Syndrome de Diogène : l’accumulation compulsive, un mal peu connu mais en forte hausse

Le syndrome de Diogène est un trouble qui se caractérise par l’accumulation d’objets, de déchets ou d’animaux. Il entraine des problèmes d’hygiène et d’insalubrité. Les cas sont peu fréquents mais les signalements ont explosé avec la crise sanitaire.

"J’ai ouvert la porte, c’était choquant, sordide". Lorsque Sylvie entre dans l’appartement de son frère Michel, elle se demande comment il a pu vivre ici jusqu’à sa mort. « Il y en avait partout ». Michel entassait des choses achetées compulsivement, des objets récupérés dans la rue... « ça montait jusqu’à 1m20 de hauteur » selon Sylvie.

Michel est mort dans son appartement du centre-ville de Rouen (Seine-Maritime), d’un AVC ou d’un arrêt cardiaque. N’ayant plus de nouvelles de son frère depuis plusieurs mois, Sylvie avait alerté la police, qui a découvert le corps sans vie de l’homme de 57 ans. Pour sa sœur, il y a d’abord eu la tristesse de perdre un être cher, mais aussi cette douloureuse surprise : elle ne savait pas qu’il était malade. « Après sa mort, j’ai trouvé 3 fois le mot « Diogène » dans son dossier médical ».

Isolement social et repli sur soi

Ce syndrome, elle n’en avait jamais entendu parler. Comme beaucoup, elle ne connaissait pas cette accumulation compulsive, qui consiste à garder et stocker chez soi des objets, des affaires, des détritus ou des animaux, sans être capable de s’en débarrasser. On l'appelle syndrome de Diogène, en référence à Diogène de Sinope, né en 413 av J.C., philosophe qui vivait seul dans un grand tonneau, rejetant toute convention sociale.

La stupéfaction est d’autant plus grande que Michel était quelqu’un de « carré », de « méticuleux ». Extrêmement doué à l’école, il était aussi un jeune homme « sensible », « fragile ». Malgré ses capacités intellectuelles, il ne parvient pas à s’insérer professionnellement. Michel vit d’abord avec ses parents, puis s’installe dans cet appartement où il vécut 20 années.  

Comme la grande majorité des personnes souffrant du syndrome de Diogène, Michel était isolé et n’invitait personne chez lui. « Comment aurais-je pu savoir ? » s’interroge Sylvie. C’est pour cela qu’elle témoigne : pour faire connaitre ce syndrome, permettre aux gens de détecter les signes de la maladie et d’agir.

Et justement, que faut-il faire si l’on s'aperçoit qu’un proche ou un voisin est malade ? « Alerter », répond le Dr Federica Porpiglia. Le service social de la mairie, par exemple. « La prise en charge du Syndrome de Diogène est plurielle : médicale mais aussi sociale », explique cette psychiatre du Centre Hospitalier du Rouvray.

Selon cette spécialiste des Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC), le syndrome de Diogène touche surtout des personnes âgées. Isolement social et repli sur soi sont une caractéristique de la pathologie. Les malades vivent le plus souvent dans des conditions d’hygiène dangereuses pour eux-mêmes. Parfois la salubrité de l’habitat est menacée. Lorsqu’il y a signalement, le malade est généralement hospitalisé : c’est pendant son séjour que le nettoyage des lieux est réalisé.

Des scènes « inimaginables »

Sur Internet, de nombreuses sociétés se qualifient de « spécialiste de Diogène ». Chez « A.N.G.E.R. Nettoyage », entreprise basée à Caudebec-les-Elbeuf, près de Rouen, « on ne court pas après ça ». Mais il faut bien répondre à la demande, car elle est forte, et les interventions sont bien souvent urgentes et complexes.

Dans un petit F2 où un monsieur stockait 475 lapins, il y avait 1 mètre d’excréments à l’intérieur

Mathieu Anger, ANGER Nettoyage

« Un chantier peut durer de 2 à 15 jours », explique Mathieu Anger, directeur d’agence. Tout dépend de la taille du logement, et du degré d’accumulation. « Par exemple, je suis intervenu dans un petit F2 où un monsieur stockait 475 lapins. Il y avait un mètre d’excréments à l’intérieur ». Trois personnes ont dû nettoyer les lieux pendant deux semaines, « à genoux dans les crottes de lapin ».

Sur son ordinateur, Mathieu fait défiler les photos de différents logements où ses équipes sont intervenues. « C’est inimaginable de voir que des gens peuvent vivre la dedans. Ça prend au cœur ». Cela est rare, mais parfois Mathieu croise l’occupant des lieux. « Ce n’est pas simple de savoir comment se comporter, car la personne souffrante ne veut pas qu’on touche les objets ». Même si ce sont des déchets qu’il accumule, « ce sont ses déchets à lui. Il ne comprend pas pourquoi on les met en sac ».

Les cas de Diogène ont triplé en un an

Mathieu Anger estime avoir fait une soixantaine d’interventions « Diogène » en 2022, contre une vingtaine en 2021. Les cas semblent exploser depuis la fin des périodes de confinement. La crise sanitaire est bien « à l’origine de l’augmentation de ce genre de cas » selon le Dr Porpiglia, « dans le sens ou il y a eu augmentation de l’isolement et une incitation, vu les conditions sanitaires, à rester chez soi ».

Même constat à la mairie de Rouen : « on est passés de 2 à 3 cas par an en moyenne à 6 ou 7 l’année dernière », selon Caroline Dutarte, première adjointe au Maire de Rouen en charge des solidarités, des personnes âgées, de politique de la ville et de l’insertion. « Ce sont des situations complexes car il faut accompagner des personnes en situation d’isolement, en rupture de tout ». Alors la municipalité a mis en place un « Protocole Diogène ».

Premier pan du protocole : une subvention, avec l’introduction d’une aide financière spécifique, plafonnée à 600€, pour régler les sociétés de nettoyage. La mairie est parfois confrontée « à des personnes dans un grand dénuement, qui n’ont pas les moyens de payer la facture ». Pour Caroline Dutarte, « il était important d’avoir cette aide afin d’agir concrètement pour désencombrer », et éviter les « problèmes d’hygiène ».

Deuxième pan du protocole : une douzaine d’agents de la ville ont été formés, en 2022, à « mieux appréhender le syndrome et ses conséquences ». Et notamment apprendre à communiquer avec les personnes atteintes par cette pathologie. Il s’agit de prendre en compte leur attachement aux objets, et leur grande détresse s’ils s’en détachent. Comme l’explique Caroline Dutarte, « on pourrait faire plus de mal que de bien à agir ».

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