En France, environ 6 000 nouvelles contaminations au VIH sont recensées chaque année. Plus de 95% d'entre elles se font par voie sexuelle. Le diagnostic est toujours un moment particulier pour les patients. Alors il faut les aider, avec bienveillance, à faire face à cette étape douloureuse.
Lorsque le couperet tombe, il laisse bien souvent le patient concerné sidéré. Avec une seule certitude, implacable : désormais, il faudra cohabiter avec le VIH ; la vie ne sera plus jamais comme avant.
"Les questions qui reviennent très souvent, c'est 'Est-ce que je vais mourir ? Est-ce que ça va m'empêcher de travailler, d'avoir des enfants ?'", relève le professeur Manuel Étienne, chef du service des maladies infectieuses et du CeGIDD (centre de dépistage) du CHU de Rouen.
Alors il faut trouver les bons mots pour répondre aux interrogations des patients.
Un temps pour mieux comprendre le diagnostic
Manuel Étienne rappelle d'abord que tous les diagnostics ne se font pas au CeGIDD. Les associations (AIDES, Sidaction...) ont en effet un rôle important à jouer, à la fois dans les tests du VIH et dans l'accompagnement des patients.
Dans tous les cas, il faut effectuer un deuxième test pour confirmer le diagnostic. "C'est souvent une annonce très progressive. La première étape, c'est de demander à la personne si elle est d'accord pour se tester. Cela nous permet d'aborder la maladie."
"Le premier test permet l'annonce d'une suspicion de diagnostic. Il s'agit de dire au patient 'C'est possible que vous l'ayez, il va falloir confirmer'. Un temps qui permet de répondre aux questions du patient. Si la prise de sang confirme les soupçons, on dit 'là, c'est sûr, vous avez ce virus', et on peut aller plus loin dans les explications."
Il y a plusieurs méthodes : des tests avec prise de sang, qui vont donner une réponse en 24 heures, et des tests rapides avec prélèvement d'une goutte de sang sur le bout du doigt. Ces derniers donnent une réponse en 20 minutes. Dans tous les cas, quand le premier test est positif, il faut être sûr que ce ne soit pas une erreur et refaire un deuxième test de confirmation.
Pr. Manuel Étienneà France 3 Normandie
"Plusieurs temps d'échange échelonnés dans le temps sont prévus avec le patient pour lui apporter des explications et lui laisser le temps de mûrir un peu", ajoute le Pr. Étienne.
Outre le rendez-vous avec le médecin, un entretien avec une infirmière d'annonce permet d'offrir au patient un autre cadre, souvent plus propice à l'échange. "C'est connu : les patients vont se sentir plus proches et plus en capacité de poser des questions à une infirmière."
"Très souvent, on demande au patient ce que le VIH représente pour lui. Que sait-il, est-il informé ? Il y a deux extrêmes. On a des personnes qui sont très sensibilisées, très renseignées, et d'autres qui ne connaissent pas du tout le virus. On s'adapte vraiment à la personne, on lui demande ce que ça signifie, pour elle d'avoir ce virus, et on va tenter de répondre à ses interrogations et de lui expliquer ce qui va changer dans sa vie."
Une réaction fréquente : la sidération
"Souvent, les gens qui ne sont pas concernés par le VIH imaginent que la première réaction à un tel diagnostic va être l'idée suicidaire. Je peux vous dire que, dans ma carrière, ça n'est jamais arrivé", rassure le Pr. Étienne.
"Très souvent, il y a d'abord un effet de sidération. Le patient va se refermer sur lui, se poser plein de questions, chercher comment et avec qui partager cette information. On encourage les patients à prendre ce temps-là. On propose également un soutien psychologique."
Les patients se voient également remettre les coordonnées d'associations pouvant leur apporter un accompagnement différent.
Au téléphone ou par le biais de rencontres physiques, anonymement ou non, ces structures permettent de rencontrer des personnes déjà porteuses du virus.
Un retour d'expérience bénéfique, qui permet souvent à la personne séropositive de mieux digérer le diagnostic. "Ça aide les patients à se projeter vers l'avenir."
43% des personnes diagnostiquées à un stade tardif
Aujourd'hui, un traitement quotidien permet de mener une vie relativement normale. Indétectable, le virus devient comme endormi. Et son porteur n'est plus contagieux. Manuel Étienne note toutefois que 43% des personnes diagnostiquées le sont à un stade tardif.
"Ces 43% sont très fragiles et ont un risque de complication mortelle dans les six mois qui suivent le diagnostic. Ça reste quelque chose de grave, ça reste une maladie grave lorsqu'elle est diagnostiquée tard", assure-t-il.
Si l'on annonce la maladie dans un contexte de maladie déjà très avancée, on est très prudent. On dit que la situation est grave, que les prochains mois seront difficiles, mais qu'avec les traitements, le patient pourra évoluer vers une vie normale.
Pr. Manuel Étienne
"Si on diagnostique les gens très tôt, qu'ils ont attrapé le VIH il y a peu de temps, là on peut leur dire 'vous êtes porteur mais pas malade, on va vous donner un traitement pour ne pas le devenir et ne pas transmettre le virus à vos partenaires'. Les deux situations se présentent."
"Ce qu'on explique, poursuit le professeur, c'est que si le traitement est bien pris, on ne développe pas de maladie. L'impact sur la vie quotidienne - si l'on n'est pas contagieux - devient très limité. On peut obtenir une bonne qualité de vie, à condition de toujours prendre le médicament. Mais avec les données médicales actuelles, on ne guérit pas de ce virus, et on ne peut pas s'en débarrasser."
Une application pour prévenir les partenaires
"Une autre question que les patients se posent, c'est 'Qui a pu me transmettre le VIH ?', pointe également Manuel Étienne. C'est une question délicate et souvent quelque chose que les patients ne sont pas en état d'aborder tout de suite. Ils doivent d'abord comprendre ce qui leur arrive, mesurer les conséquences."
"Quand le patient a un partenaire fixe, c'est exceptionnel qu'il ne trouve pas les mots pour le dire. J'ai rencontré cela très peu de fois dans ma carrière. Quand il y a plusieurs partenaires ou que ça peut être ancien, on leur demande d'essayer d'informer, mais on n'a aucun moyen légal de s'en assurer."
Le praticien précise qu'il existe des applications permettant d'envoyer anonymement un message anonyme à ses anciens partenaires pour les inviter à se faire dépister, comme Notification Partenaire.
Faire face à la discrimination
Un diagnostic, quel qu'il soit, suscite toujours des questions. Mais le VIH, encore très tabou, entraîne, lui, son lot de situations discriminantes et de questions pas forcément très à-propos.
Le Pr. Étienne déplore cette différence de traitement : "Quand les gens sont en bonne santé et qu'ils ne transmettent plus le virus, quelle est la différence avec quelqu'un qui prend un cachet tous les jours pour de l'hypertension ? Le regard des autres, la discrimination qui reste lorsque l'on dit 'je suis porteur du virus'. Ces mots déclenchent très souvent des réactions inappropriées. Ça oblige un peu les gens à se cacher, ça rend difficile le partage du diagnostic par crainte d'être rejeté ou discriminé."
Les patients font ainsi souvent face à des expériences de rejet ou de discrimination. Des moments difficiles qui les conduisent à dévoiler cet aspect de leur intimité avec prudence.
"Il ne faut pas faire de généralités, mais dire qu'on a le VIH, sur son lieu de travail ou dans un cadre peu informé, ce n'est pas toujours simple."
Une augmentation du nombre de diagnostics d'infection par le VIH
Dans les centres de dépistage, Manuel Étienne explique que certaines IST étaient en augmentation depuis plusieurs années, mais que la tendance était à la baisse du nombre de diagnostics d'infection par le VIH.
"C'est en train de repartir à la hausse, se désole-t-il. Il y a très clairement une banalisation de cette maladie et une méconnaissance de ce qu'est le VIH et comment il s'attrape."
Le but n'est pas de surfer sur la peur. Si vous êtes diagnostiqué, on pourra vous soigner, votre vie ne sera pas détruite. Mais il ne faut pas non plus banaliser le VIH : vivre avec, c'est quand même beaucoup plus difficile que de vivre sans ! Tous les jours, les patients séropositifs prennent leur médicament, et tous les jours, ils se souviennent qu'ils portent le virus.
Pr. Manuel Étienne
"Parmi les nouveaux diagnostics, une part de gens sont nés à l'étranger. Il y a des idées reçues qui disent que ce sont des étrangers qui amènent le virus. C'est faux, atteste également le Pr. Étienne. Des enquêtes de l'Inserm montrent que 90% des migrants diagnostiqués en France ignoraient qu'ils étaient porteurs du virus avant de quitter leur pays. Et 50% se sont contaminés après leur arrivée en France."
"Il est nécessaire de développer l'information, la prévention et l'accès aux soins, y compris pour les personnes en situation de précarité, pour espérer freiner le développement de l'épidémie", conclut-il.