Témoignage. Femmes afghanes exilées à Rouen : « Si on reste silencieux, la guerre peut arriver n’importe où »

Publié le Mis à jour le Écrit par Stéphanie Letournel
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Shogofa et Maryam sont arrivées en Normandie il y a tout juste un an. Grâce à l’art et à une vie de famille en Normandie, elles se reconstruisent.

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Autour d’une brioche et d’un café, Maryam, Shogofa, et Marie-Hélène. Une fratrie. On discute, on regarde le journal de la veille qui traite des manifestations de femmes en Afghanistan et on taquine la petite dernière qui a piqué une part de tarte, laissée sur la gazinière.

Une famille comme les autres. Enfin presque. Maryam, 24 ans et Shogofa, 27 ans sont arrivées chez Marie-Hélène et Isabelle il y a moins d’un an, en octobre 2021. Deux mois plus tôt, les talibans prenaient le contrôle de Kaboul, la capitale de l’Afghanistan. Menacés, des intellectuels et des artistes ont été exfiltrés. La France en a accueilli 2600, parmi lesquels Maryam et Shogofa.

Lorsque Marie-Hélène, comédienne et metteuse en scène rencontre les deux jeunes Afghanes, c’est le coup de cœur. « Elles sont calmes, respectueuses et délicates et on a plein de valeurs communes en tant qu’artistes », sourit Marie-Hélène, surnommée "Queen" par Maryam et Shogofa. Une famille moderne donc, qui travaille, jardine et part même en vacances ensemble. « Ma famille les connaît, la famille d’Isabelle aussi. Elles sont plus que des amies, c’est exceptionnel. J’ai une chance inouïe ! », confie Marie-Hélène.

Du traumatisme à la reconstruction

Ce dimanche d’août, à la veille du triste anniversaire de la prise de Kaboul par les talibans, Shogofa évoque ces premiers jours sur le sol français : « Quand je suis arrivée ici, je suis restée en état de choc pendant un mois. Je ne croyais plus en rien, je ne savais plus où j’étais. Avant, en Afghanistan, je n’avais pas une vie sans problème mais c’était une vie agréable avec ma famille. Du jour au lendemain tout s’écroule, tout est détruit ».

Shogofa travaillait dans le milieu éducatif pour les jeunes filles et les femmes et cultivait l’espoir d’un avenir meilleur pour les siens. Il a fallu qu’elle accepte de ne pas retrouver sa vie d’avant. « Lorsque j’ai accepté la réalité, je me suis dit, "Allez, on repart à zéro. Ici c’est un nouveau pays avec une nouvelle vie !" », affirme-t-elle.

Se réparer et vivre pour soi-même, pas seulement pour les femmes afghanes comme elle le faisait avant. « Je me suis fait beaucoup d’amis ici à Rouen et ils m’aident beaucoup à me trouver, à accepter ma nouvelle vie ». En France, Shogofa apprend la langue, s’émerveille de l’art, de l’Histoire : « J’ai commencé à peindre ici, je découvre tellement de choses tous les jours… les cultures des différentes régions. C’est très stimulant pour moi. »

« Les talibans s’en iront un jour et j’y retournerai plus forte »

Maryam, 24 ans, Autrice et comédienne réfugiée afghane

Loin des yeux, près du cœur

Grâce aux réseaux sociaux, Shogofa et Maryam gardent le contact avec leur famille, restée en Afghanistan. « La situation n’est pas normale. J’ai une sœur cadette qui devait finir ses études et maintenant elle ne peut plus aller à l’école. Quand j’avais son âge je pensais à mes examens, mon avenir… Aujourd’hui les jeunes filles ont perdu la motivation », s’inquiète Maryam.

Sa famille se réjouit de la savoir en sécurité avant tout. Et la jeune artiste savoure la chance de pouvoir vivre en France, en famille, sans oublier sa terre natale. « Nous sommes entourées de gens gentils et généreux… tout ce qu’ils ont fait et font pour nous... il n’y a pas de mot pour décrire ce sentiment merveilleux, pas de mot pour l'expliquer », souffle la jeune femme, avant de conclure, « les talibans s’en iront un jour et j’y retournerai plus forte ».

 « L’essentiel c’est de pouvoir faire ce pour quoi on milite. Et c’est à la portée de tout le monde »

Marie-Hélène Garnier, Metteuse en scène et comédienne

Ce sentiment indescriptible, Marie-Hélène "Queen" le partage. « Ça donne du sens à mon existence », révèle la comédienne. Issue d’un milieu plutôt militant, recevoir ces jeunes réfugiées à son domicile fait un peu partie de son éducation. « L’essentiel c’est de pouvoir faire réellement dans la vie quotidienne ce pour quoi on milite. Si c’est juste cliquer sur un réseau ça ne m’intéresse pas. Et c’est à la portée de tout le monde », soutient-elle.

« Je n’ai ni pouvoir politique, ni argent, mais j’ai mon art » 

Leur histoire sera retranscrite au théâtre. Les trois CDN normands, le Tangram d’Évreux-Louviers, le Volcan du Havre rejoints ensuite par le CDN de Tours ont uni leurs forces pour mettre en œuvre le projet artistique de onze artistes afghans, dont Maryam et Shogofa. « Kaboul, le 15 août 2021 » est mis en scène par Lucie Berelowitsch et Marcial Di Fonzo Bo, avec Saeed Mirzaei, artiste iranien, à la dramaturgie et à la traduction.  

Depuis qu’elle est en France, Shogofa apprécie le théâtre autrement. Il est selon elle une manière de transmettre des messages au public et aux politiques, avec force et finesse. « Je suis très heureuse de participer à ce projet. C’était nécessaire. Je n’ai ni pouvoir politique, ni argent mais j’ai mon art et je pense que c’est plus fort pour aider les gens ».

Au travers de cette pièce, la jeune femme souhaite mettre le monde en garde contre les ravages de la guerre. « Si on reste silencieux, la guerre peut arriver n’importe où. Il n’y a aucune garantie. Des gens fous et maléfiques peuvent décider de tout détruire du jour au lendemain ». Rendez-vous sur scène pour la première à Rouen le 15 septembre, au théâtre des deux rives.

 

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