La Team Jeanne d’Arc de Rouen ambitionne de participer aux championnats du monde de patinage synchronisé. Dix-neuf collégiennes et étudiantes, âgées de 13 à 19 ans, se lèvent tous les jours à 5h du matin pour atteindre le plus haut niveau. Elles performeront bientôt devant leur public lors de la French Cup. Reportage vidéo dans les coulisses de leur première compétition internationale en 4 épisodes.
Au cœur de la nuit, dix-neuf jeunes filles pour un rêve de glace. Un papa aussi engagé qu’elles se lève lui aussi à 5 heures pour récupérer celles qui n’ont personne pour les conduire à la patinoire… Par tous les temps. Âgées de treize à dix-neuf ans, elles ont été sélectionnées par Clara Levieux, ancienne patineuse rouennaise elle aussi.
La coach vise les championnats du monde de patinage synchronisé junior, compétition à laquelle elle a elle-même participé à Göteborg en 2012. La discipline est un sport de précision, exécuté en musique par huit à seize patineuses sur la glace. « On va essayer de dessiner sur la glace des formes géométriques, des cercles, des carrés, des lignes et il faut que ces figures soient ensemble, tout ça en musique », explique l’entraîneure Clara Levieux.
Je cherche des qualités humaines et de savoir-vivre
Clara Levieux, entraîneure des Jeanne d'Arc de Rouen
Pour intégrer l’équipe rouennaise des Jeanne d’Arc, les athlètes viennent du Havre, de Louviers, Reims ou encore de Caen. Technique, sens du rythme, du caractère, mais pas trop, plusieurs cases sont à cocher pour être sélectionnée. « Je vais regarder si elles sont capables de s’adapter au groupe, je cherche des qualités humaines et de savoir-vivre », confie l’entraîneure.
Sport de haut niveau en manque de reconnaissance
Ces qualités, Clara Levieux les a repérées chez Maïlys Guelle, 15 ans. Originaire de Caen, l’élève de seconde a quitté le berceau familial pour poursuivre ses études à Rouen en internat et intégrer la Team Jeanne d’Arc. « J’avais déjà repéré l’équipe sur les podiums, et très souvent elles finissaient devant Caen, je les avais vues sur les réseaux et ça m’a donné envie de venir », explique Maïlys. « J'étais trop timide pour faire de l'artistique, pour être seule sur glace et là je me dis qu'on ne voit pas que moi donc c'est mieux », confie la jeune patineuse.
Si la Team Jeanne d’Arc participe à des compétitions nationales et internationales, le patinage synchronisé n’est pas reconnu comme sport de haut niveau par la France, contrairement au patinage artistique. Le Rouen Olympic Club (R.O.C.), se doit donc de négocier avec les établissements pour que les athlètes puissent conjuguer sport et études.
« Le patinage synchronisé n’est pas un sport olympique, donc c’est au bon vouloir des écoles », se désole Ludivine Eusebe, vice-secrétaire du R.O.C. Les écoles partenaires sont Jeanne d’Arc et les Bruyères pour les lycées, Camille Saint-Saëns pour le collège, l’école Saint Léon pour la primaire. « On a eu des autorisations de retard de 5-10 minutes et d’absence dès lors qu’il y a des compétitions », développe la vice-secrétaire du club.
La réussite scolaire fait partie des objectifs du club, ce qui rassure les parents, surtout lorsque leurs enfants sont scolarisés loin du domicile familial. « On l'accompagne parce que ça ne nuit pas à sa scolarité », insiste Sophie Boutillier Caudwell, maman de Maddie Boutilier, 15 ans, résidant à Reims dans la Marne, à 3 heures de route. « Le club de Rouen nous a plu parce qu'ils s'en occupent sur glace mais aussi tout ce qui est à côté », développe la maman, « ils sont un peu maman poule avec eux », sourit-elle.
Pas pro mais tout pour l’être
Sacrée championne de France junior à Vaujany en Isère, l’équipe se prépare pour sa première compétition internationale aux Pays-Bas. Yoga, préparation physique, préparation mentale, danse, théâtre… Le Rouen Olympic Club se donne tous les moyens d’atteindre le plus haut niveau.
En cours de yoga, les jeunes filles travaillent sur le relâchement. « Elles vont apprendre à relâcher et ça va apaiser tout le système », explique Martin Croguennec, professeur de yoga, « on va réduire le flux au niveau des pensées ce qui peut jouer aussi au niveau du stress à l’approche des compétitions », conclut-il.
Côté interprétation, les Jeanne d’Arc travaillent avec une comédienne pour trouver la bonne émotion. « Quand on parle d’amour, on n’en parle pas de la même manière à une fille de 13 ans et une fille de 19 ans, donc j’essaye vraiment de trouver des manières différentes d’avoir la même émotion », analyse Clémentine Malandin, comédienne de la compagnie Marceline.
De la Normandie aux Pays-Bas
Pour leur première compétition à l’étranger, les patineuses se rendent à Eindhoven, cinquième ville néerlandaise, berceau du géant Philips. Elles s’y rendent en bus, affrété par le club. Quand on aime, on ne compte pas. Une saison de patinage synchronisée avec ses compétitions en France et à l’international où elles sont logées et nourries revient à environ à 3500 euros par famille.
En plus de ce qu'on apporte à la maison, c'est une belle éducation, c'est une école de la vie.
Felana Rakotosolofo, maman d'Irina, patineuse de la Team Jeanne d'Arc
Pour les parents, l'investissement va bien au-delà du sport. « C'est l'esprit d'équipe, de solidarité et se donner les moyens d'atteindre un objectif commun » analyse Felana Rakotosolofo, maman d'Irina, patineuse de l'équipe. Felana et son mari Toki ont fait le déplacement pour encourager l'équipe aux Pays-Bas. « En plus de ce qu'on apporte à la maison, c'est une belle éducation, c'est une école de la vie », affirme la maman.
Ce déplacement sportif est aussi l’occasion de goûter aux petits plaisirs touristiques, ces parenthèses sont rares mais considérables pour la cohésion du groupe. Les jeunes femmes se créent des souvenirs dans la cité du design et de la technologie. « On a un emploi du temps assez chargé et on n’a pas trop l’occasion de faire des voyages scolaires, on est plutôt enfermées en France » témoigne Emma Lemelle, 17 ans.
Lèche-vitrines, photos, ces adolescentes sont bien raisonnables et rentrent de bonne heure à l’hôtel. Extinction des feux à 21h30, le lendemain, il faut encore se lever tôt.
Inatteignables, les États-Unis et la Finlande
Lors de la Lumière Cup, sorte de tournoi du grand chelem de patinage synchronisé, les Jeanne d’Arc se confrontent aux plus grandes nations de la discipline. Et la concurrence est rude. L’Amérique du Nord avec son patinage puissant et les pays scandinaves plus en finesse, dominent largement la discipline. Helsinki à elle seule, ne compte pas moins de 20 patinoires.
Nos jeunes patinent 20h en 5 jours
Mirjami Penttinen, entraîneure de la Team Mystique, Finlande
« Notre secret, c’est notre système scolaire, l’un des meilleurs pour les athlètes », révèle Mirjami Penttinen, entraîneure de la Team Mystique d’Helsinki, « Les élèves choisissent le minium d’heures de cours et peuvent ainsi s’entraîner pendant la journée, nos jeunes patinent 20h en 5 jours », confie l’entraîneure finlandaise.
Pour intégrer l’équipe américaine des Skyliners, des dizaines de jeunes filles postulent. Ces patineuses sont formées à la danse sur glace depuis leur plus jeune âge. « Toutes les filles qui arrivent dans cette équipe s’entraînent depuis longtemps et avec les mêmes codes », observe leur entraîneur Josh Babb.
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Depuis les gradins, les Jeanne d’Arc observent la Team Mystique finlandaise, fascinées. « Il y a beaucoup de vitesse, pas un bruit de lame, on dirait qu’elles volent au-dessus de la glace c’est vraiment super beau », admire Morgane Aubourg, 19 ans. C’est la dernière année pour la jeune Havraise, qui aura passé l’âge des juniors la saison prochaine. « Ça nous pousse, si on veut y arriver un jour, il faut travailler, peut-être changer de pays ! », ironise-t-elle.
Une deuxième famille
Si le podium est hors d’atteinte pour les Jeanne d’Arc, une qualification pour les mondiaux en Suisse reste à leur portée. Elles doivent dépasser les 105 points et battre l’autre équipe française Les Flammes de Wasquehal.
Tout se passe bien pendant le programme court mais la fatigue leur joue des tours lors du dernier entraînement officiel avant le programme long et une lourde chute lors d’un porté sème le doute. Après l'entraînement, elles analysent leur programme en vidéo et assument les critiques avec sagesse. « Elles sont plus matures que la moyenne », assure Clara Levieux, leur entraîneure, « elles ont déjà l’habitude de pas mal d’engagement et de sacrifices dans leur vie et sur la glace elles se battent ensemble, elles sont solidaires ».
Je suis fille unique [...] ces filles-là je les considère vraiment comme mes sœurs, c’est ma famille
Irina Rakotosolofo, patineuse de la Team Jeanne d'Arc, 15 ans
Dormir, manger, vivre ensemble. Des liens de confiance se créent et les plus réservées gagent en assurance. « Avant de faire de la synchro, je ne parlais pas trop aux gens, j’étais un peu seule, depuis, j’ai appris à aller vers les autres et maintenant c’est plus facile de se faire des amis », livre Kenza Ghanem, « on sait très bien que si on a un souci on peut leur en parler et qu’elles vont nous aider, c’est quelque chose que tous les gens n’ont pas », observe la jeune fille de 14 ans.
« En groupe, tu passes des moments forts et ça devient sentimental », révèle Jade Janowski, 16 ans. « Moi je suis fille unique et dès le plus jeune âge j’étais tout le temps toute seule », lance Irina Rakotosolofo, 15 ans. « Ces filles-là je les considère vraiment comme mes sœurs, c’est ma famille », confie-t-elle.
Apprendre à tomber et se relever
Lors du programme libre, cette famille de patineuses propose leur danse sur le thème des Jeux olympiques de Paris sans faillir. L’union a fait la force et les portés n’ont pas tremblé.
Malgré quelques erreurs, les Jeanne d’Arc dépassent les 118 points et battent les autres françaises. Une semaine plus tard, elles confirmeront leur place pour les mondiaux lors de la Budapest Cup.
Les Jeanne d’Arc terminent 10ème, mais la victoire est ailleurs. Tomber, se relever. Y retourner, la tête haute. À cette école de la vie, les Rouennaises ont décroché leur médaille.