Comment les braqueurs s'y sont-ils pris pour dérober mardi 25.000 euros dans un DAB de Corrèze ? La méthode est bien connue, note le directeur territorial de la PJ de Limoges. Avec des réseaux et des enquêtes, sans frontières.
Le mode opératoire de l'équipe qui a braqué mardi 1er février un distributeur automatique de billets (DAB) à Bort-les-Orgues, en Corrèze, est bien connu des enquêteurs. Une disqueuse pour découper la partie du distributeur située entre l'écran et la fente pour la carte, un ordinateur pour prendre à distance le contrôle de l'appareil: cela s'appelle du jackpotting.
Et c'est tellement connu qu'il existe un mode d'emploi sur la Toile, ou pratiquement : il date d'il y a fort longtemps, en 2010, lorsqu'un hacker d'origine néo-zélandaise s'était fait remarquer lors de la célèbre conférence annuelle sur la sécurité informatique, Black Hat, à Las Vegas.
C'est le commissaire divisionnaire Anthony De Freitas Meira, directeur territorial de la police judiciaire de Limoges, qui nous a mis sur la piste de cette impressionnante vidéo. "Ce hacker, Barnaby Jack, raconte-t-il, présentait les failles qu'il avait lui-même découvertes, et qui permettent d'appuyer sur une touche jackpot grâce à un système malveillant."
L'homme a d'ailleurs été retrouvé mort, trois ans plus tard. Cette conférence de Las Vegas avait alors rendu hommage à "notre pirate bien aimé", "irremplaçable", qui avait prévu juste avant son décès d'y revenir pour expliquer comment tuer un homme à distance, en désactivant son pacemaker.
Bref. Les banques ont beau être prévenues dès 2010, et adapter leur sécurité en conséquence, les hackers progressent aussi. "C'est une course sans fin, résume le commissaire divisionnaire. En France, on est touché par des attaques à partir de 2016."
6 DAB attaqués en 2016, 36 en 2018, 95 en 2020... Et 27 l'an dernier. "Dont plusieurs en Limousin : la PJ de Limoges est déjà saisie de ce type de faits".
Anthony De Freitas Meira ne s'exprimera pas sur les faits de mardi en Corrèze, secret de l'instruction oblige. Mais oui, "c'est quelque chose de très identifié, absolument. On est quasi exclusivement sur de la criminalité organisée, issue des pays de l'Est". À savoir, "des petites mains envoyées sur le territoire avec un équipement sur elles, elles sont en lien avec un hacker resté au pays. Ce sont vraiment des équipes rodées, qui vont écumer le territoire. Avec des premiers faits du côté de Strasbourg ou Lille, puis 2-3 sur une autre région, et au bout de quelques semaines ils repartent."
Pourquoi la Corrèze ? "Mieux vaut ne pas être vu et on a moins de chance d'être dérangé en zone rurale. Dégrader le DAB, accéder à la connectique, cela peut prendre du temps, avec des échanges avec l'étranger : plusieurs dizaines de minutes."
Certains se déguisent parfois. Vous utilisez une clé qui peut se trouver sur le darknet, qui va permettre d'accéder à ce DAB. Vous l'ouvrez, vous accédez à la connectique, et vous passez pour un technicien.
Anthony De Freitas Meira, directeur territorial de police judiciaire de Limoges
Face à eux, police et justice opèrent en mode centralisé. L'enquête est confiée à un office interministériel, rattaché à la direction nationale de la PJ : c'est l'OCLCTIC (acronyme barbare désignant l'office central chargé de la lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication). Pour les ramifications internationales, précise le commissaire divisionnaire, "tout échange s'opère via Interpol"- qui a donc connaissance de l'existence de ce DAB à Bort-les-Orgues.
Quant à la justice, le parquet de Paris dispose d'une section spéciale, J3, qui possède une compétence concurrente avec l'ensemble des tribunaux de France : "elle a le droit de prendre la main, sur sa matière, et de traiter, ou de laisser localement." Les qualifications retenues sont en général très lourdes : atteinte à un système automatique de données (2 ans de prison, 60.000 euros d'amende), mais surtout vol en bande organisée : 15 ans de prison sont prévus pour cette qualification, et 150.000 euros d'amende.
