Devant ses ordinateurs à Châtelaillon-Plage, le spécialiste de météo et de stratégie de course suit évidemment avec beaucoup d'attention cette neuvième édition du Vendée Globe. Après des mers du Sud chaotiques, les coureurs, selon lui, vont faire face à un océan Atlantique capricieux.
Dans le milieu de la course au large, on l'appelle "le sorcier". Mathématicien de formation et marin de passion, Jean-Yves Bernot a passé une bonne partie de sa vie à la table à carte. Comprenez celui qui, dans le temps, traçait des routes au crayon de bois sur des cartes papier avec une règle Cras. Il a navigué avec les plus grands, Tabarly, Poupon ou Caradec. Il a plusieurs tours du monde à son actif et une expérience unique des dépressions et anticyclones de tous les océans de la planète.
Depuis plusieurs années, c'est dans son bureau de Châtelaillon-Plage, près de La Rochelle, qu'il prodigue ses conseils aux meilleurs navigateurs, notamment François Gabart. Le crayon de bois a cédé la place aux logiciels de routage et aux fichiers météo informatiques. Ce Vendée Globe, forcément, le passionne et il nous livre aujourd'hui une analyse comme toujours très éclairée de cette neuvième édition.
"C'est quand même sacrément la guerre !"
"Ils ramassent quand même ! Ils n’ont pas eu de répit depuis le départ", constate le routeur, "il y a eu la première dépression tropicale après le golfe de Gascogne. Le Pot au noir, par contre, ils sont passés comme dans du beurre mais ça a commencé à devenir compliqué dans l’Atlantique sud et, tout l’océan austral, il n’y a pas eu beaucoup de répit".
Il faut dire qu'évidemment la voile est le seul sport où il y a eu autant d'avancées technologiques dans un si court laps de temps. Tous les bateaux de dernière génération avec leurs foils géants ont en quelque sorte essuyé les plâtres sur ce Vendée. De la casse, il y en a toujours eu dans cette épreuve reine mais on imagine mal les conditions qu'endurent ces marins depuis deux mois maintenant.
"Il y a un phénomène assez particulier que l’on n’avait pas vu depuis longtemps", constate le stratège, "c’est que, pour une fois, les premiers n’ont jamais réussi à capitaliser sur leur avance. Souvent celui qui arrive en premier dans l’océan austral, il se barre, il tend l’élastique et tu le revois après le Horn".
Faut bien comprendre que maintenant, contrairement à ce que disent certains, quand tu as 35 nœuds de vent avec ces bateaux-là, c’est quand même sacrément la guerre. Ils n’ont pas eu l’autoroute des mers du sud, mais, de toute façon, dans l’océan Indien, c’est toujours le bordel, sauf qu’avec ses bateaux, c’est infernal. C’est des coques complètement plates qui passent leur temps à monter et descendre sur les foils. En fait, les conditions ont été dures mais c’est surtout les bateaux qui sont infernaux et on le savait déjà avant de partir. Tous ceux qui avaient navigué dessus se demandaient comment ils allaient faire.
"Ca va être très compliqué et très stressant."
Du coup, on a rarement vu autant de concurrents se succéder devant le Cap Horn. Alors certes, le Rochelais Yannick Bestaven a pris la meilleure option en faisant de l'est pour passer la première bulle anticyclonique et creuser un peu plus l'écart sur Charlie Dalin sur Apivia. Mais le reste de la meute n'est pas loin et cette remontée de l'Atlantique va ressembler à une étape de la Solitaire du Figaro. Alors ne demandez pas un pronostique à monsieur Bernot. "Moi, je n’en ferai pas ! Yannick, il a un peu d’avance et il a quand même un matelas avec les dix heures de compensation reçu quand il s’est dérouté et je préfèrerais être à sa place plutôt qu’à celle des autres, mais c’est loin d’être clair pour la suite".
Ça va être très compliqué et très stressant la remontée de l’Atlantique sud. Celui qui est devant comme Yannick, il fait un peu éclaireur pour les autres. C’est lui qui va marquer les zones d’emmerde en avance. Vers la fin de semaine, il va justement se retrouver dans une zone où il n’y a pas beaucoup d’air et les autres vont revenir derrière. Il y a des grumeaux partout, rien de bien clair, des petites dépressions difficiles à gérer. Elles sont petites pas très hargneuses et on sait jamais si on va avoir du vent dans le nez, du calme ou du portant et la prévisibilité, elle n’excède pas trois jours. C’est dur d’avoir une stratégie à moyen terme correcte.
Et puis surtout, Jean-Yves bernot le sait bien : la route est encore longue jusqu'aux Sables d'Olonne. Il leur reste quand même l'équivalent de deux transatlantiques à parcourir. Vendée Globe, la suite au prochain épisode.