Economie : le fondateur rochelais du groupe Léa Nature cède ses actions à une organisation philanthropique

Charles Kloboukoff va progressivement transmettre son entreprise à un fonds de dotation d'intérêt général. Un modèle juridique qui a fait ses preuves en Europe du Nord et qui permet d'assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise et de ses valeurs.

Fonds de Soutien aux Initiatives Utopiques et Solidaires : l'acronyme de cette nouvelle organisation philanthropique a de toute évidence été mûrement réfléchi. Reste que l'utopie et la solidarité ne sont pas forcément des concepts largement répandus dans toutes les entreprises françaises. Surtout quand, comme La Compagnie Léa Nature, cette entreprise emploie 1.900 personnes et réalise 490 M€ de chiffre d’affaires.

La success story de ce géant du bio installé à Périgny près de La Rochelle, on la connait. On connait également la place grandissante (envahissante selon certains) qu'a pu prendre son créateur Charles Kloboukoff dans le paysage culturel, sportif, voire politique, rochelais au fil des années.

Une fondation actionnaire

Les observateurs de la vie économique n'ont donc pas forcément été surpris par cette annonce diffusée par communiqué le 12 octobre dernier. L'homme est, pour beaucoup, certes un chef d'entreprise compétent, malin, visionnaire même parfois, mais il a aussi habitué son monde à prendre parfois des positions et des décisions qui bousculent un tant soit peu l'orthodoxie de la gestion d'entreprise.

Après sept ans de réflexion (rien à voir avec Marylin Monroe), il a donc décidé de déshériter ses enfants. Enfin pas complètement. En tout cas, ils ne recevront pas en héritage toutes les actions de la compagnie, comme il aurait été si simple de le faire après son départ vers d'autres cieux.

Comme on pouvait lire dans ce communiqué : "Le principe est de transmettre, le plus souvent par un don d’une personne physique, les actions d'une entreprise à une fondation ou à un fonds de dotation et de financer des actions d'intérêt général grâce aux dividendes." On appelle ça une fondation actionnaire.

"L’idée, c’est de sanctuariser l’entreprise dans sa mission, explique Charles Kloboukoff, de la rendre inaliénable et quasi incessible, de la mettre à l’abri de prédateurs et de faire perdurer son activité de relocalisation et de transformation de productions bio en France et quelque part, de trouver un mode de transmission qui permette d’établir une gouvernance axée sur justement une charte d’engagement pour pérenniser le sens que nous avons voulu donner à l’entreprise."

La présidence du conseil d'administration de FICUS Fondaction sera assurée par Catherine Kloboukoff, son épouse et par sa fille, Emma. Un tirage au sort a été effectué parmi les salariés volontaires pour former un comité philanthropique d'une quinzaine de membres.

L’idée est d’élargir le champ d’actions vers plus de social et d’autres projets transversaux qui essaieraient d’innover.

Emma Kloboukoff, conseil d'administration de FICUS Fondaction

"On va se réunir tous les mois, réfléchir et décider ensemble dans quelle direction va s’orienter le fonds, détaille Emma, comment identifier les associations qui ont besoin d’aide et les projets qu’on aimerait soutenir. Il y a déjà deux fondations de l’entreprise qui donnent déjà beaucoup pour la philanthropie environnementale, donc l’idée, c’est d’élargir le champ d’actions et vers plus de social et d’autres projets transversaux qui essaieraient d’innover."

Philanthropie et économie

En 2018, Léa Nature a donc rejoint la communauté De Facto, dynamique européenne pour le développement des fondations actionnaires, impulsée et coordonnée par le cabinet Prophil, spécialisé dans le lien entre philanthropie et économie. Pour l'heure, une douzaine de sociétés comme Bureau Vallée, Mediapart ou la scierie Archimbaud se sont engagées dans cette démarche. Comme souvent, les pays scandinaves sont précurseurs en la matière avec des géants comme Bosch, Carlsberg ou Velux. 

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©Prophil
"Par exemple au Danemark, la fondation Novo Nordisk, l’entreprise pharmaceutique, redistribue tous les ans 226 millions d’euros à différentes cause et ça représente 7 % du financement de la recherche publique danoise", explique Clara Houzelot, responsable du Pôle Recherche de Prophil. "En Europe du Nord, il y avait surtout une volonté de préserver le patrimoine industriel sur le territoire. Mais, en France, d’autres entreprises se sont tournées vers ce modèle face au risque de rachat par de grands groupes industriels et aussi avec cette volonté de contribuer au bien commun et à une cause d’intérêt général."

On est passé d’un capitalisme libéral à un capitalisme écologiquement responsable et là on passe à une dimension d’entrepreneur humaniste à visée philanthropique.

Charles Kloboukoff, Léa Nature

"Philosophiquement, on sait qu’on est tous de passage sur terre et la projection qu’on fait du rôle de l’entreprise une fois qu’on aura fini notre rôle d’entrepreneur, c’est quand même de se demander quelle place on veut lui donner dans la société et, pour moi, elle a une autre vocation que de servir ses actionnaires sur des dividendes et une politique de court terme", se justifie Charles Kloboukoff. "On est passé d’un capitalisme libéral à un capitalisme écologiquement responsable et là on passe à une dimension d’entrepreneur humaniste à visée philanthropique." 

Anti-capitaliste !

Cette solution lui semblait donc la plus adéquate, tant du point de vue du chef d'entreprise que du père.

Utopique et solidaire, Emma Kloboukoff se déclare également sans vergogne "anti-capitaliste". Ce n'est visiblement pas antinomique avec ses futures fonctions à la tête de FICUS. "Je le vis comme un soulagement !", nous dit-elle au téléphone. "Le fait de ne pas hériter d’une entreprise que je n’ai absolument pas créée, c’est rassurant. L’idée de changer le capitalisme et de céder une entreprise non pas à des actionnaires privés mais à un organisme d’intérêt général, je trouve ça super. C’est quelque chose dans lequel je crois et qui pourrait contribuer à changer les entreprises d’aujourd’hui." 

"Il s’agit en fait de repenser le modèle de propriété de l’entreprise car la fondation n’appartient à personne", tempère Clara Houzelot. "On est plus dans un post-capitalisme qu’un capitalisme à visage humain. Ça peut aussi coexister avec un système d’actionnariat salarié par exemple et ça permet d’agir sur la circularité des profits et de réconcilier économie et intérêt général. C’est un modèle vertueux."

Il faudra bien sûr laisser du temps au temps avant de voir les premières retombées de la démarche et les premières actions engagées par FICUS Fondaction. Un peu d'utopie et de solidarité de toute façon ne peuvent pas nous faire du mal.

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