De leur service de nuit à leur départ de chez elles pour leur nouvelle vacation, plusieurs femmes témoignent de leur dure réalité. Un rythme de vie qui n'est pas sans conséquences sur leur santé et qui montre la persistance des inégalités sociales hommes-femmes.
En quoi le travail de nuit pour les femmes diffère-t-il du travail de nuit pour les hommes ? Quels sont les avantages réels ou supposés de cette alternative au travail de jour ? A travers les témoignages de ces femmes, c'est un pan de notre société qui nous est livré par le réalisateur Guillaume Terver.
Voici trois bonnes raisons de voir ce documentaire.
"Elles travaillent la nuit" de Guillaume Terver
Une coproduction France Télévisions, Un film à la patte
1. Parce ce que derrière le choix, une réalité s'impose
Bien sûr, il est des femmes qui choisissent de travailler de nuit. "Pour la paie" dit l'une d'elles.
"Parce que le travail de nuit m'apporte encore cette possibilité d'être avec le patient, et non pas d'être le courant d'air qui passe vite dans la chambre déposer le traitement. J'ai encore cette possibilité de m'asseoir au bord du lit du patient et de discuter avec lui", dit une infirmière de nuit.
Mais pour d'autres, les motifs sont plus flous. La crainte des chefs: "Niveau travail la nuit, c'est beaucoup moins stressant parce qu'on n'a pas les grosses têtes au-dessus en train de nous surveiller."
La crainte de la surcharge de travail :"La journée, quand on est du matin, c'est bien jusqu'à une certaine heure; après il y a tout le monde qui débarque, on vous en demande un peu plus."
Mais pour beaucoup, le choix n'en est pas un :
Je ne me suis pas réveillée un matin en me disant : quand je serai salariée, je choisirai la nuit. Pas du tout. C'était pas un choix. J'ai choisi de faire les nuits parce que mes enfants étant petits, c'était compliqué de les amener à l'école; quand j'étais de journée, je ne savais pas ce que mes enfants faisaient au niveau des devoirs. Mon mari ne s'en occupait pas. Donc par contrainte, je me suis dit : il faut que je change mon rythme de travail.
Extrait du documentaire "Elles travaillent la nuit"
2. Pour en comprendre les difficultés
Le documentaire s'ouvre presque sur ce constat fait par l'une des témoins : "Travailler la nuit, c'est mental, c'est comme le sport. Si tu te conditionnes, tu y arrives. Après, il y a des gens qui y arrivent et des gens qui piquent du nez vers 4 heures du matin".
Toutes témoignent de la grande fatigue que le travail de nuit génère : "Dans la nuit, on a toujours le coup de barre (...) Faut que je me secoue un peu", dit l'une. "Je bois du café et je m'active toujours pour ne pas tomber", déclare l'autre." A chacune ses astuces. "On essaye d'ouvrir les fenêtres pour se mettre un coup de frais". Elles développent "une hyperactivité physique de façon à contrer le sommeil qui pointe le bout de son nez ; il est en embuscade partout." Comme un danger.
Le travail de nuit, on le ressent, on prend une baffe. Le corps, il prend une claque.
Extrait du documentaire : "Elles travaillent la nuit"
Elles évoquent également des troubles alimentaires : "Au début, quand j'étais de nuit, tous les matins j'avais mal au cœur; ça le fait à beaucoup de gens qui sont de nuit : la nausée à ne pas savoir si on a faim ou si c'est parce qu'on n'a pas faim. Vous ne savez plus si c'est l'heure de déjeuner, de manger..."
"Il m'est arrivé de rentrer à la maison le matin et de manger de la pizza. C'est pas forcément un dîner, je prends ce qu'il y a mais c'est plus salé que sucré parce que je vais dormir : je ne peux pas prendre un petit-déjeuner et aller dormir !"
"Moi j'ai pris dix kilos.(...) On ne tient pas dix heures de nuit sans manger; on grignote du sucré avec le café; tout ce qu'il ne faut pas."
3. Parce qu'il dit beaucoup des inégalités sociales entre hommes et femmes
C'est la grande force du documentaire. Toutes ces femmes, ce pourrait être nous. Elles travaillent de nuit. Et elles en paient le prix fort. Mais elles ne se plaignent pas. Qu'elles aient fait un choix de cœur ou par défaut, elles assument.
Car s'il est concevable pour un homme qui travaille la nuit de se reposer la journée, la travailleuse doit assumer le quotidien du foyer aux dépends de son rythme de sommeil. "On a plus de facilités dans la journée - pour prendre les rendez-vous, ndlr-, mais c'est parce qu'on prend sur notre sommeil." Ainsi le manque de sommeil vient s'ajouter au manque de sommeil. Un point en commun à toutes ces femmes.
Les conséquences sociales et familiales sont lourdes. "Avant, même de nuit, on discutait toujours un peu. Aujourd'hui, on n'a qu'une hâte, c'est de rentrer chez soi, tellement on est fatiguées."
Quand on dort une partie de la journée, on est forcément en décalage avec la famille : "on a eu des difficultés quand j'ai démarré (le travail de nuit, ndrl), je perdais beaucoup de moments avec mon mari; ça crée des tensions importantes." Sans parler des amis.
Au fil du temps on se renferme. Moi, j'ai pas d'amis. Le travail de nuit a créé le vide parce que j'étais pas dispo pour faire les sorties en même temps qu'eux; on ne peut pas créer des liens, si on n'est pas là.
Extrait du documentaire "Elles travaillent la nuit"
"Elles travaillent la nuit", de Guillaume Terver (France Télévisions, Un film à la patte)
Un documentaire à voir ce jeudi 26 janvier 2023 à 23h45 sur France 3 Normandie.
Rediffusion le lundi 30 janvier à 9h05.
Et bien sûr, sur notre site internet quand vous voulez.