Coronavirus. À la rencontre d'un confiné célèbre du XVe siècle : le prince Zizim

Deux ans de confinement. Alors que nous approchons des deux mois enfermés chez nous, voilà une histoire qui peut faire relativiser. Celle d'un homme qui passera deux ans dans la tour de Bourganeuf qui porte désormais son nom. Portrait d'un confiné célèbre du XVe siècle.

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L'histoire du prince ottoman Djem (alias Zizim), c'est d'abord l'histoire d'une succession qui tourne mal. Son père est un des sultans les plus célèbres de l'Histoire. Mehmed II, c'est le conquérant de Constantinople en 1453, celui qui a mis fin à l'empire Byzantin qui durait pourtant depuis plus de 1 000 ans.

Mort assassiné en 1481, il laisse deux fils en âge de gouverner. Bajazet, l'aîné et Djem le cadet. Un conflit s'engage entre les deux frères pour la succession. Djem échoue et, acculé, se réfugie sur l'île de Rhodes alors sous le contrôle des chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, les Hospitaliers (maintenant l'Ordre de Malte). Opposés à la progression de l'Empire Ottoman, ils sont néanmoins connus pour être les médiateurs des conflits en Méditerranée entre Occidentaux et Musulmans. Djem cherche alors des alliés pour repartir à la conquête du trône.
 

Une vie épouvantable

Mais le grand maître de l'Ordre, le creusois Pierre d'Aubusson joue double voire triple jeu et plutôt que d'offrir l'asile à Djem et lui permettre de reprendre la lutte, il finit par en faire un prisonnier. Il passe un marché avec Bajazet qui s'engage, en échange, à ne pas envahir Rhodes, (Game of Thrones n'a rien inventé…). Djem est finalement envoyé en Europe.

"La vie de cet homme a été épouvantable. C'est devenu un pion, le tiroir-caisse des puissants de l'Europe" explique Jean-Marie Chevrier. L'écrivain creusois lui a consacré en 1993, un des ses premiers livre : Zizim ou l'épopée tragique et dérisoire d'un prince ottoman (ed.Albin Michel) 

Son frère Bajazet, devenu sultan, va en effet verser une indemnité annuelle de 40 000 ducats d'or aux Hospitaliers pour qu'ils le gardent.

"Pendant tout le temps de sa présence en Europe, tous les puissants vont tenter de se l'accaparer, car il représente une rente énorme. Le duc de Lorraine aurait envoyé des hommes en armes pour le ravir aux Hospitaliers et encaisser à son tour le pactole. La somme est difficilement transposable dans nos économies actuelles, mais elle a fait en grande partie la fortune de l'ordre des Hospitaliers. Il n'y a que le roi de France, Louis XI, qui n'en voulait pas car, mal en point, il craignait que la vue d'un musulman ne l'emporte" confie l'écrivain.

Bourganeuf prison dorée ?

Après avoir débarqué près de Nice, l'errance du prince en Europe commence. A partir de 1484, il passera quatre ans en Limousin dans les terres de Pierre d'Aubusson et de son neveu Guy De Blanchefort.
"La Creuse à l'époque, c'est tellement éloigné que ses geôliers estiment qu'on ne le trouvera jamais ici. D'ailleurs c'est toujours un peu vrai, puisque même le coronavirus peine à nous trouver en Creuse" relève, sarcastique, Jean-Marie Chevrier.
 


Transporté de Châteaux en commanderies (Le Monteil au Vicomte, Morterolles, le Bois Lamy), il apparaît que le moyen le plus sûr de le garder est de construire une prison sur mesure. Bourganeuf qui est alors une grosse commanderie hospitalière va abriter cette prison. Une tour monumentale de 33 mètres de haut et de 7 étages construite en seulement deux ans entre 1484 et 1486 ! C'est que le prince ne voyage pas seul. Il est entouré de 37 de ses suivants : les membres de sa cour, conseillers, gardes, esclaves etc…

"Au sein de la tour on trouve au sous-sol une cave et un puits pour l'alimentation en eau. Au premier, des cuisines qui communiquent avec la cave. Au second, l'entrée et les logements des serviteurs. Les troisième et quatrième étages constituent le "duplex" du prince. Au-dessus les chevaliers de l'Ordre, chargés de le garder et au dernier étage des artisans au service du prince" décrit Nathalie Manaud en charge de l'animation à l'office de tourisme Creuse Sud-Ouest qui fait visiter la tour.

"Tout est relatif mais pour l'époque les conditions de détention n'étaient pas les pires. Il semble que les appartements du prince étaient décorés de peintures. Il y avait des latrines à tous les étages ce qui n'était pas forcément l'apanage de tous les logis de l'époque. A chaque niveau une grande salle, mais aussi des petites pièces pour loger les occupants" ajoute encore la guide de la tour.

Vu son importance, le prince est très surveillé. On lui permettait dans un premier temps d'aller chasser. Des "déplacements dérogatoires" (on n'a pas encore retrouvé trace d'attestations avec les petites cases à cocher sur un parchemin !), révoqués à la suite de plusieurs tentatives d'évasion. Le confinement est donc devenu plus sévère (en plus il n'y avait pas Netflix...)
 



"La venue de ce prince étranger en France a fait naître énormément de légendes et de fantasmes. On rapporte notamment qu'il avait des maîtresses, un harem à disposition ce qui est très certainement exagéré. Néanmoins, on sait qu'il souffrait des conditions de sa détention. Il passait certainement son temps à jouer à des jeux comme les échecs. Certaines sources disent qu'il avait aussi des animaux et notamment un singe et un perroquet comme compagnons de confinement. C'était un lettré, d'une culture assez raffinée et il n'avait pas trop d'interlocuteurs de son niveau parmi ses geôliers. Il écrivait de la poésie " relate Nathalie Manaud.

"Je me suis intéressé à Zizim justement pour ce côté poète. C'était un adepte du soufisme, un islam philosophique, spirituel, plutôt doux. En totale opposition avec l'islam pratiqué par son frère Bajazet" confirme Jean-Marie Chevrier.

La fin de l'histoire est assez loin du happy end. Après moult tractations avec le pape Innocent VIII, Pierre d'Aubusson finit par échanger le prince Djem contre un chapeau de cardinal et une rente d'un quart de l'indemnité versée par Bajazet. Djem se retrouve donc à Rome et ses conditions de détention s'adoucissent un peu pendant 5 ans.

 


Djem, prisonnier des Borgia

A la mort d'Innocent VIII, c'est Rodrigo Borgia (cf. la série Borgia pour les sériephiles) qui lui succède et devient pape sous le nom d'Alexandre VI. Après la tour Zizim de Bourganeuf, Djem monte en gamme mais pas forcément en confort et se retrouve emprisonné au château Saint-Ange à Rome. Bajazet aurait alors demandé à Alexandre VI de supprimer son frère.

Parallèlement, le nouveau roi de France Charles VIII approche aussi le pape pour récupérer la garde de Djem et la coquette indemnité qui va avec. Il finit même par l'enlever et l'emmène avec lui dans sa campagne militaire italienne. Il ne profitera pas longtemps de sa compagnie puisque Djem meurt subitement à Naples à l'âge de 35 ans dans la nuit du 24 au 25 février 1495.

La thèse de l'empoisonnement est la plus probable. Empoisonné par qui ? De réputation sulfureuse, les Borgia sont connus pour être des empoisonneurs notoires. Ont-ils exécuté la volonté de Bajazet, ou celui-ci est-il parvenu à éliminer son frère et à faire définitivement disparaître la menace de son retour par d'autres voies ? Difficile de mener l'enquête 500 ans après…

Toujours est-il que l'incursion de ce prince ottoman en France a laissé des traces et sinon lancé mais du moins a contribué à la mode de l'orientalisme.

"Sa personnalité a séduit autant les écrivains romantiques, tels qu’Alphonse de Lamartine ou George Sand, ou des poètes comme l’occitaniste Paul-Louis Grenier, et a servi de terreau à nombre de  légendes et de récits romanesques" confirme Jean-Marie Allard, bibliothécaire et médiéviste qui est en préparation d'un ouvrage sur les Templiers et Hospitaliers dans la Creuse qui sera publié par la Société des Sciences naturelles, archéologiques et historiques de la Creuse dans sa collection des "Etudes creusoises", peut-être à l'automne 2020.  

 
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