Connu et respecté des collectionneurs, galeristes et conservateurs de musée du monde entier, le nom de Marie Cuttoli est tombé dans l’oubli en Limousin. Pourtant, cette Corrézienne est considérée comme l’une des instigatrices, sinon la "mère" de la tapisserie moderne d’Aubusson. Sa ville de Tulle s’apprête à lui rendre plusieurs hommages.
C’est une vie que l’on ne croit trouver que dans les romans, ou peut-être au cinéma…
Un destin romanesque
Marie Cuttoli, née Marie-Mathilde (ou Myriam, ses biographies divergent) Bordes, voit le jour à Tulle, où son père est limonadier, en novembre 1879.
Alors qu’elle est adolescente, sa famille s’installe à Paris.
Mariée, elle divorce et son avocat, Paul Cuttoli, maire et député en Algérie (alors française) s’éprend d’elle. Ils vivent en couple, avant de se marier en 1920.
Pour elle, Cuttoli fait bâtir un palais, le Dar Meriem (la maison de Marie), à Skikda, anciennement Philippeville, à près de 500km à l’est d’Alger.
Vivant entre France et Algérie, Marie Cuttoli s'investit alors dans la production de broderie et de tapis, enseignant le métier à des femmes algériennes, vendant leurs œuvres aux maisons de haute-couture parisiennes.
Femme d'affaires, muse de l'Art
En 1922, elle fonde dans la capitale française Myrbor (abréviation de son nom de jeune fille), une maison de couture, également galerie de tapis et d'objets de design dont la décoration est conçue par Jean Lurçat.
Le succès est immédiat et permet à Marie de devenir proche des plus grands artistes de l’avant-garde de l’époque. Elle côtoie ainsi, et entre autre, Dali, Braque, Léger, Picasso, Miró, Man Ray…
En 1924, elle rencontre le physiologiste Henry Laugier. D’une passion commune pour l’art moderne naît une passion tout court, qui forme une sorte de "ménage à trois", avec les Cuttoli. Marie ne changera d’ailleurs jamais de nom.
La Tapisserie moderne
1927, un tournant pour Marie Cuttoli et la tapisserie. Elle commande en effet des cartons à ses illustres amis, tirés de leurs œuvres, avant, un an plus tard, de se consacrer à relancer l’industrie de la tapisserie d’Aubusson, encourageant les artistes à faire tisser leurs tableaux.
Là encore, le succès est au rendez-vous, à tel point qu’elle présente une dizaine de ces tapisseries à New-York, en 1936.
Trois ans plus tard, elle prête au Musée d’Art de San Francisco certaines de ces œuvres, ce qui deviendra une exposition permanente et itinérante aux États-Unis, le temps de la seconde guerre mondiale…
Après-guerre, elle se consacrera à ces expositions, dans les plus grandes capitales mondiales, s’alliant avec les plus prestigieuses galeries d’art.
En 1963, Henri Laugier et Marie Cuttoli lèguent une partie de leur collection au Musée national d'art moderne, avant de se retirer dans leur splendide villa d’Antibes, Shady Rock, où ils s’éteindront tous deux, à quelques mois d’intervalle, en 1973.
Un (relatif) oubli sur ses terres natales
Si le monde international de l’art se souvient d’elle, le Limousin beaucoup moins, même si, en 2016, la Citée Internationale de la Tapisserie d’Aubusson a acquis Shadows, une tapisserie de Man Ray commandée par Marie Cuttoli et tissée par l’atelier Pierre Legouix, à Aubusson, en 1938.
Mais cet oubli devrait être prochainement réparé
La ville de Tulle vient en effet de faire installer une plaque commémorative, commandée à l’artiste-plasticienne Soraya Hocine (qui fut co-commissaire de la semaine de l'image 2023 à Brive), et apposée à l’emplacement de la maison natale de Marie Cuttoli ; l’autrice corrézienne Paloma Leon va lui consacrer son prochain livre ; et une longue série d’expositions est prévue en 2024, pour célébrer cette enfant de Tulle, muse, mécène des Arts et "mère" de la tapisserie moderne d'Aubusson .