A La Rochelle, le temps d'un week-end, le photographe parisien expose une vingtaine de ses œuvres dans un salon de tatouage. Rencontre avec un esthète du corps féminin.
Au Carré Amelot, le centre culturel de La Rochelle, on aime la photographie. Toute la photographie. Mais voilà, dans son exécution comme dans son exposition, le travail de Gilles Berquet demande de la délicatesse. Parce que, monde d'après ou monde d'avant, le nu, ça reste compliqué. Allez savoir pourquoi.
"Je croise les doigts tous les jours pour ne pas me faire virer d’Instagram", rigole Berquet au bout du fil dans la voiture qui l'emmène à La Rochelle pour cette éphémère événement. Car c'est dans le salon de tatouage de Karotte et Christian Baron, Volt Tatouage, au 4 rue Amelot, que samedi et dimanche après-midi, les amateurs pourront découvrir la finesse argentique de l'artiste.
"Mais monsieur, il y a des magazines spécialisés pour ça !"
"Je suis son travail depuis plusieurs années", explique Christian, tatoueur mais surtout graphiste bien connu des gens de bon goût, "si ça n’avait pas été Gilles Berquet, je ne l’aurai pas fait. Mais ça aurait été trop dommage de ne pas montrer son travail à La Rochelle. Notre échoppe est un lieu fermé et comme montrer du nu maintenant, c’est un peu compliqué, là, c’est un peu confidentiel. C’est moins ouvert qu’une salle d’expo conventionnelle"
Il faut dire que, depuis plus de trente ans, Berquet taquine le bondage et le fétichisme avec une évidente délectation, avec humour aussi. "J’ai toujours dit que mon travail était de l’art et pas de la pornographie", se justifie-t-il encore aujourd'hui, "au début, dans les années 80, quand j’allais voir les galeries on me disait "mais monsieur, il y a des magazines spécialisés pour ça !". L’esprit était encore un petit peu obtus. Après, j’arrivais à exposer mon travail dans des salons comme la Fiac, certains éditeurs ont publié des livres au Japon ou aux Etats-Unis, donc, au bout d’un moment, il a bien fallu admettre que je faisais partie du domaine de l’art !"
"C'est un gentleman"
Pascal Mirande, c'est le monsieur Photo du Carré Amelot. Il y a quelques années, il avait croisé Gilles Berquet et sa compagne-complice Mirka Lugosi dans le cadre d'une exposition de cette dernière dans le Pays Basque. Quelques atomes crochus qui se baladaient par là ont fait le reste.
"Il ne met jamais les gens en difficultés dans ces photos", commente Pascal Mirande, "il en a fait des images provocantes, mais c’est un gentleman. Il y a beaucoup de légèreté, il dédramatise. Photographier des corps, ce n’est pas tabou. On aurait pu faire l’exposition au Carré Amelot mais il fallait faire attention parce que des enfants fréquentent aussi ce lieu culturel. Là on est dans un lieu privé et c’est important d’expliquer ça aux gens et, à l’époque actuelle, d’exposer ce genre de travail et de réflexion sur l’érotisme".
De fait, Berquet ne choisit presque jamais ces modèles. Notoriété oblige, ce sont les femmes qui le contactent en premier lieu. Après une franche discussion, vient le moment précieux du corps qui se révèle devant l'objectif. En toute simplicité. Un rideau vert, quelques réglettes d'éclairages, ambiance photomaton. Puis vient l'heure de la mise en scène. Dans le studio, Berquet danse avec son boitier, un tango à distance immortalisé sur du papier argentique.
"Je n’ai jamais aimé cette notion de modèle. Le fait que ce soit le photographe qui choisisse, qui fasse un casting avec ces notions de référence du genre", nous explique le photographe, "en fait, ce sont les femmes qui me contactent, des professionnelles ou des amatrices qui ont envie de céder à la tentation. C’est d’ailleurs le titre de ma dernière exposition, « la tentation d’exister », un titre que j’ai emprunté à Cioran. Un corps peut toujours être désirable à partir du moment où on le respecte. Mon travail est en plein respect de la femme. Mes modèles sont aussi bien des hétéros que des lesbiennes, souvent des militantes féministes. Mais j’ai aussi des féministes qui me censurent et qui trouvent mon travail scandaleux. Alors que d’autres considèrent que mes photos leur donnent la parole".
Reste que la photo érotique, allez savoir pourquoi, est plus que jamais sulfureuse et, pour d'autres raisons que par le passé, difficile à présenter dans l'espace public. "J’ai l’impression d’être un saltimbanque ! J’arrive avec ma roulotte et mon exposition dans le coffre, je monte mon chapiteau sur la place du village, à l’ancienne et lundi je plie mes affaires et je repars avec ma valise !", rigole toujours Berquet qui file sur l'autoroute. Car n'oubliez pas, l'exposition ne sera visible que ce week-end à La Rochelle, éphémère et délicate.