Le parlement vient d'adopter une proposition de loi introduisant la notion de « patrimoine sensoriel » des campagnes françaises. Une loi inspirée par l'affaire du coq Maurice sur l'île d'Oléron qui avait, pour certains, symbolisé un combat entre ruraux et urbains.
Il nous a quitté en juin dernier avant d'avoir parachevé son grand oeuvre. Il est mort sans savoir que la France des campagnes lui serait à jamais reconnaissant. Après deux ans d'une lutte acharnée devant la justice, il avait pourtant fini par obtenir gain de cause. Il faut dire que la combat était noble : avoir le droit de chanter pour célébrer un jour nouveau. Maurice le coq, puisqu'il s'agit évidemment de lui, avait bien sûr eu les honneurs de la presse internationale. En France, les éditorialistes parisiens avaient voulu y voir un symbole de la fracture sociale entre la campagne française et les grandes villes. Inévitablement, la classe politique se devait de s'emparer de cette délicate affaire.
C'est donc Pierre Morel-A-L'Huissier, député UDI de Lozère, qui, dans un improbable quart d'heure législatif wharollien, restera dans l'histoire du Palais Bourbon comme celui qui a cellé à jamais dans le droit français le chant de Maurice et de ses congénères, les coassements des grenouilles, les requiems de mouettes et autres odeurs de fumier ou volées de cloches dominicales.
La proposition de loi vise à reconnaître la spécificité de certains « bruits et effluves » dont l'exposé des motifs considère qu'ils sont «partie intégrante de la vie rurale», tels par exemple que les chants ou cris des animaux, les odeurs caractéristiques de leurs habitats, des champs ou des forêts, ou encore les sons et émanations propres à certains environnements des campagnes françaises. Elle tend en particulier à répondre au développement des litiges de voisinage engages par des néoruraux qui estiment que ces « émissions » constituent des nuisances. Plusieurs affaires récemment médiatisées ont pu donner écho à cette situation.
"C’est une grande surprise et un bonheur"
A Saint-Pierre d'Oléron, la première à célébrer cette victoire juridique, c'est bien sûr Corinne Fesseau. Dans ses bras, Maurice le coq II ne semble pas réaliser l'ampleur de la nouvelle et les répercussions des envolées lyriques de son prédecesseur. Durant le conflit qui opposait donc Corinne à ses voisins, une association était née : les Coqs d'Oléron en colère. Cette loi adoptée par l'Assemblée nationale, elle la dédie donc, entre autres, à Marcel le coq d'Ardèche sauvagement réduit au silence (l'homme a été condamné à cinq mois de prison avec sursis) et à Coquelicot, un autre volatile mystérieusement disparu en Dordogne.
Je pense que maintenant ça va arrêter les plaintes des voisins qui veulent venir passer leurs vacances sur Oléron. Ils se diront que maintenant il y a une loi et qu’ils ne peuvent plus faire grand-chose. Et surtout ça va désengorger les tribunaux et aussi les mairies parce que les maires en avaient ras le bol d’avoir des plaintes à tout bout de champs. Ça n’était plus possible.
"C'est tout simplement l'expression de la tolérance."
Christophe Sueur aussi est soulagé par l'adoption de cette loi. Le maire de Saint-Pierre d'Oléron espère bien que, par exemple, cela calmera les ardeurs de ce monsieur récemment installé sur le port de la Cotinière et qui, par voie de recommandé, souhaitait que l'édile règle ces problèmes de bruits de moteurs de bateaux de pêches et de grues de débarquement de la criée... même si l'élu sait bien qu'une loi tout adoptée qu'elle est ne règle pas tout immédiatement. "La France est ainsi faite ! On pond des lois. Après il y a des tribunaux, après il y a des jurisprudences et c’est par rapport aux jurisprudences que l’on redéfinit l’application de cette loi. Donc ça prendra un peu de temps".
Reste que sur le fond, il espère bien que ce texte législatif va ramener tout le monde à la raison. Pour cela, la loi prévoit de lister ces "sons et odeurs des milieux naturels dans le patrimoine commun de la Nation défini par le code de l’environnement", d'en faire un inventaire exhaustif et d'"introduire la notion de trouble anormal de voisinage dans le code civil". Bref, ce n'est pas gagné, mais Christophe Sueur en appelle au bon sens de chacun.
Il faut savoir supporter ce qu’il se passe autour de soi et quelque part cette loi va permettre dans toutes ces communes et dans toute cette France que nous connaissons de définir enfin un cadre où on accepte de vivre avec des grenouilles, avec un agriculteur qui passe, avec des traditions. Parce qu’on est en train de toucher du doigt une remise en cause de nos traditions. C’est le bruit des cloches dans les églises, c’est aussi le chant des coqs, c’est aussi la basse-cour dans un village… Quand nous nous allons dans une grande agglomération, nous les habitants du monde rural, on supporte aussi le bruit du métro, le bruit de la circulation intensive, on se fait un peu chamailler parce qu’on cherche notre route, on dérange sur le trottoir, on n’est pas à la bonne place… c’est tout simplement l’expression de la tolérance et cette loi doit être l’expression de la tolérance.
"La loi qui vient dêtre votée est inutile."
"Comme souvent dans notre pays, les réformes, on les écarte et on fait du symbole pour amuser la galerie, pour donner de l’espoir à plein de personnes. Sauf qu’il n’y a rien de pire que les espoirs déçus." Julien Papineau ne prend pas du tout à la légère l'histoire de Maurice le coq qu'il a défendu à la barre du tribunal de grande instance de Rochefort. "Après l’affaire du coq, je me suis aperçu que les troubles du voisinage pouvaient vraiment perturber voire bousiller la vie des gens", explique l'avocat.
L’écueil que l’on rencontre souvent dans ce genre de dossier, c’est d’y aller directement à l’émotion. Le juge, il se base sur du droit et, en la matière, le droit dans cette affaire, c’est « est-ce que le bruit est excessif et est-ce que c’est normal qu’il ait lieu dans cet endroit ?». Ca, c’est un combat juridique qu’il faut mener d’abord et après le contexte vient renforcer ce combat juridique. Nous, on a décrit à l’époque que le coq avait le droit de chanter là où il était et que ça n’était pas excessif et permanent (puisqu’il ne chantait que le matin) et de manière discontinue et, pour le lieu, il fallait caractériser le fait que Saint-pierre d’Oléron, c’était la campagne. La loi qui vient d’être votée est inutile.
La nouvelle loi prévoit donc de confier aux services régionaux de l'inventaire du patrimoine culturel une mission d'étude et de qualification de "l'identité culturelle des territoires". A savoir, répertorier les problématiques sonores propres à chaque territoire. Cet inventaire sera susceptible d'être intégré dans les documents de vente d’une propriété afin que l’acheteur puisse en prendre connaissance avant de signer.
Léa Wolber et Pierre Lahaye ont recueilli les réactions des intéressés oléronnais :