Joint par téléphone ce matin, Yannick savoure bien sûr cette première place avant de passer ce mythique Cap Horn. Mais il garde la tête froide et pense à ses copains rochelais qui aimeraient bien être dans la course.
On peut bien sûr être nostalgique du bon vieux temps où la solitude du circumnavigateur était aussi inaccessible qu'un vestiaire de rugby à la mi-temps. Il y a quelques années, certains avaient vu d'un mauvais oeil l'obligation faite aux skippers d'envoyer photos et vidéos régulièrement pendant leur périple. Il y avait comme une impression de blasphème dans tout ça. Pourtant, il faut bien avouer que, nouvelles technologies aidant, il est incroyable de se réveiller un lendemain de réveillon, de prendre son smartphone et de passer un coup de fil à Yannick bestaven pour lui souhaiter la bonne année.
En bruit de fond, on entend bien le rugissement des quarantièmes ou, pour être plus exact, les hurlements des cinquantièmes dans ce Pacifique qui, comme toujours, porte bien mal son nom. On entend aussi le choc de la coque dans les vagues et, parfois, le skipper interrompt la conversation pour aller choquer un peu de grand voile, histoire de ralentir la bête. Bref, c'est comme si Yannick Bestaven était devant le phare de Chassiron et qu'il s'apprêtait à rentrer dans le port de La Rochelle.
"C'est un peu mal pavé dans le coin."
Pourtant, la route est encore longue et, a priori, le Cap Horn devrait être fidèle à sa réputation pour le leader de ce Vendée Globe et son dauphin, Charlie Dalin. "Ça va vite là, je suis à 24 - 26 nœuds avec des pointes à 30. Ça bombarde, c’est pas les pertuis charentais !" raconte tranquillement Yannick, "Pour l’instant, la mer est bien rangée donc j’essaye d’aller vite pour rentrer dans le vif du sujet et le vent fort qui arrive". Car les prévisions météo sont du genre dantesques et, comme toujours, il va falloir être prudent et faire le dos rond avant de mettre le clignotant à gauche direction l'Atlantique.
Ça s’annonce compliqué. Je vais passer sud pour éviter la mer trop forte avec la remontée des fonds. Je ne vais pas le voir le Horn hélas. Sur les fichiers météo, sur ma route, je ne devrais pas avoir plus de 6 mètres de houle. Il va falloir régler la vitesse du bateau pour aller vite et pas traîner trop longtemps là, mais pas trop non plus pour pouvoir passer les dos d’ânes. C’est un peu mal pavé dans le coin. Si ça se passe bien pour Charlie et moi, on devrait se retrouver à lutter tous les deux dans l’Atlantique après.
53 jours en mer, c'est un record pour beaucoup de skippers du Vendée Globe. 53 jours, c'est long. Assez pour que le Rochelais et son équipe à terre oublient où ils avaient bien pu cacher l'enveloppe de cadeaux de Noël et d'anniversaire (le 28 décembre) dans le bateau. Il a donc attendu le réveillon de la Saint-Sylvestre pour déballer tout ça et savourer sa mignonette de champagne. "Quand t’en as pas bu depuis le 8 novembre de l’alcool, ça fait du bien au cerveau !" Pas de cotillons ni de serpentins pour autant à bord de Maître Coq ; "Ca n'a pas changé grand-chose à la poloche, à dire vrai. On est dans des conditions de mer agitée donc on n’a pas trop profité de tout ça. Si réveillonner veut dire se coucher tard et peu dormir, c’est notre lot de tous les jours ! (rires)"
"On va chercher loin physiquement et mentalement."
Il faut dire que le scénario de cette neuvième édition du Vendée Globe a surpris tous les amateurs de course au large. On attendait le sacre des bateaux de dernières générations avec leurs foils géants, on pronostiquait un record de vitesse pour boucler la boucle, certains avaient déjà distribué les places sur le podium. C'était oublier que, à la fin de l'histoire, c'est mère Nature qui fixe les règles du jeu et que cette incroyable course restera toujours une aventure humaine.
Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait des conditions aussi changeantes. Ça n’a pas été l’autoroute des mers du sud comme ça peut l’être avec du vent fort mais du portant avec une houle bien rangée. On va chercher loin physiquement et mentalement aussi. Etre à l’intérieur d’un shaker jour et nuit, ça tape sur les neurones. Y a du stress, c’est pas hyper serein tous les jours. Faut tenir la pression, quoi. J’ai hâte de vivre ma prochaine pétole, d’ouvrir le bateau, de mettre tout à sécher, de me déshabiller, de prendre une douche, s’occuper un peu du bonhomme, recharger les batteries. Je poserai bien une RTT, on la mérite !
Mais, chaque chose en son temps ; pour l'instant donc, il faut déjà passer le Cap Horn, la troisième marque du parcours à laisser à babord. "Y a un petit fichier à 60 nœuds à passer, mais si plus tard on me fait chier dans les soirées, je pourrai dire « t’as déjà passé le Horn en tête du Vendée Globe, toi ? (rires)" On l'aura compris, Bestaven ne se prend pas trop la tête avec le classement. Pas trop mais un peu quand même. Ceux qui ont connu le marin un peu sanguin et impatient d'hier doivent être surpris de voir comment il gère ce tour du monde. "Un sans faute" a déclaré Thomas Ruyant, certes. Mais aussi, mentalement, la marque d'un marin qui est au meilleur de son expertise.
Je ne veux pas me mettre le bourdon avec ça parce qu’avec Apivia, on n’est pas à armes égales sur les performances du bateau. En toute logique, il devrait me déposer sur le retour, donc je ne veux pas être déçu. Après dans notre duel, ça va être intéressant de voir comment on navigue avec des bateaux qui ne sont plus forcément à 100% de leur potentiel et qui sont un peu fatigués. On verra. Je ne me mets pas la pression du genre « je suis premier au Cap Horn, je serai premier aux Sables » parce que la route est longue et il peut se passer plein de choses. J’ai juste envie de profiter de ce retour. Tu sais quoi ? Je suis aux avants-postes et mon objectif, c’était ,un, de finir le Vendée et je m’étais dit que si j’étais dans les cinq, je serais super content. Je suis aux avants-postes alors j’ai envie de profiter de cette remontée, de m’en rappeler toute ma vie, de naviguer en harmonie avec les éléments et de ne pas avoir de déception.
"la course au large, c'est La Rochelle."
Pendant ce temps-là à La Rochelle, le quotidien de centaines de supporters est rythmé par l'actualisation de la cartographie du site de la course. Pour les "voileux", le Vendée en général et la course de Yannick en particulier sont LE sujet de conversation incontournable. "On me le dit, il paraît qu’il y a beaucoup de suivi mais, non, je ne m’en rends pas compte. Il me tarde de rentrer avec le bateau dans le port de La Rochelle. Ca sera un super moment à partager avec tous ceux qui ont rêvé avec ce voyage autour du monde". Les pronostiqueurs qui avaient oublié l'option Bestaven dans leurs calculs ont raison sur un point : c'est en toute discrétion, dans son coin, à La Rochelle que le skipper a préparé son aventure. Alors que beaucoup avaient les yeux rivés sur les pontons bretons de "Port Laf'" ou de Lorient, dans le bassin des chalutiers, toute une équipe préparait consciencieusement et sans faire trop de bruit le 60 pieds du volailler. C'est qu'on peut être originaire du bassin d'Arcachon mais être un ardent défenseur de son port d'attache et d'adoption.
Depuis le temps que je dis que La Rochelle a sa place dans le monde de la course au large et qu’il faut, messieurs les financiers, les élus, tous les chefs d’entreprise, aider la course au large à émerger à la Rochelle... Parce qu’on ne va pas refaire le débat, mais y en a plein des bons marins à La Rochelle, y en a plein. C’est un creuset de champions La Rochelle. C’est vraiment ce message que j’ai envie de porter, plus qu’un message personnel de gagner le Vendée. Je serais content bien sûr mais la course au large, c’est la Rochelle. Je pense à plein de copains, des petits jeunes qui n’attendent que ça. Des Julien Pulvé, des Aymeric Chappellier et je vais en oublier plein… donc je suis hyper fier de dire que La Rochelle est en tête du Vendée Globe au Cap Horn
Non, décidément ce Vendée Globe-là est passionnant à suivre et nous réserve sûrement encore bien des souvenirs. Et pourquoi pas, un Rochelais vainqueur aux Sables d'Olonne ? A dire vrai un Bestaven heureux suffirait à notre bonheur.