Une équipe de l’unité mixte du Centre national de la recherche scientifique et de l’Université de La Rochelle, basée à Chizé, a eu recours à des albatros pour repérer les pêcheurs illégaux dans les mers australes. L'étude démontre qu'un tiers des bateaux y pêchent illégalement.
Plus du tiers du nombre de bateaux de pêche rencontrés par les oiseaux dans les eaux internationales des mers australes n’étaient pas déclarés. C'est la conclusion d'une étude menée par des chercheurs du CNRS et de La Rochelle Université qui ont eu recours à des albatros pour surveiller ces vastes étendues inhospitalières.
Ces géants des airs dont l'envergure peut atteindre 3,50 mètres peuvent parcourir d'immenses distances loin de toute terre.
Les résultats du projet Ocean Sentinel sont publiés dans PNAS la semaine du 27 janvier 2020.
Des albatros équipés de petites balises
Pendant six mois, 169 albatros des îles Crozet, Kerguelen et Amsterdam, ont ainsi été équipés de petites balises pesant à peine 70 grammes et détectant à cinq kilomètres les échos émis par les radars des navires de pêche.On s'est rendu compte qu'on pouvait développer une partie opérationnelle,
-Henri Weimerskirch, chercheur au CNRS
Ces données, transmises en temps réel, ont été croisées avec celles du "système d'identification automatique" (AIS) avec lequel tous les bateaux sont supposés naviguer, mais que certains pêcheurs éteignent pour opérer dans des zones d'exclusion territoriale. Pour éviter les collisions, ils n'éteignent par contre pas leur radar, permettant ainsi aux albatros espions de détecter les fraudeurs probables.On les scotche sur le dos des albatros. Sur les balises, il y a une antenne GPS qui donne la position de l'oiseau et une antenne radar. Quand les ondes radar qui viennent toucher la balise, ça enregistre la donnée. Toutes les informations sont transmises en direct,
-Alexandre Corbeau, doctorant université La Rochelle CNRS Chizé
Une technique plus efficace que ne le serait l'observation satellitaire, chère, soumise aux intermittences de survol et "très sensible à l'état de la mer, souvent déchaînée" sous ces latitudes, souligne M. Weimerskirch.
30% des bateaux n'ont pas leur système d'identification en fonctionnement
Entre novembre 2018 et mai 2019, les albatros eux, ont pu patrouiller sans relâche sur plus de 47 millions de kilomètres carrés, permettant la "première estimation" du genre, selon le chercheur. Un peu à la manière de drones, mais sans besoin de les recharger et "l'intelligence en plus".Résultat de cette patrouille des mers aérienne, sur les 353 contacts radars établis pendant la campagne d'étude, "il y a jusqu'à 30% des bateaux qui n'ont pas leur système d'identification en fonctionnement". Navires qui ont donc toutes les chances de se livrer à une activité illégale dans ces régions par ailleurs peu fréquentées.
La proportion est toutefois "extrêmement variable selon les zones économiques" exclusives, où les États exercent souverainement l'exploitation des ressources marines, souligne le chercheur.
Ainsi en zone française, contrôlée par la Marine nationale et où l'on risque l'interception, "on est à 20% environ" d'AIS éteints, explique M. Weimerskirch. Mais en zone sud-africaine, autour des îles Marion-Prince Edouard dans les quarantièmes rugissants, "aucun bateau n'était déclaré".
Certains bateaux chinois ou espagnols s'approchent d'une zone économique et d'un coup il n'y a plus de signal. C'est qu'ils pêchent au bord,
-Henri Weimerskirch, chercheur au CNRS
Sentinelle de l'Océan
Le projet, baptisé "sentinelle de l'Océan" et labellisé par le Conseil européen de la recherche (ERC), aura "montré qu'il est possible en utilisant des animaux d'obtenir des informations qu'on ne peut récolter par ailleurs", se félicite Henri Weimerskirch, alors que la surpêche illégale met à mal la biodiversité marine.L'équipe prévoit déjà une deuxième phase d'étude, avec le déploiement d'une soixantaine de nouveaux albatros patrouilleurs des mers.