Santé. La dépression peut-elle altérer la mémoire ?

C'est la 20e édition de la journée européenne de la dépression. Faut-il s'inquiéter si, en plus d'un état dépressif, vous oubliez des tas de choses du quotidien ? Réponse avec des chercheurs normands qui se sont penchés sur les liens entre dépression et mémoire.

"Pendant les moments dépressifs, des troubles de la mémoire s'expriment chez les personnes atteintes. Il ne s'agit pas d'amnésie, mais de troubles du rappel : il est difficile d'accéder aux informations stockées dans le cerveau", explique d'emblée Francis Eustache. Ce neuropsychologue spécialiste de la mémoire et ses équipes de Caen (Calvados) ont mené des travaux sur le cerveau et la dépression.

Les chemins de la mémoire altérés

En somme, si vous êtes dépressif et que vous oubliez certaines choses, ce n'est pas la capacité de stockage de la mémoire qui est altérée. Les informations sont bien encodées et rangées au bon endroit. Mais il est difficile de trouver le chemin pour y accéder.

"Quand on donne des indices aux personnes qui participent à nos études, celles qui sont dépressives finissent par se rappeler et trouver l'information cherchée. C'est très différent des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Dans leur cas, les indices n'aident en rien puisque pour elles, l'encodage de l'information ne marche pas. Ce n'est pas stocké dans le cerveau" précise Françis Eustache.

Une personne dépressive est en raison de sa maladie moins réceptive au monde qui l'entoure. Elle peut montrer un certain désintérêt, ce qui ne favorise pas l'attention, facteur indispensable pour se remémorer un titre de film, ou le nom d'une personne que l'on connaît pourtant bien.

"Ce n'est donc pas la mémoire elle-même qui est altérée. En revanche, donner pour conseil à un dépressif d'être vigilant et bien organisé afin d'éviter de perdre ses clefs n'a aucun sens. Ça ne marche que pour une personne en bonne santé et qui a une bonne mémoire. Certaines dépressions sont bien trop graves et profondes pour que ce type de conseil ait un sens."

Des souvenirs enveloppés dans "quelque chose de triste"

Quand on souffre de dépression, on se focalise sur les événements négatifs, "même un fait plutôt neutre va être relu de manière négative." La mémoire stocke ainsi des souvenirs auréolés de gris ou de noir parce que "la mémoire est cohérente avec nos affects et notre état d'esprit. La lecture des moments présents et la convocation des souvenirs passés sont enveloppées dans quelque chose de triste."

Est-ce que ne parler à ses voisins de ce qui ne va pas, ou raconter tous les jours à la machine à café sa vision négative de la vie rime avec un état dépressif ? Il n'est évidemment pas si simple de répondre.

"Dans le monde aujourd'hui, il y a un certain nombre de situations coagulées comme l'éco-anxiété, les situations internationale et sociale...cela peut générer une forme de tristesse ou de morosité. La dépression réactionnelle souvent légère est un continuum de cet état triste. La frontière entre les deux n'est pas évidente."

Les différents impacts sur la mémoire de la dépression

Le spécialiste de neuropsychologie résume ainsi ces impacts :

• Difficultés de concentration : Les personnes dépressives ont souvent du mal à se concentrer sur les tâches et à maintenir leur attention. Cela peut rendre difficile la mémorisation d'informations nouvelles.
• Altérations de la mémoire de travail : La mémoire de travail est responsable de la manipulation temporaire des informations. Les personnes dépressives peuvent avoir des difficultés à utiliser leur mémoire de travail, ce qui peut affecter leur capacité à résoudre des problèmes et à retenir des informations à court terme.
• Troubles de la mémoire autobiographique : La dépression peut entraîner des distorsions de la mémoire autobiographique, où les souvenirs personnels sont teintés de négativité. Cela peut entraîner un rappel sélectif de souvenirs négatifs et une perte de souvenirs positifs.
• Altération de la mémoire épisodique : La mémoire épisodique est responsable du rappel d'événements spécifiques. Les personnes dépressives peuvent avoir des difficultés à se rappeler des détails d'événements passés en raison de perturbations dans cette mémoire.
• Impact sur la formation de nouveaux souvenirs : Les troubles du sommeil fréquents chez les personnes dépressives peuvent affecter la consolidation de la mémoire à long terme. Cela signifie que la création de nouveaux souvenirs peut être compromise.

Un retour à la normale de la mémoire à la fin de la dépression

La dépression est le trouble psychique le plus courant, quel que soit l'âge, depuis l'enfance jusqu'à la vieillesse. Mais "une fois que l'épisode dépressif est résolu, la personne retrouve généralement de bonnes capacités de mémoire, ce qui suggère que les altérations de la mémoire sont réversibles", conclut Francis Eustache.