Présent en France depuis 2004, le frelon asiatique aux pattes jaunes a envahi une grande partie des départements métropolitains. Son appétit pour les abeilles met à mal la filière apicole. Alors que le Sénat s'est prononcé en faveur d'un plan national, tous les acteurs ne s'accordent pas sur les stratégies à adopter.

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On pourrait presque dire que c'est la faute à pas de chance. En 2004, un horticulteur du Lot-et-Garonne a, accidentellement, importé le premier frelon asiatique à pattes jaunes en Europe. La vespa velutina nigrithorax, de son doux nom scientifique, était enfermée dans un lot de poteries en céramique, que le spécialiste des végétaux avait importé de la région de Canton, en Chine d'où l'insecte est originaire.

Incroyable, mais vrai, aujourd'hui, tous les frelons asiatiques à pattes jaunes d'Europe descendent de ce premier insecte (vraisemblablement une femelle fécondée par deux mâles ou bien deux femelles sœurs), transporté avec ces poteries, nous apprennent les études génétiques. 

Le frelon asiatique est une espèce de guêpe sociale, mais s'avère bien différente de "nos" guêpes européennes. S'il est un peu plus petit que le frelon européen, le frelon asiatique mesure environ 15 millimètres pour les ouvrières et environ 25 mm pour les fondatrices. Une de ses particularités les plus marquantes reste sa vitesse de prolifération. En moyenne, cette vespa velutina avance de 80 kilomètres par an. En vingt ans, cette championne de la reproduction, mais surtout de l'adaptation a colonisé la quasi-totalité des départements métropolitains de France et plusieurs pays limitrophes.

Le frelon mange des abeilles, mais pas seulement

Si cette espèce invasive a pu avancer aussi rapidement, c'est qu'elle mange à peu près tout ce qui lui tombe sous les pattes. "C'est une espèce opportuniste, explique Quentin Rome, entomologiste expert des frelons asiatiques à PatriNat (MNHN-OFB). Elle se nourrit des abeilles domestiques (~40%), des guêpes (~20%), mouches (~30%), papillons ainsi que des araignées." D'après une étude menée par le chercheur, pas moins de 159 espèces ont été identifiées dans le régime alimentaire du frelon asiatique à pattes jaunes.

Cet appétit a de lourdes conséquences sur l'abeille domestique (apis mellifera) et sur les activités apicoles. Comme la majorité des insectes, l'abeille mellifère subit déjà une mortalité importante liée aux pesticides, à l'artificialisation des terres et aux parasites comme le varroa. En Europe, 9 % des espèces d’abeilles et de papillons sont menacés et les populations diminuent pour 37 % des abeilles et 31 % des papillons. Et pour l'abeille domestique et son utilisation par l'homme, l'arrivée de ce prédateur féroce fragilise la filière économique. 

>> Lire aussi : Le varroa, cet acarien qui s'attaque aux abeilles 

Bruno Moreau est apiculteur près de Jonzac, en Charente-Maritime. L'année dernière, 13 de ses 20 ruches n'ont pas survécu. "Ça a explosé, il y avait du frelon partout, raconte Bruno Moreau. J'avais pris une photo, il y avait 64 frelons sur la planche d'envol d'une seule ruche." Selon l'apiculteur, également chasseur de frelons, cette augmentation du nombre de ces insectes envahissants s'explique par des conditions météorologiques favorables à l'espèce.

Pour tenter de contrer la propagation de l'espèce invasive et préserver ses ruches, Bruno Moreau mise sur la destruction des nids de frelons et sur le piégeage. Cette année, l'intercommunalité de Jonzac a décidé d'investir 2 000 euros pour 500 pièges à répartir entre les différentes communes, et a dépensé 20 000 euros dans la destruction des nids de frelons.

Le cas de l'intercommunalité de Charente-Maritime n'est pas isolé. "Les collectivités investissent de plus en plus dans la lutte contre le frelon asiatique, note Vincent Brossel de l'Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF). Malgré le fait qu'il y ait un plan national de lutte, il n'y a pas d'aide de l'État, donc ce budget pèse lourd pour les collectivités et les particuliers."

Cette non-prise en charge par l'État pourrait bien changer : une proposition de loi du sénateur du Lot-et-Garonne  enjoint l'État à débloquer des fonds pour financer la lutte contre la prédation des frelons. Débloquer des fonds oui, mais pour quoi ? La question se pose, car tous les acteurs ne s'accordent pas sur les stratégies à adopter face aux frelons asiatiques à pattes jaunes. 

Des fausses bonnes idées ?

"Pendant longtemps, on a eu une vraie carence des connaissances sur ce frelon, développe Quentin Rome de PatriNat. Désormais, on connaît mieux son régime, ses attitudes et ses réactions face à nos stratégies." Et ce qu'on fait, pour le moment, ne semble pas vraiment fonctionner. Au contraire, pour l'entomologiste, "une lutte irraisonnée contre une espèce envahissante peut conduire à favoriser son installation". Il y a parfois de fausses bonnes idées. "La destruction des nids et le piégeage des frelons coûte très cher, 11 à 12 millions d'euros par an. Or, on estime qu'on détruit au mieux 30 à 40% des nids avec ce budget." 

Pour réguler l'espèce et diminuer sa densité, l'INRAE a estimé qu'il faudrait détruire 90 % des nids.

Quentin Rome

PatriNat (MNHN-ONF)

La destruction des nids serait donc une solution inefficace dans les départements dans lesquels la présence des frelons est dense. Quentin Rome appelle à une gestion différenciée en fonction du degré selon lequel un espace est touché.

Pour l'expert frelons du Muséum national d'histoire naturelle, plutôt que de mettre de l'argent dans une destruction qui ne serait pas assez efficace, il faut miser sur la protection des colonies d'abeilles. Notamment au travers d'outils spécifiques comme des harpes électrifiées et des "muselières". Ce genre de grillage installé sur la planche d'envol des ruches empêche les frelons de se poser directement à l'entrée, et permet d'annuler la "paralysie" de la ruche. "Quand un frelon est posté devant une ruche, les abeilles sont stressées, ne sortent plus et donc ne ramènent plus de nourriture, précise Quentin Rome. 

Les abeilles à l'intérieur de la ruche meurent de faim, c'est la principale cause de mortalité des abeilles face aux frelons.

Quentin Rome

Muséum national d'histoire naturelle

N'attraper que les frelons : un véritable défi

Ce discours n'est pas facile à entendre pour les apiculteurs qui voient leurs colonies d'abeilles décimées. À Jonzac, Bruno Moreau utilise déjà ces outils de protection des abeilles, mais continue le piégeage. Il le sait : les pièges n'attrapent pas que des frelons. "Sur les sept pièges que j'ai posés, en deux semaines, j'ai trouvé 57 frelons asiatiques, 5 frelons européens, une guêpe germanique et 68 mouches." Mais par rapport aux dégâts que les frelons asiatiques peuvent causer sur l'entomofaune (ensemble des insectes), l'apiculteur estime que ce ratio est positif.

Les études menées par l'Institut de l'abeille et l'Inter-Api (interprofession des métiers de ruche) présentent des chiffres bien plus faibles en termes de sélectivité : sur l'ensemble des insectes attrapés dans une bouteille lambda trouée et remplie de la fameuse mixture sirop-bière-vin seuls 2 % sont des frelons asiatiques et jusqu'à maximum 30 % dans le meilleur des cas (piège coréen). 

Conscient qu'il ne sera pas possible d'éradiquer le piégeage par les particuliers, Quentin Rome appelle toutefois à faire très attention aux types de pièges utilisés et à privilégier les pièges les plus sélectifs. Ces derniers sont néanmoins bien plus chers que les pièges moins sélectifs. "Il y a beaucoup de frustration du côté des apiculteurs à qui on demande de n'utiliser que des pièges coûteux, mais qu'on n'aide pas financièrement non plus", juge l'UNAF.

La filière apicole, déjà en difficulté, ne serait pas la seule concernée par les attaques du frelon. L'arboriculture, la pisciculture et l'ostréiculture pourraient, elles aussi, pâtir des conséquences de l'invasion par le frelon asiatique.

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