Le personnel soignants des hôpitaux, cliniques, maisons de retraite, établissements pour handicapés, aides à domicile... ont jusqu'au 15 septembre 2021 pour se faire vacciner. La pilule passe mal pour les soignants normands.
"D'abord applaudis, et maintenant stigmatisés et contraints". La pilule est dure à avaler au lendemain des annonces d'Emmanuel Macron qui veut rendre obligatoire la vaccination des soignants. "Je suis vraiment outrée. Nous avons été lâchés là-dedans sans protection, à venir travailler même en étant malade du Covid. Nous étions les "héros" qu'on aplaudissait et maintenant on nous fait comprendre que nous contaminons nos patients", nous lance une aide-soignante rouennaise.
Personnels soignants et non-soignants des hôpitaux, cliniques, maisons de retraite, établissements pour handicapés, aides à domicile... tous sont concernés par cette obligation vaccinale et auront jusqu'au 15 septembre 2021 pour le faire. Au-delà de cette date, "vous ne pourrez plus travailler et vous ne serez plus payés", a indiqué le ministre de la Santé Olivier Véran.
"Notre liberté est baffouée"
"Je suis pour la vaccination, mais pas pour la rendre obligatoire", nous indique Sophie, infirmière au CHU de Rouen et vaccinée depuis avril. "C'est une atteinte à la liberté. Pourquoi uniquement les soignants ? Nous ne sommes pas les seuls à être en contact avec des personnes vulnérables", s'interroge la jeune femme.
Pourquoi pas les enseignants, en contact direct avec des enfants ?
"Depuis le début on nous dit qu'il n'y aura pas d'obligation et aujourd'hui on fait tout l'inverse. Notre liberté est bafouée !", lance Sylvie Cresson, représentante syndicale FAFPH (fédération autonome de la fonction publique hospitalière) et aide-soignante à l'Ehpad de l'hôpital d'Yvetot. "Menacer de ne plus pouvoir travailler et de ne plus être payé, est-ce qu'ils se rendent compte de ce qu'ils disent ?! Certains de mes collègues refusent parce qu'il n'y a pas assez de recul, ils sont prêts à changer de boulot mais pour faire quoi ensuite ?"
Pour la représentante syndicale, cette mesure est contradictoire. "Au début du Covid, on avait du mal à avoir du matériel. On n'avais ni gants, ni masques. Dans certains hôpitaux, certains se protégeaient avec des sacs poubelle ! On demandait à certain collègues qui avaient le Covid de quand même venir travailler. Ça n'inquiétait personne !"
La grippe tue énormément de monde chaque année, mais le vaccin contre la grippe n'est pas obligatoire.
"On l'avait senti venir"
Mais au fond, ces annonces ne sont pas vraiment une surprise. "On l'avait senti venir, on savait que ça allait être les soignants en premier", nous explique Quentin, soignant dans un Ehpad à Breteville-sur-Odon, près de Caen. Le jeune homme est "sceptique" au vaccin. "J'estime qu'on ne peut pas fabriquer un vaccin en un an, même si on y met toutes les volontés. On a pas assez de recul pour la suite."
"Je vais obliger mon personnel à contre cœur"
Pour une directrice d'Ehpad normande (celle-ci souhaite rester anonyme), c'est la goutte de trop. "Nous nous sommes retrouvés au front à gérer des situations complexes sans aucune aide de l'Etat. Nous avons été des héros. Aujourd'hui nous vivons encore le post-Covid très compliqué à gérer au quotidien, manque de personnel... Et aujourd'hui on rajoute à nos métier des contraintes."
Je vais me faire vacciner à contre cœur. Je vais obliger mon personnel à se faire vacciner à contre cœur. Je suis écœurée de ne pas pouvoir disposer de notre corps comme nous le souhaitons alors que nous nous sommes battus corps et âme contre ce virus.
L'aide à domicile "favorable à cette obligation"
De son côté, Olivier Savier, directeur de la fédération départementale ADMR 76 (Aide à Domicile en Milieu Rural), rappelle qu'au niveau national, les ADMR sont favorables à cette obligation, comme cela a été évoqué la semaine dernière avec le ministre de la Santé. Il précise qu'il y a une diversité de métiers parmi ses salariés (infirmiers, aides-soignants, aides à domiciles, porteurs de repas…) et que tous ne sont pas "personnels de santé". Il attend donc, après les annonces d'Emmanuel Macron, la publication des textes précisant la mise en œuvre de ces mesures.
Il faudra regarder les textes pour savoir quels sont les personnels concernés et les délais, et on verra ensuite, avec l'Agence régionale de santé, comment accompagner nos salariés, discuter avec eux et les faire passer à l'acte, car nous avons un devoir d'exemplarité.
Il ajoute que la question de se faire vacciner concerne aussi "tous ceux qui sont autour des personnes fragiles, comme les membres de la famille, les proches, les amis, les aidants."
Concernant les risques de sanctions, et notamment de privation de salaire, Olivier Savier est confiant : "Premièrement on va discuter avec nos salariés, et deuxièmement, on va expliquer et dialoguer, mais en n'oubliant pas qu'il y a obligation. On a déjà eu, par le passé, ce genre de situation avec les vaccins obligatoires tels que le DTP (diphtérie, tétanos et polio) ou l'hépatite. Donc avant la sanction on engage le dialogue".
Pour l'ADMR 76 le compte à rebours a déjà commencé car le mois de septembre va arriver très vite (surtout en tenant compte des délais entre les deux doses de vaccins) comme l'explique son directeur : "On s'organise dès maintenant avec un état des lieux puis un dialogue avec les salariés pas encore vaccinés. On verra alors le nombre de "récalcitrants". Puis on mettra les moyens pour les accompagner car on a aussi un devoir de protection de nos propres salariés, dont la moitié a plus de 40 ans. On attend donc de voir les textes pour connaître la "règle du jeu" et les précisions de mise en œuvre et les délais. On sait de toute façon que la vaccination est le seul moyen, la principale arme efficace, pour lutter contre la pandémie. Surtout quand on a la responsabilité de ceux qui s'occupent des personnes les plus fragiles".
En Seine-Maritime ce sont 1350 salariés qui, 24h/24 et 7 jours sur 7, s'occupent de de personnes fragiles (7000 bénéficiaires dont un tiers de nonagénaires).