Cap Sud Ouest - Les souvenirs de tournage d'Éric Perrin (1/4) : l’île d’Oléron

En cette période de confinement, les diffusions de Cap Sud Ouest continuent tous les dimanches à 12h55 avec de nombreux inédits à venir. Les tournages, eux, sont mis en suspend. En attendant, Eric Perrin partage avec vous des souvenirs de tournage. De quoi s'évader tout en restant chez soi!
 

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C’est l’histoire d’une équipe de télévision qui découvre que se déplacer dans une vasière, nécessite du savoir-faire !
En ce mois d’avril, nous étions en tournage sur l’île d’Oléron. L’objectif était de s’éloigner des "cartes postales", d’aller découvrir les endroits moins touristiques.

Nous avions repéré un petit bijou : Fort Royer. Un magnifique site ostréicole, de dimension modeste au milieu d’une réserve naturelle, Moëze-Oléron. 

Tout va bien. Le soleil est au rendez vous, et même s’il fait froid, les lumières sont splendides. Après avoir réalisé une première interview au milieu des cabanes colorées avec Évelyne Morgat, responsable de l’Association de Fort Royer, nous partons à marée basse vers les vasières… Objectif, retrouver un ostréiculteur qui travaille sur l’un de ses parcs. C’est là que tout se complique !
Bien sûr, nous avons les indispensables bottes. Mais marcher dans la vase, chargés du matériel de tournage s’avère rapidement très compliqué. Si vous avez fait vous même l’expérience, vous voyez de quoi je parle. Très vite, on renonce à l’élégance. On oublie sa fierté. Le principal est de ne pas tomber.  Comme Marianne, notre script, qui finit le nez dans la vase (pour être précis, il s’agissait en fait d’une autre partie du corps). Je repense au fameux poème de Charles Baudelaire. Et je me dis qu’il doit bien se marrer, tout la haut, l’albatros! À nous voir "naguère si beaux",  maintenant "gauches et veules, comiques et laids".
Évelyne, qui accompagne régulièrement des visiteurs dans ces espaces, me donne deux trois astuces. Marcher "légèrement" (ben voyons). Une fois le pied posé au sol, tourner le talon avant de lever la jambe pour ne pas laisser la botte dans la vase. Tout à coup, conserver son équilibre devient aussi complexe qu’amarrer une fusée à une station orbitale… Sur toute la côte atlantique, depuis des siècles, les pécheurs à pied ou les ostréiculteurs connaissent bien le problème. Ingénieux et pragmatiques, ils ont inventé les "patins à vase", que l’on appelle aussi « mastoun ». Une petite planche en  bois avec une attache pour le pied qui permet de ne pas s’enfoncer. J’avais testé l’engin lors d’un précédent tournage sur le Bassin d’Arcachon (il en reste une photo où nous avions posé le drone dessus, témoignage d’une belle rencontre technologique).

Très efficace pour ne pas s’enfoncer, le patin donne néanmoins à celui qui l’utilise une démarche très particulière. Les pieds sont largement écartés pour ne pas que les patins se touchent. Bref on est plus près du numéro de clown avec chaussures géantes dans un cirque que de la chorégraphie gracieuse dans un championnat du monde de danse sur glace. De toute façon, la question est réglée. Car ce jour là, point de "mastoun". Sans patins, bonjour les gadins.
Tant bien que mal, nous progressons pour arriver sur une petite île. La végétation qu’on y trouve est très particulière. Les plantes qui poussent ici sont à marées hautes immergées dans l’eau salée. Puis ensuite à l’air libre en plein soleil à marée basse. Bref ce sont des guerrières ! Evelyne me fait gouter de la salicorne. Elle est toute fraiche et pas très haute car en ce début de printemps, elle commence seulement à pousser. C’est une plante comestible. C’est la première fois que j’en goûte… et je trouve cela délicieux. Très légèrement iodé. Craquant sous la dent. Les anciens, qui s’y connaissais en « circuit court », avaient l’habitude de venir sur les estrans s’approvisionner en salicorne qu’ils cuisinaient comme des haricots verts. La pause goûter est terminée. On repart vers le large.
Après plus d’une heure et demie de marche (soit environ deux minutes trente dans le montage final), nous arrivons enfin sur les parcs ostréicoles. Le spectacle est saisissant. Des hectares de tables d’élevage. Les jeunes naissains (bébés huitres) s’y sont accrochés et grandissent au fil des marées. Pour s’alimenter, l’huître a développé un système de filtration de l’eau de mer par l’intermédiaire de branchies qui lui permettent de trier les particules mais aussi de respirer. Car l’huitre est, comme la vache, herbivore ! Une fois le phytoplancton capturé par les branchies, celui-ci est amené à la bouche. Pour faciliter la digestion, l’huître a développé un pilon pour broyer l’enveloppe en silice des algues. D’apparence très simple, l’huitre est en fait un organisme très perfectionné. D’ailleurs, l'origine des huîtres a depuis longtemps attiré l'attention des paléontologues qui ont étudié les nombreux fossiles que l’on trouve un peu partout sur terre. Il a été démontré que certains de ces bivalves existaient déjà au Jurassique, autrement dit à l'époque des dinosaures ! A marée haute, l’huitre ferme les écoutilles. Pour ne pas mourir desséchée à l’air libre, elle ferme solidement grâce à un muscle sa coquille. Ce muscle est, sachez le, délicieux. Légèrement sucré. C’est pourquoi il faut absolument ne pas le laisser de coté lorsque l’on mange des huitres. Et bien mâcher! Gober une huitre est, disons le, un crime gustatif.  D’où ma préférence pour les huitres élevées plutôt que les pleines mers qui passent toute leur vie sous l’eau. A raison de deux marées hautes et deux marées basses tous les 24 heures, les huitres font de la musculation ! Plus le muscle adducteur est charnu, plus il a de goût.

Nous finissons notre balade avec une belle rencontre. Hervé Ricou, ostréiculteur à Fort Royer, travaille sur ses parcs. Il est arrivé à marée haute puis a laissé sa plate (son bateau) s’échouer. Il ne pourra repartir que lorsque l’eau remontera, soit dans environ dans 5 à 6 heures. Ici c’est la nature qui donne le tempo. Sur le bassin Marennes-Oléron, la particularité est de faire l'affinage en claires. Ce sont d'anciens marais salants au sol argileux, où l'eau douce se mélange à l'eau de mer à chaque marée. Les huîtres s'affinent de un à six mois dans les claires. C'est à ce moment là que la magie va s'opérer. En plus d'une immersion dans un milieu particulier, l'huître va surtout pouvoir se nourrir d'une algue microscopique, la navicule bleue. La chair jaune de l'huître va alors verdir au contact de la navicule, et prendre cette couleur si particulière, ainsi que ce goût de terroir, unique au monde, que l'on ne trouve que dans un pays, celui de Marennes Oléron ! Il faut 4 ans pour élever une huitre… Vous l’ignorez sans doute mais avant d’arriver dans votre assiette, les huitres ne vont cesser d’être déplacées. Tout est fait à la main. On estime qu’en moyenne, de sa naissance à votre bouche, une huitre est manipulée 150 fois !

Un coup d’œil à la montre, il nous faut repartir vers la terre ferme. La marée haute est annoncée. Et vu notre vitesse de progression, il faut mieux prendre de la marge ! Pour nous donner l’énergie nécessaire, Hervé nous ouvre à chacun une huitre. Son geste est sur, précis. En 2 secondes, elle est ouverte. Il me faut en moyenne 10 fois plus de temps pour arriver au même résultat. Il faudra que je pense à inviter Hervé pour le prochain réveillon à la maison! Je regarde autour de moi. Le panorama est exceptionnel. La plus belle salle de restaurant que l’on puisse imaginer pour déguster une Marennes-Oléron. En avant mâche ! Je ferme les yeux. C’est l’extase. Je me dis que le plaisir que j’éprouve est le fruit du dur travail des ostréiculteurs. Ici, pas de 35 heures. C’est les « 3 huitres », comme à l’usine. Et oui, après cette expédition, même mes blagues ont comme un petit goût de vase.

Coulisses du tournage, suivez Éric Perrin dans les vasières d'Oléron : 

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