Les agriculteurs de Nouvelle-Aquitaine face au défi de la souveraineté alimentaire

Pendant le confinement, les agriculteurs ont été applaudis. Le coronavirus a redoré leur image, changé les habitudes de consommation. En Nouvelle-Aquitaine, première région agricole de France, la filière peut-elle espérer en récolter les fruits et relever le défi de la souveraineté alimentaire ? 

C'était une profession en souffrance, régulièrement critiquée avant l'épidémie. Mais la Covid 19 les a remis sur le devant de la scène et tous les soirs à 20 heures, les Français rendaient aussi hommage aux agriculteurs. Cette "deuxième ligne" dont le travail a permis de les nourrir pendant la crise. Ce jeudi 18 juin, sur la chaîne Public Sénat, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation les en a remerciés.  
Didier Guillaume a également annoncé la tenue d’une grande conférence sur la souveraineté alimentaire, à la rentrée.  Le sujet est devenu politique et s'est invité jusque dans les programmes des candidats aux municipales. 

La Nouvelle-Aquitaine peut jouer un rôle de premier ordre. Elle dispose d'un vaste territoire : 42 000 Km2 de terres exploitées et d'un vivier de 180 000 emplois agricoles. 

Pendant le confinement, la filière a continué à travailler à plein régime, développer les circuits courts, plébiscités par les Français qui ont (re)découvert les produits locaux. Le site éphémère "nos producteurs chez vous" et les Drive fermiers proposés ont remporté un franc succès.  L'épidémie a donné un coup d'accélérateur reconnaît Louis Fleury, directeur du marketing et développement à la chambre d'agriculture de la Gironde. 

Ça nous a permis d'ouvrir les yeux sur d’autres systèmes que la grande distribution. Les modes de consommation ont évolué, on le sent bien. On a testé d’autres modalités.

Louis Fleury, directeur du marketing et développement à la chambre d'agriculture de la Gironde.

Depuis le déconfinement, les drive Fermiers se poursuivent. "On a fait évoluer notre modèle pour proposer la livraison sur toute la métropole" explique Louis Fleury. 

Pourtant, selon Samuel Eynard, le président de la FDSEA, l'engouement est "nettement retombé". Les ventes ont chuté de moitié, même si elles restent de 20 à 30% supérieures à ce qu'elles étaient avant la covid 19. 

Mais la pandémie a aussi révélé les faiblesses de notre agriculture. Toutes les exploitations ne disposent pas d'outils numériques.
Jean-Pierre Raynaud qui veut capitaliser sur ce qui a été mis en place, pense qu'il faudra "sans doute un accompagnement des agriculteurs pour qu’ils puissent s’équiper". Le vice-président en charge de l'agriculture à la Région pointe également le manque de producteurs de fruits et légumes notamment autour des grandes métropoles.  La rude concurrence de la voisine, l'Espagne, l'explique en partie. 

Potentiellement, la Nouvelle-Aquitaine a les moyens d'assurer son autonomie alimentaire mais elle a une agriculture très spécialisée. En Gironde, la moitié de la surface agricole utile est plantée de vignes. Il faudrait inciter les agriculteurs à se diversifier. 

La viticulture bordelaise traverse une crise qui pourrait aboutir à des arrachages de pieds dans les mois à venir prophétise Jean-Pierre Raynaud. 

On sera très attentif et très bienveillant pour encourager la réorientation des terres. Il faut des solutions pour ceux qui sont obligés d’arracher. 

Jean-Pierre Raynaud - vice-président en charge de l'agriculture à la Région

Le président de la Confédération Paysanne en Gironde, Dominique Techer, confirme une production insuffisante et en appelle à l'Etat. 

Si la vigne va perdre de la superficie, il faut pouvoir racheter à un prix acceptable. Il faut qu’on stoppe des terres à des baux acceptables pour que les agriculteurs puissent revenir.

Le métier n'attire plus. La profession est vieillissante et peine à trouver des jeunes motivés confie Dominique Techer : 

On est en plein papy boom. C'est toute une génération qui raccroche les gants. Derrière, il n’y plus personne pour reprendre.

La Nouvelle-Aquitaine, troisième région exportatrice doit donc relocaliser et diversifier ses productions agricoles, encourager les installations et les reconversions. Globalement, le constat est partagé mais comment y parvenir ? 

La chambre d'agriculture, explique Louis Fleury, réfléchit à une garantie de revenus. 

La moitié des gens qui s’installent ont disparu au bout de trois ans. Très peu dégagent un salaire décent au bout de 6 ans . Il faut contractualiser pour assurer une pérennité et une visibilité. 

La loi Egalim, impose à la restauration collective publique (établissements scolaires ou médico-sociaux) "d'introduire 50% de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité (dont 20% de produits bio)  à partir du 1er janvier 2022".

La région est en passe d'atteindre l'objectif pour les lycées. La chambre d'agriculture est en discussion aussi avec la ville de Bordeaux et l'UMIH, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie. Car elle voudrait cibler la restauration commerciale. Son directeur de marketing et développement suggère une aide aux établissements qui, dans leur bilan comptable, feraient apparaître un approvisionnement majoritaire en produits locaux.

Il faut une logique d'économie circulaire vertueuse pour les emplois locaux et pour l'environnement. 

Louis Fleury - directeur du marketing et développement à la chambre d'agriculture de la Gironde

La Confédération paysanne, elle, est plus radicale, "face à la course contre la montre entre la réforme de l'agriculture et la vitesse du changement climatique". 

Il fut repenser l'agriculture dans l'optique du changement climatique et d'une baisse potentielle de la productivité. On arrête l’importation de soja qui déforeste le Brésil. On cultive des protéagineux. On développe les élevages de porcs, de poulets et de bovins nourris en prairie naturelle. On multiplie les petits paysans plutôt que quelques grands. On change la communication et l'on mange moins de viande.

Mais la condition sine qua non pour la Conférération Paysanne, c'est une volonté politique forte. Un plan Varenne sur le modèle du Ségur de la santé. Dans une lettre, adressée à la Préfète de la Gironde, et datée du 5 juin, le syndicat paysan s'interroge : Quelles sont les priorités ? Produire une alimentation saine et locale ou bien consacrer 7 milliards d’euros (plus le kérosène détaxé) pour Air France-KLM  ? Où doit aller l'argent public et la volonté politique ?  

 

Lettre Confédération paysanne à la Préfète

 

De son côté, la Région réunira tous ses partenaires et les syndicats agricoles à la rentrée informe Jean-Pierre Raynaud, le vice-président en charge de l'agriculture

Il faut trouver les bons outils, la bonne organisation du côté des producteurs comme des regroupements d’offres sur certains points de distribution ou de livraison pour répondre rapidement aux attentes des clients.

Jean-Pierre Raynaud - vice-président en charge de l'agriculture à la Région

Samuel Eynard, le président de la FDSEA de la Gironde est plus pessimiste. Il estime que l'engouement autour des circuits courts est "plus éphémère qu’on ne le pense" et n'attend pas grand chose de la conférence annoncée par le ministre de l'Agriculture.

Dans le discours, on parle d'une alimentation saine et à la portée de tous. Il va falloir rogner sur certains budgets au profit de l’alimentation. Mais le consommateur n’est pas prêt à faire un effort sur le prix. 

Les 150 citoyens tirés au sort de la Convention pour le climat rendront leur copie ce week-end au gouvernement. Les propositions de garantir une alimentation "moins animale et plus végétale", en renforçant la loi Egalim ou encore de "mieux former et informer les consommateurs" pourraient être retenues par les groupes de travail.  

 

 

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité