Deux fois lauréats du prix du meilleur album à Angoulême, Christophe Blain fait l'objet d'une exposition riche au FIBD 2022. Avec un large choix de planches, elle s'applique notamment à dresser des parallèles entre les univers masculins de l'auteur et son goût très marqué pour le cinéma.
Avec "Christophe Blain, dessiner le temps", l'exposition visible au vaisseau Moebius consacrée au dessinateur français, le festival international de la bande dessinée (FIBD) d'Angoulême offre une plongée passionnante dans l'univers du créateur de Gus ou encore du gros succès de librairie Quai d'Orsay, dont le deuxième tome a été lauréat au FIBD du prix du meilleur album en 2013.
Ce qui frappe d'emblée, c'est le souci des organisateurs d'engager le dialogue entre l'auteur et le visiteur. Chaque série de planches est commentée par Christophe Blain. Ainsi, lorsque l'exposition débute par une immersion dans Isaac le pirate, ce peintre fauché du Paris de la Régence qui se retrouve embarqué dans des aventures maritimes, l'auteur raconte au visiteur la manière dont il a rassemblé sa documentation pour cette BD : ses propres expériences dans la Marine, mais aussi les "bouquins sur le Vieux Paris" dénichés à la bibliothèque.
"Après, je repérais dans la ville, notamment dans le Marais, tous les édifices du XVIIIe siècle." Dès le premier tome, Les Amériques, le dessinateur se démarque et remporte en 2002 le prix du meilleur album au FIBD.
La voix omniprésente de l'artiste
Chaque étape de la carrière du dessinateur, chaque planche même, sont ainsi mises en perspective par les commentaires de Blain, conçus comme dans un dialogue entamé autour d'un verre. L'effet est immédiat : la voix de l'artiste est présente et instaure une proximité singulière avec le visiteur. On échange avec une connaissance.
Le cinéma est l'une des obsessions de Christophe Blain; le western, un genre qui l'a constitué
Les commissaires de l'exposition
Les commissaires de l'exposition ont aussi eu la bonne idée de s'attacher à faire surgir les liens que l'artiste nourrit avec le cinéma, "l'une de ses obsessions". Tout dans les planches présentées évoque le 7e Art, des paysages de western au cinéma français de François Truffaut ou, de manière plus inattendue, mais tellement réjouissante, celui de l'immense Agnès Varda dont, on le découvre, le film Le Bonheur a marqué Christophe Blain.
Ainsi, le cinéma est partout, à commencer donc par le western, "un genre cinématographique qui l'a constitué", précise l'exposition. Il en est question de manière gourmande et ludique, érudite et joyeuse. Le personnage de Gus se retourne au passage d'une femme et la scrute de la tête aux pieds : la scène de rue près d'un saloon ou du bureau du Sheriff dévoile les références à Il était une fois dans l'Ouest de Sergio Leone, à Crumb ou à L'homme qui aimait les femmes de Truffaut.
Mais l'exposition nous dit aussi que si l'allusion cinématographique est omniprésente, le public a bel et bien affaire à une œuvre de bande dessinée. Ainsi, dans les scènes d'action, "vraiment pas faciles à mettre en scène", Christophe Blain précise toute la complexité de leur composition. "Il faut prendre suffisamment de place pour qu'on comprenne bien mais pas trop non plus parce que si tu t'étales, très rapidement tu t'emmerdes, tu glisses dessus, c'est désagréable, confie Blain dans une note consacrée à Blueberry. Ce n'est pas du cinéma donc il faut que ça raconte, il faut que les personnages parlent. Ce n'est pas tout à fait inutile d'avoir des "Bloody hell", des "Dam!", "Qu'est-ce que..." (...). Ça permet de rythmer la lecture."
Les failles du héro
Les commissaires de l'exposition ne s'attardent pas sur l'aspect documentaire du travail de Blain, son Quai d'Orsay ou son En cuisine avec Alain Passard sont présentés de manière succincte. Ils préfèrent interroger les héros masculins du dessinateur. L'exploration des failles de leur virilité, par exemple. Ainsi, les commissaires notent-ils que dans les univers très masculins de Blain, les femmes "s'y révèlent bien plus fortes que les hommes, maladroits et transis d'amour".
Son travail sur l'album rock La Fille est présenté lui aussi par le biais de planches mais surtout - et c'est là l'une des belles surprises de cette exposition -, de manière sonore. Face au graphisme de Christophe Blain, le visiteur reconnait la voix de la chanteuse Barbara Carlotti avec qui il a créé le projet. Le projet rock se déroule tel un murmure à l'oreille du passant. Et c'est un régal.
En fin d'exposition, le visiteur découvre le travail de Blain sur King Kong où il se confronte au mythe cinématographique. Moment particulièrement délicat et attachant, les quelques pages issues des carnets du dessinateur. On découvre un dialogue généreux avec le cinéaste Bertrand Tavernier, des ébauches de Gus, mais aussi ses croquis de travail pour des affiches de films : celle de Tournée de Mathieu Amalric, par exemple, toutes ensuite présentées dans une pièce circulaire avec en son centre un écran géant sur lequel est retransmis un échange avec Christophe Blain.
Les affiches
L'exposition met ainsi en lumière l'énergie folle qui se dégage de l'œuvre du dessinateur, la virtuosité de son trait, son goût pour le rythme dans les dialogues. C'est autant un passage obligé pour les fans que pour celles et ceux qui ne connaissent pas ses BD. En sortant, on a envie de lire. Ou de relire, c'est selon.