Éolien en Charente : la commune de Hiesse dit non

Les projets éoliens se multiplient en nord Charente, rencontrant une opposition grandissante des populations, comme à Hiesse. D'autant que la répartition des machines en Nouvelle Aquitaine pose question et que les premiers parcs éoliens arrivent en fin de vie. Quid du recyclage ?

La Charente, pourtant déjà généreusement dotée en éoliennes, est loin d’en avoir fini avec les moulins à vent. Essentiellement regroupées dans le nord du département, les 70 machines déjà en exploitation devraient bientôt être rejointes par plusieurs dizaines d’autres actuellement à l’étude. S’inscrivant dans le cadre national du PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie) qui impose de multiplier par 2,5 la production d’électricité éolienne d’ici à 2028, le déferlement de projets de parcs éoliens rencontre une opposition grandissante auprès de la population.

On est en forte saturation dans notre secteur. Depuis deux ans, des associations se sont créées et multiplient les réunions publiques. Au début les maires et le département étaient assez frileux sur le sujet, car il faut bien se rappeler qu’il y a dix ans, l’éolien, tout le monde était pour ! Mais depuis c’est machine arrière toute. Des personnes qui, jusqu’à présent, étaient très très pour, ont dit « Ça suffit. Stop ! ». Ils finissent par se rendre compte que si tous les projets dans le coin passent, on va se retrouver avec 400 éoliennes en nord Charente.   

Yves de la Meslière, président de l’association Stop éolien 16

S’il est tellement remonté contre les moulins à vent, c’est qu’Yves de la Meslière est littéralement cerné. "Aux 70 éoliennes charentaises déjà en fonction, on peut ajouter celles des Deux-Sèvres et de Gençay (86) qui sont sous notre nez. Dans un rayon de 10kms autour de chez moi, à Londigny, on a aujourd’hui près de 100 machines, et il y en a encore une centaine d’autres en projet, dont certaines qui culminent à 240m en bout de pales, comme au sud de Ruffec. Ça met la nacelle de 60 tonnes à 170 mètres, c’est haut quand même. On pourra pas les rater".

A une petite cinquantaine de kilomètres de là, Hiesse, 240 âmes. Dans un rayon de 20 kms autour du village, quelques dizaines d’éoliennes découpent déjà l’horizon, nonchalantes. Une trentaine de projets de parcs sont actuellement à l’étude, qui porterait à 118 le nombre de machines dans le périmètre si tous devaient se concrétiser. La résistance s’organise.

A Hiesse même, la préfète a approuvé un projet de quatre mats contre lesquels, en tant qu’association, nous avons déposé un recours auprès de la cour d’appel administrative de Bordeaux, qui doit rendre son avis à la mi-mars. Et on en a déposé un second à Pressac (86), à 7kms d’ici. En sachant que si la cour d’appel annule la décision de la préfète, dans la plupart des cas, le promoteur éolien attaque en retour la décision  auprès du Conseil d’Etat. Et si c’est le contraire, si la décision de la préfète est confirmée à Bordeaux, on sait déjà qu’on n’aura pas les moyens de recourir au Conseil d’Etat. Pressac Environnement est une petite association dynamique mais modeste, et ça coute cher de déposer un recours : 10.000 €. 

Alain Van Kote, représentant du collectif Pressac Environnement

"On est face à un rouleau compresseur" 

Une opinion partagée par le président de Stop Eolien 16, encore plus explicite.

"Il y a trop d’argent en jeu, il est là le problème ". Chaque projet porte sur un parc éolien, comprenant un bouquet de quatre ou cinq mats en moyenne. Et pour chaque parc, une société est créée pour l’administrer."La rentabilité d’une société éolienne est de 30%. Lorsqu’une entreprise fait 10%, c’est déjà très bien. Eux c’est 30 ! C’est rentabilisé en quatre à cinq ans, après c’est revendu, parfois plusieurs fois. Et ils font faillite à la fin pour ne pas avoir à démonter les éoliennes, évidemment."

Au Conseil Départemental de Charente, on se targue d’être le premier département de Nouvelle Aquitaine à avoir signé la convention Néo Terra, la feuille de route régionale qui fixe les objectifs en matière de  transition énergétique. « C’est vraiment dans notre ADN, mais on est dans une écologie pragmatique ». Son président, Jérôme Sourisseau, déplore néanmoins que les critères de qualité du vent qui sont mis en avant, ne soient pas les seuls qui soient pris en compte pour déterminer la localisation des différents projets qui se succèdent.

On se moque du monde ! On est sur un secteur où beaucoup de collectivités sont très pauvres. Et quand on propose 10, 15, 20 parfois 40.000 € par an de revenu supplémentaire à un maire qui a du mal à boucler son budget communal, bien évidemment ça compte. Et quand on justifie l’implantation en disant qu’il y a une étude qui a été réalisée et que, comme par hasard, c’est là qu’il y a le meilleur vent, c’est faux. Il y a d’autres enjeux qui rentrent en ligne de compte. Il y a des endroits où il y a une résistance très forte où on n’ose pas aller. A l’inverse, il y a d’autres secteurs où les promoteurs éoliens vont sans vergogne.

Jérôme Sourisseau, président du Conseil Départemental de Charente

 Et le président de pointer les disparités d’implantation dans les territoires de la Nouvelle Aquitaine.

" La carte est très claire. Il y a très nettement une bande qui passe par le nord Charente, le sud Vienne, les Deux-Sèvres et le nord de la Charente-Maritime, avec une densité d’éoliennes qui devient inacceptable et que la population ne supporte plus. Il doit y avoir un équilibre dans le territoire, et là on a la sensation qu’on est dans un secteur qui est considéré comme sacrifié. Je veux bien parier qu’en Nouvelle Aquitaine, il y a bien d’autres couloirs de vents que les nôtres, d’un intérêt au moins aussi importants qu’ici. Je ne comprends pas qu’il n’y ait aucune éolienne dans les Landes par exemple, alors que le département est réputé pour le surf !"

91% des éoliennes implantées en Nouvelle Aquitaine (qui compte douze départements) sont en effet concentrées sur les quatre entités administratives de l’ex-Poitou-Charentes. Dans ce contexte, c’est peut dire que les objectifs de transition énergétique fixés par la région inquiètent : 50% d’énergie verte dans son mix énergétique d’ici à 2030, pour atteindre 100% en 2050. Ce qui revient sensiblement à une multiplication par quatre des capacités existantes dans un premier temps, puis par huit.

"Ça va devenir complètement dingue !"

 Le représentant du collectif Pressac Environnement s’est ainsi amusé à calculer, en intégrant les taux de rendement des uns et des autres, le nombre d’éoliennes qu’il faudrait faire sortir de terre pour remplacer un réacteur nucléaire d’une centrale comme Civaux (qui en compte deux) : 2.600 … Même s’il n’en a jamais été question, puisque le glissement vers un mix énergétique renouvelable passera également par du solaire photovoltaïque, de la méthanisation, du gaz vert, de la biomasse … et devra en parallèle s’accompagner d’une diminution de notre consommation électrique et d’énergies fossiles.

Reste que de plus en plus de communautés de communes changent leur fusil d’épaule et se prononcent désormais contre les projets éoliens qui leur sont soumis. Il y a un mois, les conseillers communautaires du Val-de-Charente se sont ainsi opposés à quatre dossiers de parcs éoliens. En octobre dernier déjà, ceux du Cœur-de-Charente en avaient retoqué cinq, suivis ensuite par ceux de Mansle, de Saint-Maurice-des-Lions, de Saint-Mary …

Bien conscients de la grogne qui monte dans leurs territoires respectifs, les quatre présidents des départements concernés avaient tenu une conférence de presse commune en décembre 2019, pour demander un moratoire sur la poursuite des installations d’éoliennes.

Le problème, c’est le paradoxe dans lequel on est. Pour une personne qui veut mettre un Velux sur son toit, pour peu qu’elle soit à moins de 500m d’une église classée, on va lui interdire, ou au moins lui imposer des contraintes extrêmement fortes. Mais parallèlement, on a une sorte d’anarchie qui s’installe, avec des projets éoliens pour lesquels la collectivité est contre, le département est contre, les commissions diverses et variées sont contre, mais les porteurs de projets parviennent malgré tout à obtenir le feu vert du tribunal administratif, en jouant sur une faille juridique. Et au final, c’est donc le tribunal administratif qui en est rendu à gérer la politique de l’éolien.  

Jérôme Sourisseau, président du Conseil Départemental de Charente

L’éolien se révèle assez loin d’être la panacée annoncée

Au-delà des nuisances visuelles, qu’on peut éventuellement considérer comme subjectives, au moins jusqu’à une certaine densité de mats, et des nuisances sonores qu’on peut également relativiser au même titre que d’autre infrastructures bruyantes, « de plus en plus de nuisances sanitaires se font jour ». Dans l’Aisne, une multiplication de cancers serait imputable aux éoliennes, même si Alain Van Kote reconnaît volontiers que, pour l’instant, ce n’est pas encore vraiment démontré. Pas plus que la mortalité bovine, dont sont régulièrement accusées les machines.

Pour appuyer le recours qu’il a introduit contre le parc de Hiesse, il pointe des irrégularités de procédure et des photos montages d’insertion paysagère fournies par le porteur de projet et avantageusement sous-dimensionnées. Pressac Environnement alerte en outre que les éoliennes menacent la biodiversité, riche, qui s’est développée le long du Clain, la rivière classée "corridor bleu" qui coule à moins d’un kilomètre du site d’implantation envisagé. " Les machines vont impacter tout un écosystème animal, particulièrement les chauves-souris (onze espèces protégées), et plusieurs espèces de rapaces en voie de disparition (milan noir et milan royal notamment) ". La LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) a ainsi recensé 68 espèces d’oiseaux à proximité immédiate du site d’implantation.

Le secteur est par ailleurs traversé par un important couloir de migration, emprunté par plus de 12.000 grues cendrées et quelques dizaines de cigognes noires (très rares). L’accumulation d’éoliennes dans la zone finit par former un véritable mur, qualifié d’« effet barrière ». Mais le commissaire enquêteur en charge du projet se voulait optimiste, affirmant que les grues « monteront au-dessus ou elles les contourneront ». Pas sûr que la grue de la vidéo de Pressac Environnement ait lu le dossier.

Finalement le préjudice le plus facilement quantifiable est l’immobilier.

On parle d’une dépréciation de 20 à 30%, mais ça ne concerne que les biens qui ont réussi à se vendre. Certaines maisons ne sont même pas visitées tellement la proximité des éoliennes rebutent les acheteurs. Elles ne se vendent tout simplement pas. Point. 

Yves de la Meslière, président de l’association Stop éolien 16

L’horizon s’obscurcit encore

Initiés par Jacques Chirac, les premiers parcs éoliens se sont déployés sur le territoire national au début des années 2000. « Au fur et à mesure qu’on voit les horizons de plus en plus hachés par les éoliennes, on se dit qu’il y en a quand même beaucoup. Et qu’est-ce qu’on va en faire quand elles ne seront plus en fonctionnement ? » La première génération de machines installées, d’une durée de vie de vingt ans, arrive en effet à son terme. Leur démantèlement, prévu lors de contrats signés avec les promoteurs, leur imposent de provisionner 50.000 € par éolienne, en vue de son démontage et recyclage futur.

Sauf que du haut des premières machines démantelées, on sait maintenant que ça coute entre 300.000 et 450.000 € par éolienne. J’ai pu me procurer une facture à 430 000 € pour le démantèlement d’une éolienne de 110m de haut. Juste la structure, sans parler du démontage du socle béton, un détail de près de 1.500 tonnes, intensément ferraillé.    

 Yves de la Meslière, président de l’association Stop éolien 16  

Mais le principal problème qui commence à se poser concerne le recyclage. Pour les parties métalliques qui représentent 90% du poids de la structure, pas de soucis, on sait faire. Même le béton sur-armé des fondations peut être revalorisé. Concassé et déferraillé, il est réutilisé pour la construction.

Ce sont les pales qui posent problème. Fabriquées en matériaux composites, elles se doivent d'être résistantes tout en restant suffisamment souples pour ne pas casser. Pour la première génération, c’est la fibre de verre qui leur assurait la flexibilité attendue. Mais elle a rapidement été abandonnée au profit de la fibre de carbone. Et c’est là que ça coince. On sait recycler la première, mais pas la seconde génération de pales, celles en fibre de carbone. Des initiatives ont bien été menées pour leur assurer une deuxième vie, en en intégrant des morceaux dans du mobilier urbain, des aires de jeux ou des abris à vélo, mais ça ne suffira pas pour venir à bout des volumes qui commencent à s’amonceler.

Une pale c’est 6,2t. Fois 3, ça fait presque 20t de pales qu’on ne sait pas recycler, pour chaque machine démantelée. Les allemands les envoient en Afrique par bateaux entiers; aux Etats Unis ils creusent des grandes fosses et ils mettent tout dedans. Et nous, on sait pas trop.    

Yves de la Meslière, président de l’association Stop éolien 16  

En France, on estime à 1.500 le nombre d’éoliennes à démonter d’ici trois ans.

Reportage de Bruno Pillet, Cécile Landais et Christophe Pougeas

 

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