Comme Isabelle Leparmentier à Saint-Palais-sur-mer près de Royan, des chercheurs bénévoles étudient l'impact du changement climatique sur cette drôle de "bestiole" qui n'a pas encore livré tous ses secrets.
Est-il encore nécessaire de le présenter, lui, la star des paillasses de laboratoire, le blockbuster de la vulgarisation scientifique ? Les amateurs de série B américaine se souviennent sûrement de ce film d'horreur de 1988 où il menaçait tout simplement la survie de l'espèce humaine. Son petit nom en vrai, c'est physarum polycephalum, mais on le connait mieux sous son pseudo qui, des plateaux télé jusque dans la station spatiale internationale, a fait sa renommée mondiale, le BLOB.
Dans son salon, Isabelle Leparmentier, jeune retraitée de Saint-Palais sur mer, en héberge quelques-uns depuis une semaine. Comme 15.000 autres scientifiques amateurs, elle a installé deux « blob houses », l’une à l’air ambiant, l’autre sous une lampe chauffante et, tous les jours, elle observe, mesure, photographie le comportement de ces drôles d’invités.
"L’idée, c’est de soumettre le BLOB à une température plus élevée qu’au milieu ambiant, là 24 heures à 30 degrés", explique l’ancienne laborantine, "on étudie le processus d’exploration, la façon dont il va chercher sa nourriture en se déployant et la phase croissance. Pour cette expérience, il mange des flocons d’avoine et, pour que les résultats soient exploitables, les 15 000 participants utilisent la même marque. De même, dans le fond des boîtes de petri, on met de la gélose, en l’occurrence de l’agar-agar de la marque "Vahiné" exclusivement. Il est gourmand. On lui donne une nourriture calibrée dans des bouchons de bouteilles de soda et je ne suis pas sûr d’en avoir assez !"
C’est l’incontournable chercheuse toulousaine Audrey Dussutour qui a lancé ce projet de recherche participatif du CNRS. Près de 50.000 amateurs ont candidaté pour y participer. C’est que, de conférences en émissions de radio ou de télé, dans les écoles ou les ehpad, et même en orbite autour de la terre avec Thomas Pesquet, grâce au blob, la scientifique est devenue, depuis 2008, l’ambassadrice officielle de cet incroyable organisme unicellulaire sans cerveau ni système nerveux mais avec 720 cerveaux et la faculté d’apprendre.
"C’est un projet qui, d’une part, nous permet d’initier les gens à la méthodologie scientifique", nous dit l’éthologue, "et, d’autre part, de faire avancer aussi les connaissances sur le réchauffement climatique qui est un des défis majeurs du futur. C’est un projet qui ne serait pas réalisable en laboratoire parce que cela demanderait trop de temps. La science citoyenne, c’est un concept qui existe depuis très longtemps, mais la plupart du temps, ça se limite à de l’observation et les gens n’expérimentent pas. Là, on leur demande d’être des scientifiques et, du coup, c’est comme si j’avais 15.000 stagiaires ! "
Pendant plusieurs semaines donc, Isabelle Leparmentier va prendre soin de ses BLOBs et suivre scrupuleusement le protocole établi par le CNRS. "C’est sérieux et costaud leur truc quand même !", dit-elle surprise, "moi, je suis tombée sur une souche un peu lente qui a mis un peu de temps à se réveiller mais là c’est parti et j’ai quatre protocoles à suivre. Ça me prend au moins une heure tous les jours. Mais visiblement, il n’aime pas trop les vagues de chaleur. Ce qui étonnant, c’est toutes les facultés de cet organisme, il s’adapte, il développe des réseaux, il va chercher de la nourriture d’une façon incroyablement rapide. Au début, on le reçoit sous forme d’un fil à coudre collé sur un timbre, mais dès qu’il se réveille après l’avoir réhydraté, il grossit à vue d’œil".
On l’aura compris, ce projet est avant tout une aventure humaine avec cette communauté de chercheurs amateurs qui se passionnent pour la bestiole mangeuse de flocons d’avoine, mais aussi une expérience grandeur nature de vulgarisation pour expliquer le quotidien des scientifiques.
"Beaucoup nous disent "on est désolé, on a fait des erreurs". Mais je leur réponds que ce n’est pas grave et que les scientifiques aussi font des erreurs, il faut juste ne pas les cacher", poursuit Audrey Dussutour, "le but, c’est d’avoir des données véritables que l’on pourra exploiter. La doyenne a 90 ans, il y a aussi des centres pénitentiaires et, dans les écoles surtout, c’est un super outil pédagogique".
Décidément, le BLOB n’en finit pas de surprendre son monde. Les premiers résultats de l’expérience sont attendus pour l’automne prochain.