Une maman a partagé, sur les réseaux sociaux, la mauvaise expérience de sa fille de 10 ans, verbalisée par des agents du réseau Astuce pour non-validation de sa carte d'abonnement. Selon sa mère, l'enfant n'aurait pas réussi à atteindre les bornes, faute de place dans le bus.
Ce lundi 23 septembre 2024, Maëlle*, 10 ans, se rend à son collège, situé sur le plateau est de Rouen. Le bus est surchargé, elle et quelques-uns de ses camarades ne parviennent pas à se faufiler jusqu'aux bornes de validation ; la conductrice leur intime alors de s'asseoir directement.
Malgré un abonnement en règle, des enfants verbalisés
Mais rapidement, des contrôleurs se présentent dans le véhicule. Malgré leur abonnement en règle, les enfants sont verbalisés, "sans explication" et sans prévenir les parents, précise Julie*, la maman de Maëlle, qui a souhaité partager son expérience sur les réseaux sociaux.
"Elle avait peur qu'on la dispute"
Maëlle vient d'une commune rurale en périphérie de Rouen ; depuis sa rentrée en sixième, elle emprunte les transports en commun du réseau Astuce pour la première fois. Au départ, elle ne comprend d'ailleurs pas ce qu'il s'est passé.
Sans explication de la part des contrôleurs, elle se retrouve avec un bout de papier entre les mains dont elle ne saisit pas la teneur.
"Elle m'a dit qu'elle n'avait pas compris que c'était une amende, explique Julie. C'est quelqu'un du collège qui lui a expliqué. Pour elle, c'est traumatisant, ça fait seulement trois semaines qu'elle prend le bus toute seule... Les contrôleurs alignent sans faire de prévention, mais j'imagine que la prévention, ce n'est pas lucratif. Du coup, elle a pensé à ça toute la journée."
Elle m'a dit qu'elle avait peur qu'on la dispute. Et m'a directement dit de prendre dans sa tirelire pour payer l'amende de 15 euros. J'étais effarée !
Julie*à France 3 Normandie
Le soir, Julie retrouve ainsi sa fille en larmes. "Les enfants ne se rendent pas compte qu'ils peuvent être verbalisés s'ils n'arrivent pas à atteindre les pointeuses. Ils sont encore petits ! Il n'y a pas eu de dialogue de la part des contrôleurs. Ils font leur quota..."
Au total, au moins une dizaine d'enfants sont verbalisés ce jour-là, dont "d'autres copines" de Maëlle, précise sa mère. D'autres personnes témoignent de cette salve de verbalisations ce jour-là sur Facebook :
Ils ne devaient pas avoir 11 ans, ils avaient bien leur carte sur eux et l'ont présentée. Je n'en ai pas cru mes yeux : l'une des enfants s'est mise à pleurer en allant à l'école l'amende à la main. C'est honteux, l'effet psychologique sur ces gamins.
Une témoin des verbalisationssur Facebook
Si la mère de Maëlle comprend que l'infraction est relevable, elle conteste la verbalisation d'une enfant de moins de 13 ans, citant un article du Code de la justice pénale des mineurs : "Il y a une notion de non-discernement des mineurs qui doit s'appliquer dans ce type de cas."
Une amende est-elle possible pour les moins de 13 ans ?
"La responsabilité pénale est l'âge à partir duquel un mineur peut être déclaré coupable d'une infraction. La loi estime [qu'elle] peut être engagée à partir de 13 ans. En dessous, la loi considère qu'un mineur n'a pas la capacité de comprendre les conséquences de ses actes. De ce fait, il ne pourra pas être reconnu coupable d'une infraction", précise en effet le site du service public.
Mais dans les faits, les avocats que nous avons contactés ne sont pas aussi tranchés. Alors quid de la légalité d'une amende pour les enfants ? Cité en 2021 par nos confrères de LCI, l'avocat au barreau de Paris Rémy Josseaume, spécialisé en droit routier, assurait qu'aucune peine ne pouvait être prononcée à l'égard des mineurs de moins de 13 ans, et qu'ils ne pouvaient pas non plus "se voir infliger d'amende forfaitaire".
Ces méthodes ne sont pas normales. À la SNCF, dans un cas comme celui-là, les contrôleurs contactent les forces de l'ordre pour faire venir le représentant légal de l'enfant...
Julie*à France 3 Normandie
Me Jérémy Kalfon, avocat au barreau de Rouen, explique, lui, que les mineurs ne sont - dans ce cas précis - pas verbalisés selon un texte de loi, mais selon le règlement intérieur du gestionnaire des transports en commun, en l'occurrence Transdev. "L'article 529-4 du Code de procédure pénale vient déléguer, en matière de police des transports, la constatation des infractions aux agents de la compagnie exploitante."
Pas une amende mais... une transaction
Les 15 euros réclamés par les contrôleurs ne sont donc pas à proprement parler une amende, mais une transaction, relevant alors du domaine civil et délivrée en dehors du cadre des textes de loi excluant la responsabilité pénale des mineurs.
"La transaction entre l'usager contrevenant et la compagnie va se substituer à la contravention pénale classique. Les enfants de moins de 13 ans ne peuvent pas payer d'amende contraventionnelle. En revanche, rien à ma connaissance n'interdit une compagnie de passer une transaction avec des enfants de moins de 13 ans", souligne M e Kalfon.
Les parents pourraient tout à fait ne pas la payer : devant une juridiction pénale, si l'amende adressée à un mineur de moins de 13 ans passait de la transaction à la contravention, elle serait inopérante.
Me Jérémy Kalfonà France 3 Normandie
Un piège sémantique, en somme... "C'est une situation un peu ubuesque au cours de laquelle les compagnies peuvent tout à fait infliger cette somme à des enfants, mais si les parents ne la payent pas, la compagnie ne pourra pas s'adosser à la puissance publique pour la recouvrer."
De nombreux témoignages de parents
De son côté, Julie ne compte malgré tout pas en rester là. Elle a saisi le Défenseur des droits et a refusé de payer la somme due. Mais ses tentatives de la contester se heurtent à un mur : lorsqu'elle appelle le réseau Astuce, impossible d'avoir un humain au bout du fil. "J'ai fait un mail, mais je ne m'attends pas à avoir de réponse. Visiblement, les réclamations sont triées et ils ne donnent pas suite à tout le monde."
Regardez le reportage de Calypso Vannier et Olivier Flavien :
Sur les réseaux sociaux, son post a rapidement fait réagir d'autres parents ; beaucoup décrivent des expériences similaires. Aurélien*, père d'une enfant de 11 ans, a lui aussi reçu une... transaction, en avril dernier, à la sortie du collège de Bois-Guillaume. Là encore, le véhicule était trop plein pour que sa fille puisse atteindre les bornes de validation.
"Elle n'a pas osé forcer le passage, se souvient-il, atterré. Les contrôleurs ont verbalisé la moitié du bus. Ma fille ne se sentait pas bien, elle avait l'impression d'avoir commis une faute."
"Des contrôles pédagogiques" effectués à la rentrée
Si Aurélien a réglé la somme de 15 euros le jour même, il dit regretter ce manque de souplesse, espérant que les contrôleurs fassent preuve de davantage de pédagogie avec les enfants.
Questionné à ce sujet, Sylvain Diran, directeur d'exploitation de Transdev, assure que "des contrôles pédagogiques" ont été effectués au sein du réseau "du 2 au 13 septembre, aux horaires des collégiens et des lycéens, près des divers établissements scolaires de la métropole".
Les agents y ont distribué des prospectus, avec l'objectif d'expliquer l'obligation de valider son titre de transport, sans verbaliser les contrevenants.
Passé cette date, Sylvain Diran explique que les agents du réseau "sont dans l'obligation de verbaliser. Si les parents ont des réclamations, ils peuvent les déposer. Nous répondons dans un délai de 15 jours." Concluant : "les agents sont formés pour rester pédagogiques et calmes."
*Les prénoms ont été modifiés.