"Le cinéma, c'est comme l'église au milieu du village" : entretien avec Jocelyn Bouyssy, patron du groupe CGR

Après neuf mois de fermeture, les salles obscures rouvrent leurs portes mercredi 19 mai. Avec un réseau de près de 70 salles, le groupe CGR, basé à Périgny près de La Rochelle, est un des principaux exploitants en France. Joint au téléphone, son directeur général piaffe d'impatience.

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Pour les pop-corns, il faudra attendre encore un peu (le temps que les salles de restaurants ouvrent aussi en intérieur). Mais pour tous les amoureux du septième art, les cinéphiles passionnés comme les ados mangavores, le jour de gloire est arrivé. On s'en rappellera longtemps, c'était un mercredi 19 mai. On avait raté "Adieu les Cons" de Dupontel avant le deuxième confinement, on avait préféré attendre plutôt que d'acheter "Poly" de Nicolas Vanier en VOD et on se languissait de découvrir "Falling" de Viggo Mortensen. Tant de temps à rattraper et tant de films (peut-être trop ?) à sélectionner... Mercredi, c'est la fête du cinéma et Jocelyn Bouyssy ne cache plus son impatience. Le directeur général et les 3.500 salariés du groupe CGR sont sur le pied de guerre pour ce D-Day. C'était la première séance et le rideau sur l'écran s'est levé. Moteur !

On se dit qu’il suffit d’ouvrir les portes et d’allumer les projecteurs mercredi. Ce n’est sûrement pas aussi facile ?

C’est compliqué mais c’est surtout du bonheur ! Quand on est fermé depuis aussi longtemps, il y a quelques difficultés à remettre tout le monde en ordre de bataille et à remotiver les troupes. Mais on va essayer de faire plaisir à nos spectateurs et que ça soit un moment festif mercredi.

Avec quel protocole ?

Le protocole, c’est 35 % de jauge dans les salles pendant les trois premières semaines avec un couvre-feu à 21 heures. Le 9 juin, on passe à 65% jusqu’à 23 heures et le 30 juin, ça sera du 100% sans masques ni couvre-feu, donc un retour à une vie quasi normale. On s’est assez plaint d’un manque de visibilité, de tous ces « stop and go », de ces promesses d’ouvertures toujours retardées, donc là, on a un plan d’action qui nous a été donné depuis un mois. C’est ce qui nous a permis de nous organiser justement grâce à tout ça. Alors, on va encore courber l’échine durant les premières semaines parce que ça manque un peu de blockbusters, mais ça va aller.

Justement, certains professionnels craignent que certains films ne trouvent pas leur place dans cette reprise ?

Je n’ai pas le même regard que d’autres là-dessus. Le chiffre de 400 films en attente est très médiatisé, mais ça va s'étaler jusqu'à la fin de l’année, même si le dernier trimestre va peut-être être problématique. Mais c’est un problème de riche. Je préfère être ouvert avec trop de films que fermé sans films. Beaucoup étaient déjà sortis à l’automne comme « Adieu les Cons » avant la fermeture en octobre dernier et on va les reprogrammer, certains sont déjà disponibles en VOD, donc, oui, il y a beaucoup de films à venir, mais comme chaque année. Au dernier trimestre, avec les décalages des blockbusters, les James Bond ou Top Gun, il y aura un peu de bouchon, mais, si vous saviez comme on a rêvé de ça pendant des mois ! Ce n’est pas bien grave. On va tout prendre et puis on espère que les gens viendront plus souvent au cinéma.

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Avec notamment beaucoup de films à destination des jeunes pour cette première semaine (100% Loup, Poly, Petit Vampire, Tom & Jerry) ?

Oui et on a aussi pris le risque de sortir un film qu’on avait déjà programmé il y a plus d’un an qui s’appelle « Demon Slayer », un manga qui a battu tous les records au Japon et aux Etats-Unis. C’est notre filiale CGR Events qui en a l’exclusivité  et on a déjà plus de 25.000 places réservées en prévente pour la première semaine. L’idée, c’était de prendre ce risque malgré la jauge réduite et de faire revenir les jeunes, sevrés de cinéma. Donc, en tant que distributeur, CGR sera leader sur cette semaine de réouverture. On ne s’y attendait pas ! Quand on a été fermé 300 jours sur quatorze mois, quand on ré-ouvre en se demandant comment vont revenir les gens, qu’on met des tickets en prévente et qu’on est déjà à 25.000, c’est vraiment un événement.

Avec plus de 700 salles partout en France et 3.500 salariés, comment se porte l’entreprise CGR ?

Le travail, il a été fait en amont. Si on est encore là, c’est qu’on s’en est sorti. On sait qu’on a encore un mois et demi difficile, maintenant il va falloir reconstruire tout ce qu’on a perdu entre guillemets. Nous, on a mangé toute notre trésorerie. Mais on est dans un beau pays. On a eu du chômage partiel, des aides sectorielles même si ça ne couvre pas un dixième de nos pertes. Je connais beaucoup de collègues à l’étranger qui n’ont pas eu cette chance-là. Mais on va y arriver, même si la reprise va se faire progressivement. On ouvre tout, avec le même nombre de séances. Peu importe. On part du principe qu’on a trop attendu ce moment pour tergiverser. On est trop heureux d’ouvrir. On est persuadé qu’on va perdre de l’argent pendant un mois et demi mais ça fait quatorze mois qu’on en perd, alors… je préfère positiver pendant ce laps de temps et aider les gens à se réapproprier leur loisir préféré.

Comment envisagez-vous ce mercredi 19 mai ?

Alors évidemment, ça dépendra de la météo et puis il y a aussi la réouverture des terrasses de café et des restaurants, mais je reste persuadé que c’est un tout et que les gens iront boire un verre au café, mais iront aussi au cinéma et au restaurant. Ça va monter crescendo, il y a une grosse attente d’un retour à une vie normale. Moi, je voulais ouvrir au plus vite parce que j’avais peur que les gens nous oublient. Le streaming, les plateformes vidéos, ça va un temps, mais le cinéma, c’est comme l’église au milieu du village. La salle doit redevenir le cœur.

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