Rapport sur les abus sexuels dans l’Eglise : « Même s’il n’y a pas de coup, ça détruit une vie » Jean-Marc, 66 ans

La Ciase, la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, a remis ce mardi matin son rapport. Au terme de 32 mois de recherches et d’écoute de victimes et d’auteurs, le constat dressé est accablant pour l’Eglise française.

Jean-Marc avait 12 ans. Il était enfant de chœur. A lui comme aux autres, le mercredi, le prêtre, qui possédait une télévision, proposait de regarder les émissions jeunesse. L’homme de foi profitait alors de cette réunion devant le petit écran pour asseoir Jean-Marc sur ses genoux et le masturber.

Deux ans plus tard, lors d’un camp scout, au motif qu’il est le seul à avoir un réveil, le prêtre demandera à l’adolescent de venir dans sa tente. Cette nuit-là, il le violera. Un drame longtemps refoulé, dont l’impact sera considérable sur la vie de Jean-Marc.

« Ce prêtre a gâché mon innocence »

« Même s’il n’y a pas de coup, ça détruit une vie. J’en veux encore énormément à ce prêtre. Il a gâché beaucoup de choses dans ma vie, surtout mon innocence. Et j’imagine chez d’autres personnes également puisqu’il a été déplacé de diocèse en diocèse » nous confie l’homme aujourd’hui âgé de 66 ans.

Son histoire, Jean-Marc Davergne l’a confiée le 15 septembre 2020 à la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, venue à Rouen comme dans d’autres régions de France, pour recueillir la parole des victimes. Un moment important dans le chemin de vérité sur lequel il s’est engagé.

« Je pouvais parler avec mes mots, sans être honteux, ni me sentir jugé. C’était un moment très fort. Enfin, il y avait des gens qui m’écoutaient » se souvient-il.

Car à 14 ans, Jean-Marc en est certain : il n’aurait jamais pu évoquer son histoire avec ses parents. «Ils ne m’auraient pas cru. Lorsque j’étais enfant,  le prêtre, le maire et l’instituteur étaient les trois personnes importantes dans les villages. Il ne fallait surtout pas en dire du mal ».

Pour Martine Erard, présidente de Reprenvis : « le silence est le problème majeur ». Créée en 2016 au Havre, l’association intervient auprès des victimes de violences sexuelles et forme les professionnels de tous horizons avec cet objectif justement de lever le silence. « Le silence de l’Eglise mais aussi le silence des familles qui tout comme l’institution veulent se protéger du scandale. Le principal pour une victime, c’est de lui dire : je te crois. Si on la croit, c’est qu’elle existe. En tant que personne et non pas en tant qu’objet. C’est le début de la réparation ».

Près de 250 histoires de vie partagées

Des enfants agressés comme Jean-Marc Davergne, la Ciase en a contacté plus de 6 500 et auditionné près de 250. Lancée en novembre 2018, après plusieurs scandales dont celui du père Bernard Preynat près de Lyon, cette commission indépendante a été mise en place pour enquêter sur les abus sexuels au sein de l'église catholique, depuis 1950.

Lors de la remise de son rapport ce mardi matin à Paris, en présence d’ecclésiastiques et de personnes ayant été abusées, Jean-Marc Sauvé, le président de la Ciase a souligné l’importance de leurs récits :  

« Les victimes détiennent un savoir unique sur les violences sexuelles et elles seules pouvaient nous y faire accéder. Ce vécu a été la matrice du travail de notre commission. C’est leur parole qui sert de fil directeur à ce rapport. Ces personnes étaient des victimes, elles sont devenues témoins et en ce sens acteurs de la vérité. C’est grâce à elles et pour elles que ce rapport a été écrit. »

Ce qu’il faut retenir du rapport de la commission Sauvé à retrouver sur FranceTv Info

216 000 mineurs victimes de religieux depuis 1950

Dans son rapport, la Ciase estime que 216 000 mineurs ont été victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950. Un nombre qui grimpe à 330 000, si l'on ajoute les personnes agressées par des laïcs, travaillant dans des institutions de l'Église (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse...). Des chiffres qui ne concernent que les personnes encore vivantes aujourd’hui. 

« Par leur ampleur, ces nombres sont bien plus que préoccupants, ils sont accablants et ne peuvent en aucun cas rester sans suite. Ils appellent des mesures très fortes » a souligné Jean-Marc Sauvé. 

D’après la Commission, après le cercle familial, c’est au sein de l’Eglise que la prévalence des violences sexuelles est la plus élevée. Devant l’école, les colonies et le monde du sport. Des abus qui concernent à 80% des garçons, avec une très forte concentration entre l’âge de 10 et 13 ans.  

 « J’ai envie de leur demander pardon même si cela peut paraître illusoire »

Ces chiffres ont laissé sans voix Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, présent à Paris ce mardi matin.

« Nous sommes accablés par ce chiffre de 216 000 victimes de prêtres, de religieux et de religieuses qui ont commis des agressions sexuelles sur des enfants et des jeunes. Qui ont trahi en quelque sorte leur vocation propre » nous a-t-il confié.

« Je ne peux que m’adresser aux victimes et leur dire combien nous sommes consternés. J’ai envie de leur demander pardon même si cela peut paraître illusoire. Je ne me suis pas fait prêtre pour ça et nous devons réparer et prendre d’autres mesures que celles que nous avons prises jusqu’à maintenant.

Demander pardon

Une demande prononcée également ce mardi matin à Paris par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, lors de la conférence de presse. Président de la Conférence des évêques de France, il est l’un des commanditaires de ce rapport. S’adressant aux victimes : « mon désir est de vous demander pardon. Le temps des ambiguïtés et de la naïveté est dépassé. Le travail de purification nécessaire doit être poursuivi sans relâche"

Une première étape pour Martine Erard. « La demande de pardon est souvent attendue par les victimes. Il est plutôt rare que les agresseurs la fassent. Mais pour être efficace, cela ne doit pas rester que des mots. On peut pardonner si on est sûr que l’acte reproché ne se reproduira pas. Peut-on être sûr ici qu’il n’y aura plus rien ? C’est un premier pas. Mais avec un seul pas on ne va pas loin. »

Des mesures tardives, inégalement appliquées et insuffisantes

Outre l’importance des violences sexuelles au sein de l’Eglise, le rapport souligne la culture du silence. « Jusque dans les années 2000, les victimes de violences sexuelles au sein de l’Eglise ne sont pas crues, pas entendues. » Pire note la Ciase :

« Face à ce fléau, l’Église catholique a très longtemps entendu d’abord se protéger en tant qu’institution et elle a manifesté une indifférence complète et même cruelle à l’égard des personnes ayant subi des agressions. Si, depuis 2000 et, plus encore 2016, elle a pris des décisions importantes pour prévenir les violences sexuelles et les traiter efficacement, ces mesures ont été souvent tardives et inégalement appliquées. Prises en réaction aux évènements, elles sont apparues à la commission comme globalement insuffisantes ».

Des recommandations pour éviter de nouveaux drames

Ce mardi matin, la Commission Sauvé a donc présenté 45 recommandations pour prévenir la répétition de tels drames : de la vérification des antécédents judiciaires, à la transformation de la gouvernance de l’Eglise, en passant par la formation des prêtres et des religieux, et le  maintien des cellules d’écoute pour les victimes.

« Des cellules d’écoute avec des gens formés » tient à souligner Martine Erard. « Il faut qu’ils aient un minimum de connaissance sur la façon d’accueillir et d’entendre la parole d’une victime ».

Indemniser les victimes

Enfin, dans leur rapport, les experts de la Ciase incitent l’institution à entreprendre tout ce qui peut l’être pour réparer le mal qui a été fait.

 « Face à tant de drames anciens ou récents, la commission estime qu’il ne peut être question de « tourner la page ». […] L’Église doit mettre en place une procédure de reconnaissance des violences commises, même prescrites, et indemniser les préjudices subis ».

Pour la responsable de l’association Repentis : «  cette indemnisation ne serait pas une réparation, mais un moyen pour se réparer. Ces violences sexuelles ont des conséquences dans tous les domaines de la vie. Cet argent pourrait leur permettre de se soigner, d’entamer une thérapie qui n’est aujourd’hui pas remboursée. »

Et  Jean-Marc Davergne d’ajouter : « Dans mon histoire, les faits sont prescrits. Et mon agresseur est mort. Cette indemnisation serait une reconnaissance. Ce n’est pas pour la somme. C’est symbolique »

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