Charente-Maritime : l'éternelle polémique autour de l'accueil des grands convois estivaux de gens du voyage

Dimanche à Saujon, le maire a tenté d'interdire l'accès du stade municipal à un convoi de caravanes. Faute d'autres solutions, ce collectif de gens du voyage s'y est quand même provisoirement installé. Décryptage d'une situation banale avec William Acker, juriste et spécialiste de la question.

Dans le jargon journalistique, on appelle ça un "marronnier". Comprendre un reportage qui revient tous les ans à la même époque comme les chrysanthèmes à la Toussaint ou le chassé-croisé des vacanciers sur les routes estivales. Du côté de Royan et de La Rochelle, tous les ans, arrive donc inéluctablement le jour où le maire d'une commune du littoral se retrouve à devoir gérer l'arrivée massive de "gens du voyage" en caravane. Dimanche dernier, c'était donc à Saujon et, comme tous les ans, notre reportage a montré un édile en colère, des "voyageurs" qui regrettent sincèrement cette situation et, comme tous les ans, rappelé que le département ne remplit pas ses obligations règlementaires en la matière. 

Une situation tristement banale aux yeux de William Acker. Ce juriste, lui-même issu de la "communauté du voyage", vient de publier un essai fort instructif intitulé "Où sont les "gens du voyage"?" (éditions du Commun). Bien que sédentaire depuis longtemps, ce jeune Toulonnais reste fidèle à ses racines et essaye de faire bouger les lignes sur ce dossier insoluble pour beaucoup. Tout commence suite à l'accident de l'usine Lubrizol à Rouen en septembre 2019. Comme il s'en doutait, une aire d'accueil est effectivement située près du site industriel incendié mais ses habitants sont bien sûr passés sous les radars médiatiques.

William Acker décide donc de faire un inventaire exhaustif et critique des aires d'accueil dans l'Hexagone. En plus de cette carte interactive inédite documentée par des vues aériennes, il enquête sur les nombreuses sociétés privées gestionnaires de certaines de ces aires et recueille les témoignages de ceux qui y habitent. Un travail de fond qui confirmera, pour ceux qui en doutaient, que, trop souvent, ces équipements rendus obligatoire par la loi Besson en 2000 sont en nombre insuffisant, relégués loin des agglomérations et souvent dans des endroits isolés et pollués. 

Suite à cette dernière actualité sur le stade municipal de Saujon, nous avons souhaité lui donner la parole pour tenter de prendre un peu de recul sur une question qui mérite plus qu'un "marronnier", aussi juste et impartial soit-il. 

France 3 : Pourquoi a-t-on du mal à dépassionner ce débat ?

William Acker : On est dans un contexte avec une histoire très particulière et c’est compliqué de répondre à cette question sans se replonger dans ce qui s’est passé ce dernier siècle en France. On est dans un pays où pendant très longtemps les modes de vie des populations itinérantes ont été criminalisées avec un focus particulier sur ce que l’historienne Henriette Asséo appelle « le nomadisme tsigane », parce que finalement ce ne sont pas toutes les itinérances qui posent problème, c’est celle que l’on associe peu ou prou aux tsiganes. Au XIXème siècle, on parlait de « fléau des campagnes », ensuite il y a eu du fichage ethnique, des internements, donc l’histoire est déjà passionnée.

France 3 : Vous avez très vite réagi sur les réseaux sociaux après l’épisode de Saujon en pointant certaines expressions utilisées par les médias locaux.

William Acker : Il y a effectivement un travail de sémantique et d’approche journalistique à faire. On se rend bien compte qu’il y a plusieurs points de vue sur le phénomène. Il y a le point de vue du riverain qui se sent envahi et donc on va parler souvent d’ « envahissement ». On va avoir le point de vue du maire qui parle parfois de « gens sans foi ni loi » et on va retrouver l’expression dans le corps du texte de l’article avec des citations et puis on a aussi des termes comme « installation sauvage » qui reviennent sous la plume des journalistes. Et puis on a le point de vue du voyageur, acteur principal de l’information, qui souvent n’est pas celui que l’on met en avant.

France 3 : Vous comprenez la réaction de Pascal Ferchaud, le maire de Saujon, dont la commune s’est conformée à la règlementation en matière d’accueil et qui veut mettre l’Etat devant ses responsabilités ?

William Acker : On est dans un département qui, depuis 2001, a des objectifs en matière de « grands passages ». Ça fait donc bientôt vingt ans et ce n’est toujours pas réalisé. Pourtant, c’est un phénomène saisonnier et on a depuis longtemps identifié ces besoins, mais malheureusement on n’a pas fait de travail de fond sur cette question, tout simplement parce que tout le monde est à peu près d’accord sur l’accueil, mais personne ne veut accueillir chez soi. C’est un cercle vicieux.

Pendant très longtemps, cette question était à la charge des communes et il y a eu une délégation de compétences de l’accueil des gens du voyage aux intercommunalités en 2017.  On a donc des maires qui disent légitimement qu’ils ont construits des aires sur leur commune, qu’ils sont aux normes et qu’il y a quand même des installations illégales, et forcément ils pensent que ce n’est pas normal et on peut tout à fait les comprendre. De l’autre côté, on a le grand public qui ne perçoit pas forcément le mille-feuille administratif et de compétences des uns et des autres. Donc on a un maire qui rejette la faute sur l’intercommunalité ou la préfecture. Mais dans l’esprit du public, la gestion de l’accueil de gens du voyage incombe aux maires.

Mais il faut bien distinguer les aires d’accueil des aires de grands passages, parce que ce sont des problématiques très différentes. Pour ces dernières, les maires vont considérer que les collectivités n’ont pas les moyens et que c’est l’Etat qui doit prendre ses responsabilités. C’est toujours un rejet sur l’échelon supérieur. Quand on fait un schéma départemental d’accueil avec une révision tous les cinq ans, il faut être honnête dans ses perspectives. Souvent on minimise les besoins pour ne pas avoir à construire. Ce qui est humain parce c’est difficile pour un maire de faire accepter à sa population locale qui a peur des gens du voyage que l’on va construire un équipement. Mais on ne s’en sort pas comme ça. Il faut donc prendre un peu de hauteur pour bien examiner le système et analyser ces phénomènes. Quand on connait de façon superficielle le sujet, on fait vite des raccourcis. C’est humain. Il y a un gros travail pédagogique à effectuer.

France 3 : Quantitativement, de quoi parle-t-on quand on évoque « les gens du voyage » ?

William Acker : Pour ce qui est des « grands passages », c’est difficile à quantifier, mais c’est de toute façon très saisonnier, c’est généralement structuré en association ou collectif religieux, donc il y a possibilité d’avoir un contact qui gère le convoi, il y a en  plus un système de réservation en amont. Donc au final, la gestion des grands passages, c’est beaucoup plus simple que le travail social à faire sur les aires d’accueil, à condition d’avoir les équipements nécessaires et des agents dédiés à la question. Certains départements ont pris le problème à bras le corps même si parfois il faut gérer une affluence inattendue mais certains autres n’ont absolument rien fait.

Sinon on n’a pas vraiment de chiffres. On a des estimations qui parlent de 300.000 gens du voyage en France. Sur ces 300.000, un bon tiers ne voyage pas du tout et un autre bon tiers qui ne voyage que deux mois par an. On serait donc plutôt autour de 70.000 personnes qui seraient toute l’année sur les routes. Parmi elles, il y en a une partie plutôt aisée qui jouit de terrains privés avec un solide réseau familial et amical. Mais pour la grande majorité, ce sont des gens en situation d’errance, souvent extrêmement pauvres, des communautés souvent marginalisées et qui se retrouvent sédentarisées sur les aires d’accueil. Dès lors qu’ils ont trouvé une place, ils ne veulent plus en bouger pour ne pas être en situation d’illégalité. Et ça c’est un vrai défi. Il faudrait leur permettre d’accéder à un habitat pérenne parce que l’aire d’accueil se transforme alors en habitat indigne. On le voit partout en France. C’est un problème sociétal. On pense que ce sont des gens accueillis alors que ce sont des habitants en fait.

Cela nécessiterait des assises nationales. Il faudrait se mettre autour d’une table, créer un cercle vertueux pour régler les problèmes et prendre en compte ce mode de vie qui est ancestral, qui est français. C’est tout un patrimoine. Il y a des richesses là-dedans. Il faut savoir l’intégrer dans notre société. L’itinérance, on sait la gérer. Par exemple quand vous cartographiez les aires de camping-car publiques et les aires d’accueil, on voit tout de suite que certaines villes qui s’opposent à la création d’aires d’accueil, ont construits 80 emplacements pour camping-cars en plein centre-ville. Les campings municipaux par exemple sont interdits aux voyageurs qui ont des caravanes à double essieu. Mais certains sites de camping-caristes proposent des attestations à leurs adhérents pour qu’ils puissent eux y accéder…

Je suis pragmatique. Cela va prendre plusieurs décennies mais il faut produire du discours et des outils. Quand j’étais adolescent et en voyage, je ne savais pas comment structurer une défense, comment parler de ma culture, de mes origines, de ma façon de vivre, de ce qu’on pouvait apporter à notre pays. L’enjeu aujourd’hui il est là, il faut semer des graines.

 

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