Tout au long de l'été, on partage vos plus beaux souvenirs de vacances. Celles de Brigitte, de la moitié des années 1950 à la fin de la décennie suivante, c'était dans un village de campagne de l'Oise. Et la petite rouennaise, habituée à la vie en appartement, y jouissait d'une liberté totale.
Il y avait Martine. Le petit Jean-Pierre, le plus jeune, toujours à geindre. Pas le plus populaire. Les voisins d'en face, Louis, Serge et Josette. Et puis Daniel Suskow, un gamin facétieux devenu dompteur de fauves. Une vraie maison du bonheur, remplie de cris d'enfants et de bêtises en série. Chez la discrète tante Solange, à Saint-Félix (Oise), Brigitte découvrait, dès ses six ans, l'air frais de la campagne, le caquètement des poules et les balades au milieu des champs. Une immense joie pour la jeune citadine.
"On passait par Beauvais, et quand on arrivait, on voyait le toit de l’église et la pancarte "Saint-Félix". Là, pour moi, c’était le bonheur."
Brigitte71 ans
"Je ne faisais que des choses que je ne faisais pas à Rouen"
"Avec ma mère et mes deux sœurs, on habitait Sotteville-lès-Rouen. À cette époque-là, il devait y avoir trois immeubles. Notre appartement avait deux chambres et deux balcons. On était un peu les unes sur les autres, mais j’aimais bien avoir du monde autour de moi. Ça m’allait bien !
Pendant les grandes vacances, Saint-Félix, c’était le mode de garde de ma maman, qui travaillait tous les jours, sauf le dimanche. J’y allais au moins un mois. En général, c’est mon père qui nous conduisait. Il avait une 2CV. Il y avait deux sièges arrière et une barre au milieu, inconfortable. Je n’ai pas de souvenirs précis de départs en vacances… Mais je sais que mes sœurs et moi, on se disputait beaucoup pour ne pas s’asseoir au milieu. Et je perdais souvent !"
"Dans la maison de ma tante Solange, il n’y avait pas de salon, mais une salle à manger – cuisine et trois chambres. Et dehors, deux grands jardins. Ce n’était pas fermé : on passait à travers une grange en terre battue, et de là, on pouvait accéder au deuxième jardin. Là, il y avait un immense potager. Autour, des champs, des animaux… Il y avait toujours un chat qui traînait, des poules, des lapins… À Saint-Félix, il y avait des petites fermes avec une dizaine de vaches. On allait y chercher le lait. J’adorais regarder la fermière traire les vaches à la main. Et puis, j’étais souvent dans le poulailler, je donnais à manger aux animaux. Ma mère m’a raconté qu’une fois, je m’étais retrouvée recouverte de poussins !"
"Le week-end, l'été, les amis et la famille venaient à Saint-Félix. On mettait des matelas par terre. Je me souviens des grandes tablées dehors. Du poulet rôti du dimanche. Les repas se terminaient toujours par une grande promenade dans les champs. Puis, les gens repartaient… Mais il restait toujours beaucoup d’enfants."
"On faisait ce qu’on voulait, du moment qu’on ne salissait pas la maison. Alors je ne faisais que des choses que je ne faisais pas à Rouen ! Et puis, il n’y avait pas de télévision. On jouait tout le temps dehors. Je jouais beaucoup avec les garçons. On allait glaner dans les champs : on prenait la grosse brouette, avec des montants en bois, et on rapportait du blé pour les poules. On allait jouer dans les bois, on montait dans les arbres. On allait au lavoir. On faisait des élevages de grenouilles : on rapportait de l’eau de la mare et des têtards et on attendait de les voir se transformer, dans le seau.
J’ai le souvenir d’avoir toujours été perchée dans les arbres. Et celui de parties de cache-cache. C’est comme ça que j’ai vu une vipère. Et puis le soir, notre grand plaisir quand on était couché, c’était de ressortir par la fenêtre… Elle n’était pas très haute."
La grande liberté
"On ne mangeait que des produits que tante Solange trouvait sur place. Elle achetait un peu de viande rouge, de charcuterie et du pâté. Sinon, c’était les légumes du jardin. Elle faisait toutes ses conserves, qu’elle stérilisait. Il fallait toujours finir notre assiette, c’était un peu casse-pieds. Et puis, j’ai des souvenirs de repas où l’entrée, c’était du lait avec une biscotte dans une assiette à soupe. Les étés devaient être très chauds, car après le repas, tante Solange ne voulait pas qu’on sorte. Je m’ennuyais fermement, et je sortais par la fenêtre !
Les commerçants passaient régulièrement dans la rue. Ils klaxonnaient, et c’était la fête. Il y avait le facteur, le boulanger, le boucher-charcutier… Tous les voisins se retrouvaient. Et le boucher distribuait des rondelles de saucisson aux enfants."
"J’étais du genre à faire des bêtises. Et j’ai pris quelques coups de torchon !"
"Saint-Félix, c’était la grande liberté. À cette époque-là, on surveillait moins les enfants. Et j’étais du genre à faire des bêtises. Je me souviens d’avoir piqué le colis de Jean-Pierre pour manger ses bonbons, avec les autres enfants. J’ai pris quelques coups de torchon en guise de remontrances ! Mais moi, ça me faisait rire et je me sauvais. C’était une époque plus insouciante. Cette liberté que l’on avait, assez précieuse, je ne la donne pas à mes petits-enfants aujourd’hui."
Tante Solange, une énigme
"Tante Solange était une dame de la campagne. Je sais qu’elle aimait les enfants. Elle s’occupait bien de nous mais elle était sévère. Comme avec les chats ! C’était une bonne personne, mais elle ne montrait jamais ses sentiments. Sauf avec Jean-Pierre. D’ailleurs, on savait bien que c’était le petit chéri… On l’embêtait pour ça, lui braillait comme un âne et ça nous faisait bien rire !
C'était des gens qui n'avaient pas beaucoup de moyens. Le mari de tante Solange travaillait à la laiterie. Je me rappelle que tous les soirs, elle lui préparait sa gamelle pour le lendemain matin. Il partait tous les matins à 4h, en mobylette, et ne rentrait pas avant 14h. C’était tante Solange, la forte personnalité dans le couple. Lui ne parlait pas trop. Il m’a toujours fait l’effet d’être très fatigué. Le seul moment où on le voyait, c’était le dimanche... Sinon, il était un peu absent. Je l’ai découvert un peu plus tard, quand j’étais plus âgée. On avait un jeu ensemble : on faisait comme si on commentait les matchs de football. Il est mort à peu près à l’âge de la retraite, comme beaucoup d’hommes à cette époque."
"Des années plus tard [à la fin des années 1960, ndlr], je suis tombée malade, l’année de mon bac. Ma maman m’a proposé de passer quinze jours à Saint-Félix. J’ai dit oui. Et là, il n’y avait plus grand monde. J’ai compris que tante Solange m’aimait bien ; elle était vraiment contente de me voir. C’est à ce moment-là que l’on a vraiment tissé des liens. On faisait le tour du village en passant par le cimetière, et elle me racontait toute l’histoire de Saint-Félix à travers les tombes. J’adorais ça. Plus tard, elle m’a dit "tu te rends compte… Il y avait tellement de monde à Saint-Félix…". Elle aimait être entourée, et elle était malheureuse que ce soit fini."
Retour en 2023. Aujourd'hui, Brigitte vit en périphérie de Rouen. Mais entourée de verdure. Ce besoin d'espace, loin du bitume, lui vient-il au moins un peu de Saint-Félix ? "C'est sûr. Mon goût de la campagne, ça ne peut venir que de là."