Pour célébrer cet anniversaire, nous vous proposons une série d'articles un brin nostalgiques. Le 1er avril 2011, La Rochelle inaugurait en grande pompe sa salle des musiques actuelles. Mais cela faisait déjà plus de quinze ans que les amateurs attendaient avec impatience cet outil culturel.
Il faisait bien beau à La Pallice ce jour-là. C'était un vendredi et, au bout de l'avenue Delmas, le soleil couchant ajoutait du sourire aux happy few qui avaient réussi à obtenir le précieux sésame pour cette inauguration. Ségolène Royal, alors présidente de la région Poitou-Charentes, était entourée de tous les édiles de la communauté d'agglomération. Il faut dire que la réhabilitation de cet ancien silo à grains sur le port de commerce avait coûté la modique somme de 7 millions d'euros. Mais foin de ces considérations bassement financières. Ce vendredi-là, il y a The Legendary Tigerman sur scène et c'est le premier d'une longue série de concerts à guichet fermé. Mais ici, un petit flashback s'impose.
L'âge d'or de la scène alternative de La Rochelle
A La Rochelle, avant de parler de sirène, on a longtemps, très longtemps causer de serpent de mer. Une expression journalistique qui désigne communément un dossier dont on ne voit pas l'issue. A la fin du siècle dernier, la France technocratique venait d'inventer le concept de SMAC, les fameuses "salles de musiques actuelles". Ça claquait comme un bisou et l'acronyme en faisait saliver plus d'un dans la cité huguenote.
Notamment Gilles Bayet qui, avec Thibaut Carter, s'occupait de l'association "Croche en Stock" (mais qui a bien pu penser à un nom pareil ?). C'est que la scène rock est plutôt active et nombre de musiciens se languissent de pouvoir trouver une solution pour brancher leurs amplis. Dans l'encan, l'ancienne criée à poisson sur le vieux port, la municipalité les héberge, pour un temps, dans ce qui s'appelait alors le Slipway. "C’était les premiers studios dans le cadre de la réhabilitation de l’Encan mais on nous a vite considéré comme une verrue et on nous a repoussé dans une ancienne case de mareyeur un peu plus loin où on a mis des préfabriqués", se souvient l'actuel directeur adjoint de La Sirène, "les travaux avançant, on s’est retrouvé après dans les anciens bâtiments EDF du parking Notre-Dame en centre-ville".
Pendant ce temps-là, une poignée d'associations (Ne nous fâchons pas ou Kbis) se charge d'organiser des concerts dans quelques lieux emblématiques comme la Tipolia puis le Ribouldingue, le Boggart ou, bien sûr, la Casamance. Mathieu Moreau, objecteur de conscience au Centre Information Jeunesse et guitariste frustré, décide de s'impliquer sur la scène underground rochelaise. Gérard Piberne, l'incontournable Gégé de la Casa, lui propose en 2001 un emploi-jeune pour gérer les concerts dans cet improbable estaminet près du marché. La Casa, ancien bar gay, propose déjà de la musique depuis plus de dix ans. The spot !
Au maximum, la Casa pouvait raisonnablement accueillir 80 personnes les soirs de concert. Souvent, il y en avait bien plus. "C’était reconnu nationalement pour être un haut lieu de la culture underground avec plein de groupes américains ou français, tous les mecs qui étaient sur la route et qui cherchaient un endroit où dormir, manger et jouer toutes les 200 bornes entre Rennes et Bordeaux", nous explique l'attaché de production de La Sirène, "c’était une époque où on pouvait filouter et faire des concerts sans licence d’organisateur de spectacle, sans répondre à des normes de sécurité ou d’isolation phonique. On faisait des courses de vélo qui passaient dans le bar, on bloquait deux rues et personne ne nous a jamais fait chier".
Mathieu Peudupin ne s'appelle pas encore Lescop et il est alors le tout jeune chanteur du groupe Asyl. Ils ont fait au moins quinze concerts à La Casa, sans compter les prestations de groupes qui ne duraient que le temps d'une soirée. "C'était un truc de fou, mais c'est vrai que, par rapport à Poitiers avec le Confort Moderne ou la Nef à Angoulême, à La Rochelle, on n'avait pas ce genre de lieu qui permettent à la scène alternative de se développer, parce qu'il y a des locaux pour répéter ou des studios pour enregistrer des démos".
Malgré tout, c'est quand même un peu l'âge d'or du rock, plutôt punk garage avec des combos comme les Guzzlers ou les Weak. "Ca aurait été vraiment l'âge d'or si, en plus, il y avait eu La Sirène" analyse aujourd'hui Lescop, "il n'y a jamais eu les deux en même temps et ça, je le déplore. Souvent l'underground est nourri par les plus grosses structures, il y a une pososité. Notre premier six titres, par exemple, on l'a enregistré à la Nef".
Un long serpent de mer et, finalement, une sirène
L'idée d'une vraie salle de concerts continuent cependant de trotter dans les têtes. Les politiques, eux, en sont encore à chercher un consensus avant même de penser à un terrain pour construire cette SMAC. "Certains disaient qu’on n’avait pas à investir dans une salle de spectacle de plus, surtout pour de la musique amplifiée. Ce qui compte c’est le logement et l’emploi, les loisirs, ça passera après. Le discours classique", se souvient Maxime Bono, alors maire de la ville, "mais ceux qui tenaient ce discours-là étaient un peu résignés, en disant, finalement, si les jeunes veulent ça, on n’a qu’à leur faire plaisir".
Arrive alors le dossier de la SMAC de Bongraine, du nom de ce quartier non loin d'Aytré et du bord de mer. Une saga juridico-administrative qui va durer quelques années et qui s'achèvera, en 2006, par une victoire de militants écologistes qui n'ont guère de difficultés à faire capoter des dossiers aussi mal ficelés. "On s’est quand même pris un coup de massue", se rappelle Gilles Bayet, "après deux échecs, on avait peur qu’ils abandonnent. On voyait bien qu’on gênait, on avait déménagé deux fois, on était dans des préfabriqués avec des financements plutôt limites. Moi, j’ai fait huit ans d’emploi-jeune avec pas beaucoup de perspectives et l’avenir de Croche en Stock, il n’y en avait finalement que dans la possibilité d’un nouvel équipement".
Plus de salle à l'horizon et, comme partout en France, les caf-conç' qui ferment les uns après les autres après des plaintes de voisinage ; à la Rochelle vont suivre de bien trop longues années pas du tout rock'n'roll. En attendant des jours meilleurs, on réfléchit à trouver une solution intermédiaire. Miraculeusement, une drôle d'association constituée de notables de la ville, Démar, va apparaître dans le paysage et proposer d'organiser deux ou trois événements par an sous châpiteau qui auraient rassembler deux ou trois mille personnes. Il y a là le directeur du port, le président de l'université, le cercle des entreprises des Francofolies et les gérants de La Coursive, la scène nationale.
"Ils nous ont contactés pour s’adjoindre notre concours et apporter une réponse à l’annulation du dernier permis de construire. Mais, après quelques rendez-vous, on n’est pas tombé d’accord sur le principe. On s’est fritté", résume Gilles Bayet, "on ne voulait pas que ce projet sur les musiques qui entre guillemets étaient les nôtres soit géré par ces deux structures qu’étaient les Francos et la Coursive. On a prévenu la mairie que s’il partait sur la proposition de cette association, les gens qu’on représentait allait prendre ça pour de la provocation et ça allait être le feu. Finalement, ils nous ont écoutés et de ce collectif est né XLR".
Dans les locaux de "Croche en Stock", XLR est une nouvelle association qui, en réaction à cette impasse, va, en 2007, tenter de fédérer toutes les forces vives qui n'en peuvent plus d'attendre cette maudite salle des musiques actuelles. Dans un premier temps, ils vont chercher un bâtiment qui pourrait être mis à la disposition de tous les acteurs locaux qui se battaient pour organiser des concerts à droite à gauche. Il y a bien cet ancien bloc de béton désaffecté sur le port de La Pallice, mais il est alors inclut dans le domaine portuaire et le périmètre Seveso près d'une usine de stockage d'ammonitrate. Certains se souviennent y avoir passé quelques soirées illégales sur fond de techno. De la paléo-archéologie dans la génèse de La Sirène.
Finalement, faute de mieux, XLR va se transformer en diffuseur et, pendant trois ans, ils vont investir la maison Georges Brassens à Aytré. Cette structure municipale n'est pas vraiment conçue pour ce genre d'activité mais elle accueillera, pendant trois ans, entre 250 et 500 spectateurs pour voir les Wampas ou Ez3kiel. De bons souvenirs, mais il est temps de retourner vers La Pallice où une sirène pointe le bout de sa queue.
Au bout de ce parcours du combattant, l'hypothèse du silo à grain va refaire surface. Daniel Joulin, président d'XLR, suivant les conseils du directeur général des services de la ville, va se promener du côté du port de commerce. "C’était un bâtiment en contrebas, il se voyait à peine, il était ouvert à plein vent, c’était rempli de pigeons et avec Gilles, on s'est regardé et, au bout d’un quart d’heure, on s'est dit OK, c’est ça". L'occasion est trop belle et les problèmes d'emprise sur le port autonome et les questions de sécurité vont être vite réglés. "Je connaissais bien le directeur Nicolas Gautier et il y avait à l'époque un projet urbanistique qu'on appelait "l'interface ville-port", explique Daniel, "le port devait devenir autonome à condition que les habitants puissent encore y accéder. Finalement, avec ce projet de la Sirène, le port abandonnait ce bâtiment à la CDA à moindre frais et tout le monde était content".
Tout naturellement, c'est donc l'équipe d'XLR qui va obtenir la délégation de service publique pour gérer le lieu. C'est l'agence Construire de l'architecte Patrick Bouchain qui va l'emporter, fort de leur expérience avec des anciens sites industriels comme le Lieu Unique de Nantes. "Paradoxalement, c’est un projet qui s’est fait extrêmement rapidement. En trois ans, tout était bouclé", se souvient sa collaboratrice Chloé Bodart.
Evidemment, un soin tout particulier a été porté sur les questions accoustiques, autant pour ne pas déranger le voisinage que pour éviter les nuisances sonores des semi-remorques qui déboulent sur le port. Au lieu d'installer la salle de concert en sous-sol, comme cela se fait généralement, les architectes vont décider "de poser une boite pour mille spectateurs sur le toit et de le recouvrir de toiles colorées pour donner un signal à la ville". "C’est incroyable comment ils se sont appropriés le lieu", se réjouit Chloé Bodart, "j’y suis retourné il y a deux ans et j’ai été surprise de voir ce qu’ils en ont fait, à quel point ils l’ont bien entretenu et à quel point on sent qu’il est aimé, ce bâtiment".
"On était loin d'imaginer la taille du bébé !" En regardant dans le rétroviseur, Mathieu Moreau se rend compte du chemin parcouru. Une bonne partie du collectif XLR est désormais salariée de la structure. "La seule chose qu'on voulait, c'était de continuer à faire les choses qu'on aimait et à retransrire l'état d'esprit dans lequel on le faisait" explique-t-il, "l'intelligence de David, c'est d'avoir recruté des mecs du coin pour la plupart. C'est important sur un territoire comme La Rochelle quand tu ouvres une nouvelle salle. Quand le public arrive, il voit d'emblée des têtes connues, derrière le bar ou aux studios. C'est plus dynamique et plus positif que donner la gestion à une équipe qui déboule d'on ne sait où".
Il n'y avait donc plus qu'à allumer les projos et brancher la sono. Bientôt Patti Smith, NoFx, Method Man, les Stranglers ou Serge Teyssot-Gay allaient débarquer sur le port de La Pallice. Mais ça, c'est une autre histoire.