Après 10 mois de détention,Tariq Ramadan a obtenu jeudi soir sa mise en liberté sous contrôle et caution judiciaire. L'avocat d'Henda Ayari, une accusatrice rouennaise réagit à cette libération.
Incarcéré depuis sa mise en examen le 2 février pour des viols qu'il conteste, l'islamologue suisse Tariq Ramadan devrait quitter vendredi 16 novembre la prison de Fresnes (Essonne), une fois versée la caution préalable de 300.000 euros fixée par son contrôle judiciaire.
Selon Jonas Haddad, avocat de Henda Ayar, une plaignante rouennaise :
(Sa mise en liberté), c'est une conséquence indirecte de ses semi-aveux"
Pour les magistrats de la cour d'appel de Paris dans leur décision dont l'AFP a eu connaissance : "Il n'est pas démontré que la détention provisoire de Tariq Ramadan serait encore l'unique moyen d'éviter une pression sur les témoins et les parties civiles ou de garantir son maintien à la disposition de la justice".
En vertu de cette décision rendue jeudi, l'islamologue suisse doit aussi remettre son passeport suisse et a interdiction de quitter le territoire ou d'entrer en contact avec les plaignantes et certains témoins.
Après près de dix mois de détention, il devra résider en région parisienne et pointer une fois par semaine au commissariat.
Son avocat a également déposé fin octobre une nouvelle demande de retrait de ses mises en examen pour le viol présumé de deux femmes, Henda Ayari et celle que les médias surnomment "Christelle". Leurs plaintes successives avaient lancé l'affaire à l'automne 2017.
Toutes deux affirment avoir subi un rapport sexuel d'une extrême violence, en 2012 à Paris pour la première et en 2009 à Lyon pour l'autre.
Je n'ai pas à fuir, je suis totalement innocent de ce dont on m'accuse. (...) "
Je vais rester en France et défendre mon honneur et mon innocence", avait-il déclaré jeudi pour tenter de convaincre les juges qui examinaient son appel contre le rejet, la semaine dernière, de sa quatrième demande de remise en liberté.
L'intellectuel, qui prenait pour la première fois la parole en public dans ce dossier, avait renouvelé cette demande à la suite de son revirement du 22 octobre: après un an de dénégations et contraint par la révélation de SMS sans ambiguïtés, Tariq Ramadan avait alors reconnu avoir eu une relation sexuelle avec chacune de ses accusatrices, mais "consentie" selon lui.Vendredi, les deux plaignantes, très actives sur les réseaux sociaux où elles sont victimes de harcèlement, ont dit craindre que cette libération galvanise les soutiens de l'intellectuel.
"Ce sont ces gens dévoués, corps et âme, aveuglés, qui sont dangereux ! Le fait de laisser sortir monsieur Ramadan, veut dire, dans leur tête : "nous avons une impunité totale", a déclaré "Christelle" sur Europe 1.
Après l'annonce de la prochaine libération, "j'ai été harcelée, j'ai reçu des appels anonymes, des insultes, ça a duré toute la nuit", a rapporté sur RTL Henda Ayari. "On me dit que je vais le payer... Donc je suis plus choquée par ce regain de violence à mon encontre que par sa libération en fait".
"Protéger ma famille"
A l'audience jeudi, Tariq Ramadan avait plaidé avec force son innocence pendant une vingtaine de minutes."Je n'ai jamais violé, je ne suis pas un violeur. C'est vrai que j'ai commis une erreur, j'ai pensé à protéger ma famille. C'était une erreur et une bêtise de ma part que ce mensonge", s'est-il justifié.
"Mais qui a menti le plus? Qui a instrumentalisé le mouvement #MeToo ?", s'est défendu M. Ramadan, reprochant à ses accusatrices de "se répandre dans les médias" alors que lui dit faire "confiance à la justice".
"La cour ne va pas se prononcer sur les charges qui pèsent contre vous, mais sur la question de votre maintien ou non en détention", l'avait rappelé à l'ordre le président.
À tour de rôle, les avocats de la défense et des deux plaignantes s'étaient auparavant renvoyé les accusations de menaces sur les protagonistes du dossier et leur entourage.
Une troisième femme, Mounia Rabbouj, a porté plainte à son tour en mars, mais les juges d'instruction ne se sont pas prononcés à ce jour sur ces faits.
En Suisse, la plainte d'une femme, déposée en avril, a entraîné en septembre l'ouverture d'une instruction à Genève. Tariq Ramadan doit être prochainement entendu en vue d'une inculpation dans ce dossier
Les grandes dates de l'affaire
De la première plainte pour viol contre l'islamologue suisse Tariq Ramadan à sa remise en liberté sous contrôle judiciaire après dix mois de détention, rappel des grandes dates de l'affaire.
Les premières plaintes
- Le 20 octobre 2017, Henda Ayari, ancienne salafiste devenue militante féministe,
- Le 26, une nouvelle plainte pour viol est déposée à Paris par une femme surnommée "Christelle" par les médias, pour des faits qui se seraient déroulés en 2009 à Lyon en marge d'une conférence.
La contre-offensive
Le 30 octobre, M. Ramadan dénonce sur Facebook une "campagne de calomnie". Le 2 novembre, ses avocats portent plainte pour subornation de témoin contre l'essayiste Caroline Fourest, qui dit avoir été alertée dès 2009 par trois victimes présumées de l'islamologue, dont la deuxième plaignante.Des accusations en Suisse
- Le 6 novembre, M. Ramadan dément sur son compte Twitter des accusations d'abus sexuels sur des mineures en Suisse entre 1984 et 2004, publiées par La Tribune de Genève. Il annonce une plainte pour diffamation.
- Le 7, l'université britannique d'Oxford annonce sa mise en congé.
La mise en examen
- Le 2 février 2018, Tariq Ramadan est mis en examen pour viols et incarcéré à Fleury-Mérogis. Confronté à "Christelle", il a été mis en difficulté par la connaissance qu'elle avait d'une cicatrice à l'aine, alors qu'il nie tout rapport sexuel avec ses deux accusatrices.
- Le 7 mars, une troisième femme affirme avoir subi une dizaine de viols entre 2013 et 2014 en France, à Bruxelles et Londres. Elle sera identifiée comme Mounia Rabbouj, ancienne escort-girl et protagoniste du procès pour roxénétisme de l'hôtel Carlton aux côtés de l'ancien directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn.
Une quatrième plainte
- Le 13 avril 2018, la Tribune de Genève révèle qu'une quatrième femme a déposé une plainte, une Suissesse qui accuse M. Ramadan de l'avoir violée et séquestrée dans une chambre d'hôtel à Genève en 2008.
- Le 18, une expertise médicale juge que le traitement de Tariq Ramadan pour une sclérose en plaques n'est "pas incompatible" avec sa détention provisoire.
- Sa demande de remise en liberté est rejetée le 4 mai, puis en appel le 22 mai.
- Le 5 juin, l'islamologue reconnaît des relations sexuelles "consenties" avec Mounia Rabbouj, mais maintient n'en avoir jamais eu avec les deux premières plaignantes.
Des confrontations
- Le 19 juillet, M. Ramadan est confronté à Henda Ayari, dont la version a été mise à mal par des incohérences sur la date et le lieu des faits qu'elle dénonce.
- Le 20, la justice rejette une demande d'annulation des mises en examen.
- Le 16 septembre, la presse suisse révèle qu'une enquête pour viol est ouverte à Genève.
Le 26 septembre, nouveau refus de mise en liberté. Des SMS de 2009, tout juste
versés au dossier, contredisent l'intellectuel musulman lorsqu'il affirme ne pas
avoir eu de relations sexuelles avec Mme Ayari et "Christelle".
Le 22 octobre, il reconnaît avoir eu des relations sexuelles "consenties" avec
ces deux femmes.
Le 15 novembre, après dix mois de détention, il obtient sa mise en liberté sous
contrôle judiciaire, prévue vendredi sous réserve du versement préalable d'une
caution de 300.000 euros. Il sortira de la prison de Fresnes (Val-de-Marne) où
il a été transféré au printemps car elle disposait de plus de moyens hospitaliers,
alors qu'il est atteint d'une sclérose en plaques.