Au nom de l'égalité des chances, Emmanuel Macron a annoncé le retour progressif des cours dans les écoles, collèges et lycées dès le 11mai prochain. Une décision qui ne fait pas l'unanimité et qui pose de nombreuses questions au sein des établissements scolaires du Limousin.
Paroles d'enseignants et de professionnels de l'éducation
Cette date du 11 mai, annoncée le lundi 13 avril par le président de la République, a surpris pas mal de monde dans les écoles primaires, collèges et lycées. Ce retour en classes s'annonce périlleux dans ce contexte d'épidémie. Tous s'accordent à le dire.
Mais les réactions diffèrent selon les établissements.
"C'est un sacré challenge" selon la directrice d'un collège privé de Limoges. "Même si je comprends la nécessité de remettre les enfants à l'école". Il faut dire que certains professionnels de l'éducation ont un peu de recul avec la garderie qui a dû être organisée pour les enfants des personnels soignants.
C'est très difficile de respecter les mesures barrières avec des enfants. Même en petit comité. On est obligés de prendre des risques, on ne peut pas les mettre dans une bulle
Dans les quartiers sensibles de l'ex Limousin, les réactions sont partagées selon une directrice d'école de Limoges, qui a comme beaucoup, souhaité appliquer son devoir de réserve. Elle ne dévoile donc pas son identité.
"On a tous envie de reprendre" explique cette directrice d'école de ZEP, Zone d'Education Propriétaire. "L'enseignement à distance permet de maintenir les acquis pour certains mais pas pour tous les élèves. En plus nous ne pouvons prodiguer aucun nouvel apprentissage. Cela pose question pour l'avenir. Cette date du 11 mai est une aberration. Cela va impliquer de nouvelles contaminations c'est certain".
Rouvrir les écoles est donc une priorité pour le Chef de l'Etat ... mais n'est-ce pas seulement pour faire reprendre le travail aux parents ? Beaucoup d'enseignants le supposent.
"Dès le lendemain de l'allocution d'Emmanuel Macron, beaucoup de parents nous ont téléphoné en expliquant leur décision de ne pas remettre leurs enfants en classe dès le 11 mai. Ils sont très inquiets" affirme la principale d'un collège de Gueret placé en zone d'éducation prioritaire.
Il faut dire que ce qui occupe les personnes de la direction de cet établissement depuis le début du confinement, ce sont les photocopies quotidiennes qu'il faut faire aux 80 familles d'élèves.
"La plupart n'ont malheureusement pas d'ordinateurs ou de papier. Alors on les aide comme on peut. On scanne ensuite le travail des élèves que l'on fait suivre aux professeurs. L'objectif est de faire garder les bonnes habitudes de travail aux élèves en difficulté" ajoute-t-elle. "C'est cela, la priorité dans cet établissement, essayer de permettre tant bien que mal la continuité scolaire".
Dans ce contexte déjà très chargé chaque jour, difficile de trouver le temps pour réfléchir aux conditions d'accueil des élèves à partir du 11 mai prochain.
Je ne suis qu'une exécutante. S'il faut refaire les emplois du temps, on les refera. Même si je comprends la nécessité de donner une date aux gens. Pour leur donner un peu de baume au coeur.
En Corrèze, à Brive au collège Cabanis, la direction entend les demandes du gouvernement.
"A cette heure, il n'y a que des questions, pas de directive. Nous sommes dans une situation exceptionnelle, nous ne voulons pas rajouter de stress inutile" explique par téléphone Marc Bartoli, le secrétaire académique du syndicat SNPDEN, le Syndicat National du Personnel de l'Education National.
Pour moi, l'allocution du président dela République signifie en premier lieu que rien ne change jusqu'au 11 mai. A compter du 11 mai, il faudra s'organiser et être clair sur nos objectifs vis-à-vis des élèves. Nous sommes des professionnels et nous avons tous une pensée pour les familles et les élèves pour qui le confinement est difficile.
Cette situation de confinement est accusée depuis le début de creuser les inégalités sociales des élèves et des familles. Certains établissements de zone rurales ou prioritaires m'ont d'ailleurs fait part, par téléphone, de leur désarroi face à un élève qui décroche.
"Un jour le père d'un enfant de 4e m'appelle complètement stressé. Son fils ne veut absolument pas travailler. Il est désemparé. J'ai décidé de lui écrire une lettre pour lui remonter un peu les bretelles avec un peu d'humour. Son papa m'a dit que cela semble porter ses fruits pour l'instant" nous raconte cette principale d'un collège de Guéret.
Dans une autre école privée à Limoges, la directrice pense ne pas avoir "perdu" d'élèves pour l'instant. "Aucun parent ne nous a contactés. Les parents ne semblent pas trop inquiets" déclare Alice Mulon, la directrice de l'école primaire Ozanam.
Il faut préciser que dans cette école, comme dans beaucoup d'autres, les enseignants se sont beaucoup investis. Coups de fils aux parents "au moins 2 fois par famille depuis le début du confinement". Echanges par email et même par le biais de vidéos postées par certains enseignants sur des applications qui les mettent directement en relation avec les parents.
"Pour l'éventuelle reprise du 11 mai, il faut qu'on reste motivés pour les enfants. Etre enseignant sans voir ses élèves c'est très décourageant. Alors nous sommes tous enthousiastes face à cette possibilité de reprise. Mais nous mettrons les conditions adéquates pour maximiser la non propagation du virus. Peut-être élaborer des petits groupes d'élèves ... on va s'adapter" ajoute Alice Mulon.
Cette enseignante-directrice d'école est d'ailleurs bien placée pour envisager des conditions de sécurité les plus adaptées possibles car son mari, ses deux fils et elle-même ont été atteints du Covid-19.
Ça a été long et très fatigant
En cette période de pré-vacances de printemps, l'heure est surtout au questionnement. Chaque école ou collège va essayer de lancer des hypothèses, des scénarios de rentrée tout en attendant des directives gouvernementales plus précises.
Comment va s'organiser la réouverture ?
Peu d'information ne filtre pour l'instant. On sait que le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, est en pleine consultation notamment avec les syndicats enseignants. Pour cette rentrée du 11 mai, des règles particulières seront à mettre en place dans chaque école et collège. L'espace et le temps de travail devront être réorganisés. L'objectif est de protéger les enseignants et les élèves, selon le ministère.
A ce propos, certains chefs d'établissement, pour qui cette rentrée du 11 mai est une aberration, n'ont pas envie d'obliger leurs enseignants les plus fragiles à reprendre le chemin de la classe.
"Remettre 200 élèves au contact des enseignants, c'est relancer l'épidémie" assène une directrice d'école d'un quartier prioritaire de Limoges. Et d'ajouter :
Certains de mes enseignants sont fragiles car asthmatiques ou diabétiques. Cela m'ennuie de leur demander de revenir enseigner dans ce contexte
Il faut aussi prendre en compte la fragilité de certains élèves, en attente de greffes ou autres. Que vont-ils faire ? Rester chez eux ? Quel est le meilleur choix pour eux en ce contexte épidémique. Doivent-ils choisir entre leur santé et leur scolarité ?
N'est ce pas alors également un manque d'équité vis-à-vis de ces enfants atteints de pathologies plus ou moins graves ?
Le plus gros du travail reste donc à faire pour l'éxécutif. La priorité, avant la reprise des cours, c'est le nettoyage et la désinfection de tous les locaux scolaires.
Pour le travail des élèves, Jean-Michel Blanquer a promis au micro de France 2 qu'il serait "très personnalisé".
Dès aujourd'hui, le ministre rencontre donc les différentes organisations syndicales pour évoquer les conditions sanitaires permettant la reprise des cours. Le gouvernement devrait, d'ici deux semaines, donner des premières directives ou au moins des pistes.
Et il devra être convaincant face à certains enseignants et directions d'établissements scolaires peu convaincus pour l'instant.