les douleurs étaient tellement intenses que j’avais l’impression qu’on m’arrachait les tripes ».
Comme beaucoup de jeunes femmes dans cette situation, Marie-Elodie consulte. Plusieurs fois. Mais face à sa souffrance, les médecins lui répondent qu’elle est sans doute un peu trop sensible, un peu trop fragile.
Nathalie aussi a été jugée intolérante à la douleur : « vous êtes trop jeune pour avoir de l’endométriose. Cette maladie arrive après un premier enfant », autant d’excuses entendues par la jeune femme, qui souffre depuis ses 15 ans et sera finalement diagnostiquée à l’âge de 30. Elle a beau souligné que sa mère est atteinte d’endométriose, rien n’y fait. « Mon médecin me disait : c’est normal d’avoir mal quand on a ses règles. Alors, j’ai fini par le croire. J’ai arrêté d’en parler».
« La douleur était telle que j’avais peur de tomber dans les pommes »
Nathalie se censure mais les maux continuent. Au niveau du ventre pendant les règles. Au niveau des intestins très souvent : « à 20 ans, lorsque j’allais à la selle, je me tenais au mur. La douleur était si intense que j’avais peur de tomber dans les pommes ».
Voyez l’ensemble du témoignage que Nathalie nous a accordé. Reportage réalisé avec Véronique Arnould.
Cécile, 55 ans, partage ce sentiment de ne pas avoir été écoutée : « pour les médecins, c’est normal que nous souffrions car c’est nous qui mettons les enfants au monde ». Elle se souvient avoir toujours eu mal au ventre. 8 jours avant les règles, « la sensation d’avoir un ventre très dur et gonflé comme si j’étais enceinte ». Des tourments qui s’éternisent une semaine après la fin de son cycle. « Ma gynécologue me donnait du paracétamol ».
Un diagnostic encore trop souvent difficile
C’est un peu par hasard que Cécile entend bien plus tard parler d’endométriose. Après un épisode de colique néphrétique, elle est placée sous sonde urinaire pendant 18 mois car sans explication, l’un de ses reins est hypertrophié. La douleur est telle qu’elle ne peut plus marcher. « C’est une connaissance, elle-même atteinte d’endométriose, qui m’a conseillé d’aller voir son chirurgien » se souvient la rouennaise. A 49 ans, après trois décennies de douleur, le diagnostic tombe enfin. Un soulagement : « quand j’ai rencontré le spécialiste au CHU de Rouen, j’étais au bord de la falaise ».
Même Christine, aujourd’hui âgée de 35 ans, a vécu un calvaire avant que le mot d’endométriose soit posé. « Depuis mes premières règles, j’ai été absente à l’école tous les mois. A chaque fois, je restais coincée au fond de mon lit parce que je ne pouvais pas me lever. Et pourtant ma mère était médecin généraliste. »
En moyenne, en France, 7 ans passent entre l’apparition des premiers symptômes et le diagnostic d’endométriose*. Cette maladie gynécologique se caractérise par la présence de cellules de l’endomètre, la paroi de l’utérus, ailleurs dans le corps. Au lieu d’être évacuées au moment des règles, ces tissus migrent et se fixent sur les ovaires, dans les trompes de Fallope, l’intestin, le diaphragme….
A chaque cycle, ces cellules vont réagir en fonction des variations hormonales. Intenses, les douleurs sont souvent invalidantes. Régulièrement, les patientes sont contraintes de s’absenter de l’école, de leur travail, le temps de leurs règles.
L’absentéisme, un signal d’alerte
C’est d’ailleurs l’un des signaux d’alerte. Car cette maladie est souvent sous-diagnostiquée. « Ce qui fait la difficulté, c’est que l’endométriose se manifeste par des symptômes relativement fréquents comme les douleurs pendant les règles », détaille le professeur Patrice Crochet, chirurgien gynécologue au CHU de Rouen, « or, 8 à 9 femmes sur dix souffrent pendant leurs règles. Cette pathologie peut aussi entraîner des douleurs pendant les rapports sexuels. Lorsque ces douleurs deviennent invalidantes, qu’elles sont associées à des absences, ou à une prise d’antalgiques importante, alors l’adolescente ou la femme devra être explorée. Le plus souvent, une échographie pelvienne est réalisée. »
Voyez comment le CHU de Rouen prend en charge l’endométriose. Reportage réalisé avec Didier Meunier et Véronique Arnould.
Depuis 2016, le CHU de Rouen est le premier centre expert labellisé par l’Agence régionale de santé normande dans le diagnostic et la prise en charge pluridisciplinaire de l’endométriose. Des radiologues, des chirurgiens gynécologues, digestifs et urologues proposent un accompagnement adapté pour cette maladie dont on ne guérit pas.
Accompagner la souffrance chronique
Face à ces douleurs intenses, Nathalie a été mise sous pilule contraceptive très jeune. Mais à chaque arrêt, les souffrances reprennent de plus belle. Après des années d’errance médicale, le diagnostic tombe enfin. A 30 ans, elle est alors soignée au CHU de Rouen pour des atteintes digestives, aux ovaires, au diaphragme... « Par endroit, mon intestin ne mesurait plus que 3 mm de large. J’étais au bord de l’occlusion. Le chirurgien m’a retiré 18 cm d’intestin et de rectum ». Une opération très invasive, vécue difficilement, qui couplée à un traitement hormonal lui permet de retrouver une vie plus normale.
Seule une petite part des patientes est éligible à la chirurgie et elle ne soulage pas toujours complètement. Le CHU de Rouen propose un accompagnement de cette douleur chronique par des médecines douces comme l’ostéopathie, l’acupuncture, la sexologie ou l’hypnose.
C’est le chemin qu’a suivi Nadine. Depuis plusieurs années, elle apprivoise sa douleur grâce aux séances d’hypnose. Cette quinquagénaire multi-opérée n’y trouve que des avantages : « quand le corps dit stop aux antalgiques que vous prenez depuis des années, la souffrance reste et il faut bien s’en occuper et continuer à vivre, travailler... L’hypnose est indolore, elle permet de faire une pause avec la douleur. Les bénéfices se poursuivent au-delà des rendez-vous ». Des séances qu’elle parvient à refaire seule chez elle deux fois par jour.
La vingtaine, Léa, déjà opérée, a choisi un accompagnement par la sexologue du CHU. Malgré les traitements, la vie intime reste douloureuse. Après quelques années d’hésitation, elle a fini par pousser la porte. « Ce n’est pas uniquement une consultation de sexologie, il y a une base psychologique également », raconte la jeune femme, « ces rendez-vous nous montrent qu’en tant que femme, il est normal d’avoir ces questions-là, qu’elles ne sont pas là pour rien et que nous sommes toutes pareilles. Nous ne sommes pas seules. C’est une réassurance dans notre vie quotidienne et de couple ». Et Manon Bestaux, sexologue, d’ajouter : « cette malade chamboule la problématique corporelle et sexuelle. Lors de ces séances, nous revisitons la façon de faire l’amour, les actes, les attentes et le ressenti. Cela permet de dédramatiser car les femmes qui souffrent d’endométriose ne sont pas contraintes d’avoir mal pendant les rapports sexuels ».
Principale cause d’infertilité
Diana a un lourd parcours derrière elle. De pilule contraceptive, aux consultations aux urgences en passant par la chirurgie (sept opérations en dix ans), elle le dit: « j’ai eu beaucoup de deuils à faire. J’ai dû me réorienter professionnellement car je ne pouvais plus exercer mon métier d’aide-soignante avec toutes mes douleurs et les séquelles de mes chirurgies ». Surtout, elle a dû se résoudre à ne pas avoir d’enfant. « Je suis passée par un parcours de procréation médicalement assistée. J’ai fait deux fausses couches. C’était très dur. Heureusement, j’ai été suivie et j’ai toujours pu compter sur le soutien de mon mari ».
En France, l’endométriose reste la principale cause d’infertilité. Malgré tout, de nombreuses patientes ont la chance de devenir maman : Christine et Cécile ont eu chacune deux enfants, Marie-Elodie trois. Alors Anne-Cécile, 36 ans, s’accroche : « mon conjoint et moi essayons depuis huit ans. Mon endométriose est agressive et à tendance récidivante. Malgré la chirurgie, je suis donc sous pilule en continu. Je ne l’arrête que pour suivre mes programmes de PMA. Chaque fois j’appréhende ». D’ici peu, elle tentera sa quatrième et dernière fécondation in vitro.
Depuis quatre ans, Diana a sans doute trouvé du réconfort en s’engageant pour ENDOmind, l’une des deux associations reconnues par le ministère de la Santé. Elle en est la responsable en Normandie. Une activité qu’elle mène avec son mari. Elle participe à des courses pour récolter des fonds, a créé une fondation pour la recherche. Surtout elle organise des sorties avec Nathalie, Anne-Cécile, Marie-Elodie, Christine, Nathalie et bien d’autres encore. Des sorties entre femmes, entre couples, « pour parler d’endométriose, ou d’autre chose » dit-elle en souriant. Des sorties pour trouver du soutien.
Pour aller plus loin :
- l’association ENDOmind et le groupe Facebook ENDOmind en Normandie. Elle sensibilise la société à cette pathologie et vise à développer du lien entre associations, professionnels de santé et patientes. L'association peut compter sur plusieurs soutiens publics : la chanteuse Imany, la journaliste et comédienne Sonia Dubois, Julie Gayet...
Il existe plusieurs groupes de parole sur Facebook : l’un est destiné aux femmes, l’autre ouvert aux conjoints et à la famille. - l’association EndoFrance, association reconnue par le ministère de la Santé, soutient et informe les personnes atteintes d’endométriose et leur entourage. Elle agit avec les pouvoirs publics et les professionnels de santé pour améliorer le parcours de soins et réduire le délai diagnostic. L’actrice Laëtitia Milot et le rugbyman Thomas Ramos sont marraine et parrain de l’association. L’association compte 2612 adhérents.
- Endométriose : découverte d'un gène mutant en août dernier
*En mars 2021, le ministre de la Santé a lancé une mission d’élaboration de la stratégie nationale contre l’endométriose. Ce travail a été confié au docteur Chrysoula Zacharopoulou, députée européenne et gynécologue, en partenariat avec l’ensemble des acteurs, associations de patientes, professionnels de santé et chercheurs.