Rencontrées par une journaliste locale, ces directrices n'auraient pas respecté les procédures de communication habituelle du rectorat. Suite à l'article paru, elles ont été convoquées. Explications.
Interrogées à la veille de la première journée de mobilisation des enseignants de ce mois de janvier, deux directrices sont interviewées et photographiées dans leurs écoles. Nous ne proposons pas cet article en lien pour préserver l'anonymat des directrices à leur demande.
Elles y racontent leurs difficultés à faire face aux contraintes liées à la pandémie, ajoutées à leurs obligations habituelles, et à l'agressivité de certains parents. Parmi leurs propos rapportés citons par exemple : "Ce sont mes collègues qui m'apportent le plus d'aide, je n'ai pas ou peu de réponse de mes supérieurs".
Dans les jours qui ont suivi, elles ont toutes deux été convoquées par leur hiérarchie pour un entretien avant de recevoir le courrier ci-dessous.
Levée de boucliers
Rendue public sur les réseaux sociaux, cette "lettre de remontrance" suscite de nombreux commentaires. Beaucoup ironisent sur l'intitulé choisi et ses sous-entendus : la fessée, l'infantilisation.
Contactée pour réagir sur ce sujet, une autre directrice nous précise d'ailleurs que c'est la première fois qu'elle entend parler d'un tel document.
Et nombreux posent la question du fameux devoir de réserve, sur lequel s'appuie la hiérarchie dans sa "remontrance". Au premier rang, les syndicats.
Sauf que le rectorat invente des règles pour menacer les collègues.
— SUD Education 79 (@SUDEduc79) January 20, 2022
C'est faux de dire que nous ne pouvons pas critiquer notre institution. Les enseignants et personnels de l'EN ont la liberté d'expression.
Ils voient dans ce courrier une pression pour ne pas parler à la presse, dans un contexte de conflit ouvert avec la tutelle. Les multiples changements de protocole sanitaire lors de la semaine de rentrée ont achevé de mettre le feu aux poudres.
"Un courrier maladroit"
De son côté, le rectorat joue l'apaisement. Le service communication de Poitiers admet que "la formulation « remontrance » n'est peut-être pas très adroite. Ce courrier fait suite à un entretien individuel qui s’est passé sans encombre. C'est classique de faire un écrit après un entretien. Il ne signifie pas qu’il y a une sanction. Ce n’est pas adressé à tous les enseignants, ce n’est pas un rappel à l’ordre, ni une volonté de les censurer. Il s'agit de situations individuelles, elles ont fait entrer dans leurs classes un journaliste sans en avertir leur hiérarchie."
Plus que le contenu des interviews, le problème tiendrait donc au lieu de celles-ci et au non-respect de la procédure habituelle.
Ce ne sont en aucun cas les propos qui motivent cet entretien. Les opinions ne doivent pas s’exprimer dans le cadre scolaire. Ce qui est critiqué c’est la démarche, le contexte.
Service communication du Rectorat de Poitiers
Guy Grizet, membre du bureau du SNUIPP17, a accompagné les deux enseignantes en tant qu'élu du personnel lors de cet entretien. "J’ai senti une administration pas très à l’aise. Ils ont rappelé la règle mais compris la colère. Je dirai même qu'ils avaient l’ordre de rappeler la règle."
Il ne conteste pas l'entorse au devoir de réserve, dans le sens où, effectivement, le lieu de l'interview, en tant que lieu de travail, pose problème. De même pour le fait de ne pas avoir solliciter l'autorisation de la hiérarchie locale, et le service communication, pour faire entrer un journaliste au sein de l'école.
L'une des directrices convoquées raconte elle aussi ce reproche d'un manquement à l’obligation de réserve. "Ce n’était pas un moment agréable. En trente ans de carrière, ça ne m'était jamais arrivé". Mais elle témoigne également de cette ambiance assez bienveillante : "On avait tous des choses à dire. Et au final, ils ont été assez à l’écoute de nos difficultés. Sur le fond, ils avaient l'air d’accord avec nous."
Les mots qui fâchent
Le syndicaliste confirme : "On est restés un long moment à reposer le contexte, évoquer la violence du ministre qui, depuis des années, détruit l’outil de travail, met toute une profession dans le mal-être. Il y a des problèmes qui datent d’avant le Covid !"
Dans ce contexte alourdi par déjà plus de deux ans de crise sanitaire, chaque mot compte. Et "remontrance" en est un qui compte triple.
Au-delà de la polémique et des invectives des réseaux sociaux qui prospèrent, sans avoir connaissance des propos d'origine et du contexte de l'article de presse ayant déclenché ce courrier, comment interpréter l'obligation de réserve ? La frontière est ténue.
C'est très infantilisant !
Guy Grizet, membre du bureau du SNUIPP17
Guy Grizet s'interroge : "Y aurait-il eu convocation d’autres collègues interviewés dans un autre lieu que le lieu de travail ? Et "remontrance" ? D’où vient ce mot ? Ça me paraît stupide, aucun intérêt, Je ne sais pas pourquoi le rectorat a eu cette position. C'est très infantilisant ! Je suis content qu’ils reconnaissent la maladresse."
Après réflexion, l'une des directrices concernées nous assure qu'elle continuera à parler à la presse, mais pas de la même manière : "C’est bien, ça apprend à être prudent. Maintenant, je demanderai l’anonymat. Mais on vit une période tellement compliquée, ça fait vraiment du bien de parler".