Les facultés mentales de la milliardaire au coeur des débats

Liliane Bettencourt était-elle dès 2006 une vieille dame sénile ou seulement sujette à des absences momentanées? La question sera au cœur de la deuxième semaine du procès, à Bordeaux, de dix hommes soupçonnés d'avoir abusé de la faiblesse de la richissime héritière de L'Oréal.

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Interviews télévisées de l'héritière du groupe L'Oréal datant de 2010 et 2011, examen minutieux des actes et testaments signés à l'époque: le tribunal correctionnel va scruter par le menu le degré de lucidité de la femme la plus riche de France, aujourd'hui âgée de 92 ans. Et dont une expertise médicale avait diagnostiqué en 2011 une "démence mixte" depuis 2006.

Dès vendredi, ses deux petits-fils, parties civiles avec leur mère Françoise Bettencourt Meyers, ont dressé le portrait d'une femme fragilisée depuis une chute en septembre 2006, de plus en plus désorientée, incapable de tenir une conversation au-delà des simples échanges de civilités. Et confuse au point de demander "Qu'est-ce qu'on fait ici ?" aux obsèques de son mari, l'ex-ministre André Bettencourt, en 2007.

Un récit d'une sénilité quasi permanente que comptent bien contester les avocats de la défense. A l'appui notamment, les lettres presque quotidiennes échangées entre la milliardaire et son ex-confident, le photographe François-Marie Banier, accusé d'avoir obtenu d'elle 400 millions d'euros et qui a balayé l'idée d'une Liliane "risible et fantoche".

Car si la milliardaire n'avait effectivement pas toute sa tête dès 2006, que vaut alors le protocole signé par Liliane Bettencourt et sa fille fin 2010, scellant officiellement la fin d'un conflit familial, déclenché fin 2007, à l'origine de cette affaire tentaculaire ?, a déjà contre-attaqué vendredi un avocat de la défense, avant-goût de la rude bataille qui s'annonce.

Claire Thibout entendue ?


Cette semaine devraient aussi être connus les résultats de l'expertise médicale ordonnée par le président Denis Roucou concernant Claire Thibout, ex-comptable de Liliane Bettencourt et principal témoin à charge. Mme Thibout a produit un certificat médical pour justifier son absence, mais le président veut savoir si son état de santé lui permet d'être entendue, à la barre ou par visio-conférence.

La comptable, principale accusatrice de François-Marie Banier et Patrice de Maistre, l'ex-gestionnaire de fortune de Mme Bettencourt lui aussi poursuivi, est elle-même mise en examen pour faux témoignages, à la suite de plaintes des deux hommes. "Jetée en pâture pour son intégrité", selon Françoise Bettencourt-Meyers, ou achetée par des prêts et indemnités, selon la défense, elle apparaît plus que jamais comme un personnage-clef du dossier.

Au cours de l'enquête, Mme Thibout a notamment affirmé avoir remis à Patrice de Maistre 50.000 euros. Cette somme aurait été destinée à l'ex-ministre UMP Eric Woerth, alors trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, l'ex-président ayant un temps été soupçonné de financement politique occulte puis mis hors de cause.

Elle avait également fait état de l'emprise de François-Marie Banier sur sa patronne. Une emprise que Françoise Bettencourt-Meyers a qualifiée vendredi de "destruction programmée" de la part de Banier, dont la "devise" était, selon elle, de "briser toute une famille pour régner".

Personnel payé en liquide


S'il s'est d'abord concentré sur les examens de personnalité des dix prévenus, dont Eric Woerth, poursuivi pour "recel", le tribunal a aussi jeté une lumière crue sur les usages de la famille Bettencourt, des multimilliardaires "qui ont des comptes en Suisse depuis 50 ans !", selon Patrice de Maistre. Mais un monde où "nous ne parlions jamais d'argent en famille", assure Françoise Bettencourt-Meyers.

Une famille où, selon Me Pascal Wilhelm, ex-avocat de Mme Bettencourt, également poursuivi pour abus de faiblesse, le personnel était payé en liquide en dehors de tout contrat, avec des "primes de voyage" de 5.000 à 15.000 euros.

Avec Banier, De Maistre et d'autres prévenus, le tribunal a aussi plongé dans le monde des un peu moins riches, où entre maisons à Saint-Tropez, riads à Marrakech, voiliers luxueux, on raconte incidemment avoir réalisé une plus-value de 17 millions d'euros en revendant des actions, ou que l'on conserve ses tableaux de maître dans des coffres de banque pour "éviter que l'oeil ne s'use".
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