Cap Sud Ouest - Les souvenirs de tournage d'Éric Perrin (4/4) : Ossau, deuxième partie

En cette période de confinement, les diffusions de Cap Sud Ouest continuent tous les dimanches à 12h55 avec de nombreux inédits à venir. Les tournages, eux, sont mis en suspend. En attendant, Éric Perrin partage avec vous des souvenirs de tournage. De quoi s'évader tout en restant chez soi !

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Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec Jean Pierre. Un béarnais. Un géant. Un mythe. Le Pic du Midi d’Ossau !

Cela fait un bon moment que l’on tourne autour. Si vous ne l’avez pas déjà fait, je vous invite à lire la première partie de ces souvenirs de tournage en Ossau. Celle qui raconte ma rencontre avec Didier Peyrusqué, garde moniteur au Parc National des Pyrénées, sur le chemin vers le refuge d’Ayous. Il m’a, comme tout béarnais, beaucoup parlé du Pic du Midi d’Ossau. Ce n’est pas tout à fait le plus haut de cette partie des Pyrénées (il est devancé par le Palas - 2974 mètres) mais dans les faits, c’est bien lui le "toit du Béarn". Car ce sommet a une particularité : il a un prénom : Jean-Pierre.

Le Pic du Midi d’Ossau a un profil bien particulier. Son sommet ressemble à une dent. Côte à côte, le Grand Pic (Jean) et le Petit (Pierre). La tradition dans la vallée, et plus largement dans le Béarn, était de prénommer l’aîné de la famille "Jean" et le cadet "Pierre" en hommage au totem montagneux. Mais d’où vient ce surnom ? Personne ne le sait vraiment, mais tout le monde a son avis. Pour certains, il s’agit de deux bergers, frères jumeaux, pétrifiés par une brouche (une sorcière) après une héroïque bataille avec des monstres barbares. Pour d’autres, il est le résultat du mauvais accent français qu’avaient les anglais, très nombreux au XVIIIe siècle dans la région. Le Pic, désigné comme un "géant de pierre", serait devenu par déformation "Jean Pierre". Peu importe. Car aujourd’hui, le Pic du Midi, est devenu grâce à cette personnalisation un membre de la famille. Lors de notre montée à Ayous, Didier m’expliquait à quel point on était attaché à lui en Ossau.

Il n’y a pas une journée où je ne pense pas à Jean Pierre, où je ne parle pas de Jean Pierre.  Si son sommet est caché par des nuages, on dit qu’il a le chapeau… On le regarde tous les jours.

Et pas seulement dans la Vallée d’Ossau. Car Jean Pierre est visible de loin. Et même de Pau situé à 50 kilomètres en bas dans le piémont. Il faut dire que comme certaines stars de cinéma, il a ce "truc", inexplicable,  qui fait la différence. Les bonnes fées se sont penchées sur son berceau. Il est immédiatement reconnaissable. Il prend bien la lumière. Il se détache parfaitement des autres montagnes autour de lui qui pour beaucoup ne font que de la figuration. Je le soupçonne même de s’admirer parfois dans les lacs que la nature a posés là pour lui servir de miroir. En résumé, c’est le bogoss, sûr de son pouvoir de séduction, un rien flambeur ! Il domine les alentours de ses 2884 mètres. Enfin, soyons précis, un petit peu moins que ça. 2883 mètres et 84 centimètres très exactement. On le sait depuis qu’en 2016, une équipe de géomètres experts l’ont modélisé en trois dimensions à grand renfort de technologies. Une aventure scientifique à revoir dans ce reportage.
Autant le dire, depuis que l’on est dans le coin, on ne pense qu’à Jean Pierre. On l’a contourné, admiré sous toutes ses faces. Lors du repérage, Didier nous avait lancé comme un défi :

Si vous voulez vraiment comprendre Jean Pierre, il faut aller lui dire bonjour. Tout là-haut.

J’adore Didier mais on lui avait répondu qu’il n’avait sans doute pas conscience de notre niveau sportif, et encore plus, de notre capacité à grimper un sommet. Mais le bougre savait ce qu’il faisait. Il avait planté la graine. Et elle allait germer. Plus les jours passaient, plus on se disait que ça ferait une sacrée séquence. Alors on a décidé de tenter le coup. Grâce à Corinne Crabe Permal, de l’Office de Tourisme de Laruns, nous mettons en place l’organisation.  Corinne est totalement amoureuse de son Ossau. Elle aime que l’on en parle. Avec sincérité. Grâce à elle, nous trouvons deux guides de Haute Montagne. L’un pour m’accompagner et être mon interlocuteur. L’autre pour encadrer et veiller à la sécurité de l’équipe de tournage.  Nous savons que prévoir une telle séquence, c’est prendre un risque. Celui de ne pas pouvoir la faire pour des raisons météorologiques. Les dates sont calées début juillet, et on ne peut les bouger car les tournages de Cap Sud Ouest s’enchaînent à cette période. Bref, s’il pleut, ou s’il y a des nuages, il faudra renoncer et ne pas avoir l’émission.

Les Dieux sont avec nous.  Ou alors, Jean Pierre a intercédé en notre faveur auprès d’eux. Car ce 5 juillet, il y a une tempête de ciel bleu en Ossau ! Et un anticyclone bien installé qui promet à priori du beau temps pour plusieurs jours. Nous arrivons dans l’après-midi au Col du Pourtalet pour aller dormir au Refuge de Pombie. Depuis le plateau d’Anéou, il faut environ 1h30 de marche pour rejoindre le refuge créé à l’origine en 1929 par le CAF (Club Alpin Français) de Tarbes. Je dois l’avouer, lors de cette première montée, j’ai soudain de gros doutes. Est-ce que je n’ai pas eu les yeux plus gros que le ventre ? Vais-je être capable demain de partir vers le sommet ? Car sur ce modeste parcours, (8 kilomètres et 300 mètres de dénivelé) j’en ai déjà bien chié… Excusez le vocabulaire mais je n’en vois pas d’autres pour traduire mes pensées à ce moment-là. Mais c’est trop tard pour reculer. L’arrivée au refuge est un soulagement. Je peux enfin poser le sac qui de toute évidence est trop chargé. C’est l’erreur du débutant ! Heureusement demain pour l’ascension j’ai prévu un autre sac, version light. L’équipe est réduite au maximum. Un seul cameraman, Thierry, au lieu de deux habituellement. Un ingénieur du son, Yann. Les deux opérateurs de drone, Marc et Damien. Et enfin Martin le réalisateur. C’est le seul véritable montagnard de l’équipe (il a fait l’Everest !). Et un fabuleux réalisateur, qui fut avec moi à l’origine de l’émission. Je vois bien qu’il se marre un peu en nous voyant lors du repas pris dans la salle commune parler de nos jambes un peu lourdes et de notre souffle un peu court. Mais, comme le disaient les pyrénéistes, nous allons pourtant "ascensionner" le Pic ! Officiellement, la première conquête de ce sommet date de 1796. Elle est le fait de Guillaume Delfau, un homme politique, accompagné de son guide, un certain Mathieu. Mathieu était berger, en Vallée d’Aspe. Tiens donc. Un berger ! Ces hommes n’avaient aucune raison de gravir au sommet des montagnes. Mais il est à peu près certain qu’il en en fut des plus courageux, des plus audacieux pour écrire dans le plus strict anonymat quelques pages héroïques. Comme le disait Gaston Rébuffat :

L'alpiniste est un homme qui conduit son corps là où, un jour, ses yeux ont regardé... 

Nous partons nous coucher car le lever est prévu à 5h00 demain matin.  La nuit est courte car entre les ronflements et l’excitation mêlée aux craintes, je pense que je me suis endormi vers 4h30 !
Voir les premières lueurs du jour guérit de tout. De l’insomnie et du café trop fort. Le temps de faire quelques images de lever de soleil et on se met en route. Je mets mes pas dans ceux de mon guide. Il n’est pas né en Ossau. Ni en Béarn. Ni dans les Pyrénées. C’est, comme l’indique son nom de famille, Lefloch, un breton pur beurre ! Mais il faut croire que sa destinée était de venir ici car il se prénomme … Jean Pierre ! Il venait en colonie de vacances dans la région quand il était petit et il a attrapé le virus. Pas celui qui vous confine dans vos maisons. Celui qui donne des envies de grands espaces. En 1985, il décide de s’installer en Ossau et passe son brevet de Guide de Haute Montagne.
Les premiers kilomètres se font dans la fraîcheur matinale, au milieu de ces paysages vert tendre que l’on doit aux troupeaux dans les estives. Mais très vite, le décor change. Nous arrivons au pied du mur minéral. Je lève la tête et je ne vois pas le sommet ! C’est raide. La progression se fait plus difficile. Les pas résonnent. Nous sommes dans le royaume du minéral. Jean Pierre (le guide) m’explique que nous marchons sur de la roche volcanique. Car Jean Pierre (le Pic) est l’arête d’un ancien cratère. Pour l’anecdote, les chaussures de Yann, notre ingénieur du son ne résistent pas à ce sol exigeant. Elles s’ouvrent en deux, comme dans un dessin animé. Ne plus avoir de chaussures utilisables dans un tel endroit pose un problème évident. Mais Jean Pierre (le guide) a de la ressource. Avec du strap, il entoure les chaussures. Tant pis pour l’élégance. Cendrillon peut repartir. 
Nous  arrivons à la première des trois cheminées. Les choses sérieuses commencent. Pour les montagnards aguerris, ces passages sont des formalités. Mais pour moi et l’équipe, c’est impressionnant. Intimidant. Les guides nous sécurisent en attachant les cordages à nos baudriers. Ils montent en premier pour nous sécuriser. En montant, j’ai une pensée pour l’équipe qui doit, comme moi, escalader, assurer les prises, mais avec sur le dos le matériel, les fameuses batteries qui pèsent des tonnes. Je n’oublierai jamais leur tête en arrivant à la fin de la première cheminée. Leur regard disait à la fois "mais vous êtes tarés" et "putain, je l’ai fait".
L’encordement est de rigueur. Au passage, je vous déconseille fortement de vous lancer dans cette aventure sans être encadré par des professionnels. Sans Jean Pierre (le guide), je n’aurai non seulement pas été sécurisé, mais je n’aurai jamais su par où passer précisément. Et si les nuages ou la brume arrivent soudainement, ce qui n’est jamais exclu, la montagne devient alors un labyrinthe extrêmement dangereux. Jean Pierre (le Pic) a déjà tué ! En partant de Pombie, il faut compter environ 4 heures pour faire les 1000 mètres de dénivelé. Mais bien sur, comme nous devons en plus tourner et faire les interviews, nous mettons deux heures de plus. Pour mieux comprendre ce que j’ai ressenti en arrivant au sommet, je vous conseille de regarder cette petite vidéo.
Il arrive souvent qu’à la télévision, on abuse des superlatifs, moi le premier. Les châteaux sont toujours majestueux. Les paysages, à couper le souffle. Mais là, je l’avoue, c’est le contraire ! Dans ce panorama à 360 degrés, j’ai la chique coupée. Pas de mots. En tout cas, pas de mots à la hauteur du ressenti. J’admire le décor qui me dévore totalement. Je vois tous ces endroits où nous sommes passés les jours précédents. Tous ces points de vue sur le Pic du Midi. Et là, ca y est. Le monde a basculé. Je suis sur le Pic ! Je suis Jean Pierre ! Au centre du monde ! Il me faudra du temps pour mieux saisir ce que j’avais ressenti. Bien sûr, il y la satisfaction d’avoir atteint le but. Mais je pense que ce Pic du Midi d’Ossau n’est vraiment pas une montagne comme les autres. A force d’entendre  Jean Pierre par ci, Jean Pierre par là, on finit par lui donner vie. Aujourd’hui, j’en suis convaincu. Ce n’est pas moi qui ai réussi l’ascension. C’est Jean Pierre qui m’a accepté sur ses épaules. Il m’a permis d’entrer dans une communauté. "Ceux qui ont fait l’Ossau". Ils sont sans doute quelques dizaines de milliers. De tout sexe. De toute religion. De toute nationalité. Je ne les connais pas. Mais j’ai un point commun avec eux. J’ai rencontré Jean Pierre. J’ai senti souffler sur moi l’âme de ces montagnes et cela m’unit à d’autres. Jean Pierre est magicien. Jean Pierre est généreux. Jean Pierre est le Béarn.

Tout ce qui monte, converge irrésistiblement.
- Pierre Teilhard De Chardin.

En bonus, pour celles et ceux qui aiment les chants béarnais, voici le fameux Didier chantant face à Jean Pierre :

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