Les deux juges d'instruction bordelais, Jean-Michel Gentil et Valérie Noël, n'ont pu se résoudre à renvoyer devant le tribunal correctionnel, pour "abus de faiblesse", l'ancien chef de l'Etat Nicolas Sarkozy.
Dix des onze autres mis en examen, dont l'ancien ministre du Budget Eric Woerth, sont en revanche renvoyés devant le tribunal correctionnel. Le seul autre à bénéficier d'un non-lieu est l'avocat fiscaliste Fabrice Gogue
Selon des attendus de l'ordonnance dont l'AFP a eu connaissance, les juges bordelais Jean-Michel Gentil et Valérie Noël ont bâti une démontration en quatre points, au terme de laquelle ils finissent par délivrer le non-lieu "comme à regret", souligne un proche du dossier.
Premier point, Nicolas Sarkozy "avait connaissance de l'état de vulnérabilité particulièrement apparent de Mme Bettencourt", estiment-ils.
Deuxièmement, "il s'est présenté au domicile d'André et Liliane Bettencourt deux fois" au début de l'année électorale 2007, et non une comme il l'a prétendu, soit les 10 et 24 février 2007.
Troisièmement, "le rendez-vous du 24 février avait pour objet d'obtenir un soutien financier de Liliane Bettencourt".
Le quatrième point sauve l'ex-chef d'Etat : "Il n'existe pas de charges suffisantes établissant un lien direct entre le comportement abusif de Nicolas Sarkozy et les actes préjudiciables consentis par Liliane Bettencourt de mise à disposition d'espèces".
Ces mises à disposition ont pris la forme de rapatriements d'argent liquide des Bettencourt depuis la Suisse par leur homme de confiance Patrice de Maistre. Il y en a deux de 400.000 euros, le 5 février et le 26 avril 2007.
"Il n'est pas démontré, écrivent les juges, que ce soit la demande de Nicolas Sarkozy du 24 février 2007 (...) qui a conduit Liliane Bettencourt aux actes gravement préjudiciables auxquels elle a consenti de mise à disposition, notamment à celui de 400.000 euros du 26 avril 2007, puisque la responsabilité en incombe à Patrice de Maistre et que celui-ci avait déjà obtenu un premier acte de mise à disposition le 5 février 2007, avant la visite de Nicolas Sarkozy".
Les juges remarquent aussi qu'il "n'est pas établi que Patrice de Maistre ait entièrement redistribué" les espèces reçues le 26 avril 2007. Mme Bettencourt avait manifesté ses doutes à ce sujet auprès de son ami et confident, l'artiste François-Marie Banier, lui aussi poursuivi dans l'affaire, comme M. de Maistre.
Quant à l'ancien ministre et ex-trésorier de campagne Eric Woerth, les juges considèrent qu'il a "bénéficié à deux reprises de sommes d'argent qui lui ont été remises par Patrice de Maistre", début 2007, en l'occurrence 50.000 euros puis "une somme indéterminée".
Les juges estiment établi que l'ancien ministre "avait connaissance de leur origine frauduleuse", mais se gardent de dire à quelle infraction correspondait "le recel" pour lequel ils le renvoient devant le tribunal. Un renvoi pour recel d'abus de faiblesse serait périlleux dans la mesure où M. Woerth connaissait à peine Mme Bettencourt. Les juges font une digression juridique dans laquelle ils démontrent qu'il n'est pas indispensable d'établir que le receleur
a une connaissance complète de l'infraction dont provient le bien recelé.
"Eric Woerth a accepté à deux reprises des sommes en espèces provenant d'un circuit financier manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre et il importe peu qu'il n'ait pas connu le détail des circonstances de la commission du délit d'où provenaient fonds recelés".
Le parquet de Bordeaux avait requis six non-lieux sur les douze mises en examen, notamment pour MM. Woerth et Sarkozy.
Fera-t-il appel pour M. Woerth ?
Le procureur de Bordeaux Marie-Madeleine Alliot pourrait se prononcer sur cette question mardi matin lors d'une conférence de presse.