Anecdotes, analyses... des acteurs normands de l’âge d’or des radios libres reviennent sur le vent de liberté qui a soufflé sur les ondes au début des années 80.
Séquence nostalgie. La radio a 100 ans et les radios libres 40 ans. À la fin de l’année 1981, la loi n°81-994 met fin au monopole de l’État de la radiodiffusion. Certaines radios pirates vont donc devenir légales et de nouvelles stations vont émerger.
À Rouen, c'est RVS qui ouvre le bal, et plein de projets émergent rapidement. Fabrice Coquerel, "Fabrice Show", a travaillé à RVS mais aussi Radio 13, puis Horizon, dont il est aujourd'hui le président. Il évoque ses débuts lors d’une interview dans les locaux d’Horizon à Villers-Écalles en Seine-Maritime.
« L’idée c’était quand même de ressembler à quelque chose. Il y avait des gens qui allaient aux Etats-Unis, en Angleterre et qui ramenaient de maisons spécialisées des disques qui valaient une fortune. Certains ont fait ça dans leur grenier, ont bricolé des émetteurs pirates et ont émis de façon non régulière partout en France.
« Je voulais faire de la radio. Je sonne à la porte de celle qui était appelée Radio 13 sur les quais de Rouen. Je tombe sur une dame et lui dis « je voudrais faire de la radio », elle me dit, "ça tombe bien dans une heure il manque un gars à l’antenne !" »
Les trois-quarts des radios libres n’émettaient que sur quelques pâtés de maisons. À Paris c’était la foire aux antennes avec vingt-cinq radios sur la même fréquence. C’était une course à la puissance et c’était ceux qui avaient le plus d’argent qui écrasaient les plus petits. Le problème de la liberté c’est quand on commence à piétiner celle de l’autre... C’est là qu’arrive la loi pour organiser la bande FM ».
Arrivée de la concurrence
FR3 Radio Normandie est créée en 1978, trois ans avant la libéralisation des ondes. Le studio est aménagé sur une péniche dans le bassin Saint-Pierre à Caen et couvre cinq départements normands avec seulement trois heures d'émissions par jour. Pour le service public, l’arrivée des radios libres a participé à la démocratisation et la popularisation de la radio…
Francis Gaugain a été journaliste pendant 40 ans. Pour la télé, la presse écrite avec la Voix du nord, mais surtout en radio. Il a fait ses débuts à FR3 Radio Normandie sur la fameuse péniche… Il explique comment les radios libres ont participé à la démocratisation et la popularisation de la radio.
« Il y avait une atmosphère totalement incroyable. Nous, service public, on est allés puiser dans ces radios pour y dénicher de vrais talents. »
« L’arrivée de ces radios sur la bande FM, ça allait libéraliser les ondes, c’était la fin du monopole d’Etat mais ça allait aussi démocratiser la modulation de fréquence. C’est un peu comme les réseaux sociaux apparus il y a quelques années. Tout le monde prenait la parole. C’est pour ça qu’on a parlé de radio libre.
Nous on regardait ça avec curiosité et même avec envie. Et avec quelques animateurs et journalistes du service public, le week-end on allait s’encanailler à Radio Bessin. Et je peux vous dire qu’on faisait de l’info, on parlait vraiment du local. Où étaient les chalutiers de Port-en-Bessin, les heures des marées, etc. »
Une liberté difficile à maintenir
Connue pour sa programmation éclectique et son esprit militant, la radio FMR souhaitait avant tout donner la parole à ceux qui ne l'avaient pas forcément. Une radio de passionnés de théâtre, de poésie et bien sûr de musique. On y écoutait du rock, rock alternatif, des imports qu'on ne trouvait nulle part ailleurs…
« Ces radios-là, c’était à la fois du bricolage et finalement on réussissait des plans qu’on n’aurait peut-être pas osé si on avait eu plus de moyens. »
Seulement la radio FMR, prise dans des difficultés financières cesse d'émettre en 1990. Le 5 septembre de cette année-là, le directeur de la radio Laurent Delabouglise lançait un appel à l'aide aux élus locaux pour la sauver.
30 ans plus tard, le journaliste et animateur revient sur l'histoire d'FMR qu'il a dirigé à partir de 1983.
« Il y avait vraiment un esprit militant à la base. C’était une radio qui défendait vraiment un principe de liberté et on avait considéré que faire de la publicité c’était perdre notre liberté. Donc il fallait trouver de l’argent ailleurs et on a développé beaucoup d’activités. On avait fait un petit studio de production avec un huit pistes qui se défendait plutôt bien et on avait un centre de formation.
On avait aussi monté des radios itinérantes dans les quartiers, dans les villes périphériques de Rouen. On s’installait sur les places publiques. On voulait vraiment que ce soit au plus proche des habitants. Pour eux c’était mythique une radio.
Une fois on était en direct de l’Hôtel du Département pour un festival et on devait faire une interview de Jean Lecanuet, maire de Rouen. Manque de bol, au moment de faire l’interview ça ne marchait pas. On s’est rabattus sur les trucs habituels de l’époque : des pinces croco, un téléphone qu’on dévisse. On est monté dans l’appartement de Jean Lecanuet et le seul téléphone qu’on a trouvé c’était dans sa chambre. Je me suis retrouvé à faire une interview de Jean Lecanuet assis sur son lit ! Ça c’est typique des radios libres, on osait tout et les gens l’acceptaient ! »
En 1986, François Léotard, Ministre de la Culture, supprime les aides aux radios libres pendant deux ans. C’était presque la moitié de notre budget. On a creusé un sacré trou dans nos comptes qu’on n’a jamais réussi à combler en fait. Ça a été vraiment un drame pour nous parce que personne ne voulait arrêter ».
Évolution de la radio
40 ans plus tard, où en sont les évolutions techniques de la radio ? Radiofilmée, webradio, podcast… Ces évolutions sont-elles nécessaires pour que la radio libre continue d'exister ? Jean-Marie Charon, sociologue, spécialiste des médias, livre son point de vue.
« Le public de la radio a vieilli et le podcast avec ses contenus fragmentés, correspond plus à la pratique d’un public jeune, habitué à utiliser son smartphone comme support de contenus. »
« On voit que toutes les grandes radios ont tendance aujourd’hui à avoir de l’image. Radio France a mis sur toutes ses antennes une pratique de la vidéo, ce qui peut paraître un peu surprenant parce que ça fige un peu ce qui était aussi fluide en matière de radio. Ça me semble être une fausse voie. Il faut garder cette souplesse du support audio : on arrive à la radio, on est détendus, le col ouvert, ses notes sur la table, son ordinateur devant soi, etc.
Aujourd’hui le public de la radio a vieilli, pour toutes les stations, et le podcast correspond visiblement plus à la pratique d’un public jeune, habitué à utiliser son smartphone. L’internet a apporté cette idée de fragmenter, de séquencer, de pouvoir isoler des contenus.
Alors est-ce que le podcast c’est toujours de la radio ? Est-ce que c’est un nouveau type de média lié à la radio, issu de la radio ? On est en plein dans cette mutation et on verra dans quelques années comment les uns et les autres auront fait évoluer leurs pratiques ».