Le 26 septembre 2019, les Rouennais découvraient la réalité du risque industriel sur leur territoire avec l’incendie de Lubrizol et Normandie Logistique. 3 ans après la catastrophe, la sécurité en France a-t-elle été améliorée ? Eléments de réponse avec l'auteur du livre "Tout peut exploser".
Paul Poulain vient d’une corporation généralement très discrète. Il y a quelques mois encore, il expertisait la sécurité des sites industriels à risque pour un bureau d’étude privé. Pendant 7 ans, il a pu analyser les systèmes de sécurité d’une centaine de sites Seveso en France et dans le monde. Aux premières loges face aux dangers, il a décidé de lancer l’alerte dans les médias.
Avec lui, nous avons sillonné la zone industrielle de la Métropole rouennaise. Là où brûlait, en septembre 2019, 9 000 tonnes de produits chimiques. L’épais nuage noir qui a assombri le ciel jusqu’au Pays-Bas a fini par se dissiper mais une question demeure : le risque technologique s’est-il éteint ici, en même temps que l’incendie de Lubrizol et Normandie Logistique ?
"Depuis 3 ans, il y a eu 78 incidents significatifs en Normandie. Cela peut-être des incendies, des petites explosions ou encore des nuages toxiques", précise Paul Poulain avant d’ajouter que Rouen a certainement évité, quelques jours après Lubrizol, un incident qui aurait pu s’avérer redoutable.
"Le 1er octobre 2019 une grande catastrophe, bien pire que Lubrizol, aurait pu avoir lieu. Ce jour-là, il y a eu une coupure énergétique sur le site de Boréalis qui aurait pu empêcher de refroidir l’ammoniac présent sur place. Froid l’ammoniac est sous forme liquide mais quand il se réchauffe, il se transforme en gaz, le problème s’il se disperse dans l’air c’est qu’il est très toxique et létale "
Boréalis, l’ancêtre d’AZF, produit des engrais destinés à l’agriculture conventionnelle. Les dizaines de tonnes de nitrate d’ammonium stockées dans cette zone urbaine font redouter à Paul Poulain un scénario similaire aux explosions de Toulouse et Beyrouth.
"Les industriels font tout ce qu’ils peuvent pour éviter un accident mais tout accident n’est pas évitable. Il y a le hasard de la technologie et de nos activités humaines qui peuvent engendrer un accident. Le fait de ne pas planifier de se passer progressivement de ce type d’activité dangereuse, à la fois pour notre sûreté et pour l’environnement ça questionne forcément".
Paul Poulain explique également que de nombreux pays dans le monde, à l’instar des Etats-Unis, réduisent considérablement leur production de nitrate d’ammonium au profit de l’urée une matière non volatile et non explosive. La première puissance mondiale dispose également de normes plus exigeantes en termes de sécurité.
Après l’incendie de Lubrizol, le gouvernement français a pris un certain nombre de mesures pour diminuer les risques industriels comme le rappelle, le préfet de Seine Maritime, Pierre-André Durand.
"Lubrizol a permis de faire, si j’ose dire, un saut qualitatif très significatif dans la tenue des sites industriels. Deux décrets, huit arrêtés et énormément de normes ont évolué : compartimentage, interdiction de certains emballages, renforcement des moyens anti-incendie et des capacités de rétention, fournitures des rapports d’assurances privés à l’administration ainsi que la mise en place prochainement des alertes SMS. Le nombres de contrôles de la DREAL a également augmenté." détaille Pierre-André Durand
L’Etat avait annoncé 50% de contrôles en plus mais Paul Poulain tempère cette information par la faible augmentation des effectifs chez les inspecteurs.
On a augmenté de seulement 2% les effectifs du ministère de la Transition écologique sur ces sujets. A effectif constant s’il y a plus de contrôles cela veut dire que l’on passe moins de temps sur place donc on voit moins de failles et on sécurise moins bien. En France on passe en moyenne 4 jours pour inspecter un site Seveso, en Italie c’est 9 jours et en Allemagne c’est 20 jours !
Paul Poulain, expert en risques industriels
Des sanctions financières dérisoires
La France serait à la traîne sur ce sujet contrairement à ses voisins européens. Outre le temps de contrôle, c’est l’ampleur des sanctions financières qui interroge. "En France en cas de manquement dans le dispositif de sécurité d’une entreprise l’amende maximale est de 1 500 euros, que vous soyez une PME ou un grand groupe international ! La Finlande, elle, sanctionne les entreprises sur un pourcentage de leurs bénéfices et les grands groupes n’ont pas fui le pays pour autant"
Suite à l'incendie, l'autre réponse proposée, par les collectivités locales, les industriels et l’Etat, est de développer la culture du risque et la résilience dans la population. Les riverains doivent-ils simplement s’habituer à vivre à côté du danger pour mieux gérer une future catastrophe ? "Je crains que ce soit le message adressé c’est pourquoi dans mon livre je préconise de développer avant tout une culture de la sécurité. L’objectif est d’éviter les accidents et, bien sûr, de préparer les populations en cas d’accident, car nous sommes dans des situations hasardeuses et on ne peut pas tout maîtriser"
39 sites Seveso autour de Rouen
L’auteur de "Tout peut exploser" considère que le titre de son livre n’est pas catastrophiste mais qu’il correspond à une véritable probabilité notamment à Rouen où 39 sites Seveso gravitent autour de la Métropole. "On est dans l’une des zones les plus dangereuses de France avec la vallée du Rhône et la plateforme de Lavéra dans les Bouches-du-Rhône, mais la différence c’est qu’ici les habitations sont juste à côté de sites comme Lubrizol et Normandie Logistique, donc on peut dire qu’ici le risque est plus important qu’ailleurs."
Le risque industriel, un enjeu public majeur pour l’avenir de la métropole rouennaise qui cherche le bon équilibre entre dynamisme économique, transition écologique et sureté de la population.