Le 5 août 2016, 14 jeunes perdaient la vie dans l’incendie du bar « Le Cuba Libre » à Rouen. Six ans après, les familles se reconstruisent. Emilie a perdu son frère, Romain 21 ans. Johnny, a perdu sa fille unique, Megane âgée de 20 ans. Ils témoignent.
Il y a 6 ans, 14 jeunes perdaient la vie dans le terrible incendie du Cuba Libre. Le 5 août 2016, la bougie d'un gâteau d'anniversaire avait enflammé la cave du bar rouennais aménagée en mini dancing. Les matériaux pour assurer l’insonorisation du lieu étaient de piètre qualité et hautement inflammables. Cet aménagement n’était pas déclaré et n’avait pas fait l’objet d’un contrôle de conformité en matière de sécurité.
Six ans après, les familles n'oublient pas. Comment se reconstruire après la perte d'un enfant, d'un frère ? Comment apprendre à vivre sans eux ?
Tous les samedis, la maman d'Emilie fleurit la tombe de Romain. "C'est une habitude qu'elle a pris. A Noël il a le droit à un petit sapin, et une gerbe de fleurs en forme de cœur pour son anniversaire", raconte Emilie, qui a perdu son frère le soir du 5 août 2016. C'est elle qui avait dû prévenir ses parents, en vacances en Bretagne, et leur annoncer la terrible nouvelle. Six après, elle accepte de témoigner positivement en mémoire de Romain.
"Il est toujours là, je ne suis pas très cimetière mais je le vois dans tous mes rêves. A la maison, il y a beaucoup de photos de lui et on continue de parler de lui, beaucoup, et au présent". Emilie était très fusionnelle avec son frère, un "amour gémellaire", décrit-elle, qui s'était encore plus renforcé au décès de leur père en 2008.
Un deuil "positif"
La jeune femme vient de donner naissance à une petite fille. Elle compte bien faire en sorte que son frère fasse partie de sa vie. "J'ai mis une photo de Romain dans la chambre de ma fille, je lui expliquerai plus tard qu'elle a un tonton mais qu'il est parti jeune." Avant de fonder une famille, Emilie a été suivie psychologiquement. "Ca m'a aidé à moins souffrir. Ca a été compliqué d'accepter que mon petit frère soit parti avant moi. Aujourd'hui c'est plutôt un deuil positif : j'ai accepté qu'il ne soit plus là mais je veux que mon entourage le connaisse à travers les souvenirs."
Une semaine avant son décès, Romain, 21 ans, allait quitter le cocon familial. Il venait d'acheter un appartement et allait y emménager après avoir effectué quelques travaux. "Le soir du Cuba Libre, il me l'avait fait visiter avant d'aller à la soirée. Aujourd'hui j'ai gardé son appartement que j'ai mis en location, j'ai l'impression de continuer son projet."
Six ans après, Emilie souhaite faire passer un message positif à propos du deuil :
Même si ce sont des mots qu'on n'a pas envie d'entendre sur le moment, le temps fait vraiment les choses pour apaiser la douleur. La personne n'a pas pour autant disparue. Elle n'est plus là physiquement mais il y a toujours les photos, les souvenirs... On peut apprendre à se reconstruire petit à petit, sans oublier la personne.
Emilie, sœur de Romain
"On apprend à vivre autrement. C'est aussi un hommage de continuer à rester fort et continuer sa vie pleinement."
"Ce n'est que de la survie"
Si Emilie et sa maman ont accepté le deuil de Romain et vivent aujourd'hui avec le sourire, ce n'est pas le cas de tous. Pour Johnny, le père de Mégane, "ce n'est que de la survie". Le soir du 5 août 2016, il a perdu sa fille unique. Elle avait 20 ans. "Six ans c'est long et court à la fois. Pour moi c'est comme si c'était hier. J'ai encore les images dans ma tête, quand on m'a appelé. Tout ressort."
Johnny n'a pas trouvé la force de reprendre le travail. Il s'est séparé de sa femme après le drame. Il vit aujourd'hui seul, sous traitement, avec un suivi psychologique. "Il y a des jours où ça va très mal, des jours un peu mieux, mais ça ne va jamais très bien...", nous confie-t-il. "Il y a tous les jours quelque chose qui me rappelle ma fille. Une chanson, un film..."
Je suis toujours en reconstruction avec l'aide d'un psy. J'apprends à vivre sans mon enfant.
Johnny, père de Mégane
"La chose qui m'aide le plus, c'est de rencontrer les autres parents qui ont perdu leurs enfants. Ensemble, on vit dans les souvenirs, on s'aperçoit qu'on ressent la même chose. Ca aide. Notre combat, c'est pour que ce drame ne tombe pas dans l'oubli, pour qu'un tel drame ne se reproduise pas et que nos enfants ne soient pas partis pour rien. Nos enfants vivent à travers nous."
Un sentiment d'injustice
Johnny apprend aujourd'hui, avec l'aide de sa psychiatre, à "gérer sa haine envers les responsables". "Ce qu'ils ont fait c'est intolérable et comme il n'y a pas de justice, ça amplifie ma haine."
En effet, quelques mois après leur condamnation, les gérants du Cuba Libre sont sortis de prison. Ils ont été condamnés à 5 ans d'emprisonnement dont 3 ans ferme en octobre 2019. Ils n'auront passé que quelques mois en détention. "21 ans, c'est beaucoup trop jeune pour partir. La manière dont ça s'est fait, ça paraît encore plus injuste. Le fait que les propriétaires soit sortis 1 an et demi après son procès, ça réveille toujours ce côté d'injustice", nous confie Emilie.
Je ne leur souhaitais pas de passer perpète en prison, ça n'aurait fait revenir personne, mais 3 ans ferme c'était déjà pas mal pour leur donner une leçon et réfléchir aux conséquences de leurs actes.
Emilie, sœur de Romain
Six ans après, le Cuba Libre n'existe plus. Il a été remplacé par un magasin de cigarettes électroniques. Il ne reste qu'une stèle en mémoire des 14 victimes sur le trottoir d'en face.
Les familles iront s'y recueillir ce vendredi 5 août à minuit.