Depuis 2018, le nombre de démantèlements de trafic de drogue explose dans la Creuse. Le procureur de la République de Guéret, Bruno Sauvage, a fait de la lutte contre les stupéfiants une de ses priorités. Dans cette circonscription, la continuité de la chaîne pénale est facilitée par la proximité.
Pendant longtemps, on a cru que la drogue épargnait les campagnes, à tort. "Les gens sont les yeux et les oreilles des gendarmes", explique Kévin Portelli, Maréchal des logis-chef, Officier de police judiciaire à la brigade de Chambon-sur-Voueize. Une réalité qui peut aider sur des affaires de stupéfiants. "Des gens, des fois, vont aux champignons et trouvent des stupéfiants dans la forêt, ça peut arriver", poursuit-il.
La Creuse, vaste paysage avec ses 22 habitants au km2, a gardé son authenticité et une certaine quiétude. Trois-cents gendarmes sont répartis dans l’ensemble du département. Et parfois, un simple contrôle routier permet de découvrir des stupéfiants. C’est ce qu’il s’est passé en juillet dernier :
Au moment de prendre les papiers, on a vu qu’il y avait des rougeurs oculaires sur la personne, des signes distinctifs de la prise de stupéfiants. Le dépistage au cannabis s’est révélé positif. On a ouvert une enquête de flagrance, on s’est rendu à son domicile pour faire une perquisition. On a découvert 131 pieds d’herbe de cannabis. Il y avait tout le sous-sol de la maison qui était aménagé en culture. Il y a en avait, à peu près, pour 3000 euros de matériel. Donc c’est un réel investissement de la personne. Maintenant, ce qui est compliqué, c’est de déterminer le trafic.
Pour chaque affaire importante, la brigade de recherche de Guéret est alertée. Selon les cas, elle peut se saisir de l’enquête ou apporter son soutien logistique. Plusieurs trafics ont ainsi été démantelés ces dernières années : à Aubusson ou encore la Souterraine.
Mais ce genre de dossier reste rare. "Nous avons essentiellement aujourd’hui une consommation domestique, avec des individus qui cultivent des plans de cannabis dans leur propre jardin. Cela ne conduit pas nécessairement à de la revente ou à une volonté de faire de l’argent en revendant de l’herbe de cannabis", Colonel Eric Cabioch, commandant du groupement de gendarmerie de La Creuse
Inquiétude des habitants
A Guéret, 13 000 habitants, chef-lieu du département, on ne trouve pas de point de deal important comme dans les cités. Les échanges discrets se font un peu partout. Mais dans le quartier prioritaire de l’Albatros, les trafics sont plus présents et empoisonnent la vie de certains habitants.
Il y a des années on pouvait aller se promener à pas d’heure. Maintenant c’est fini. Quand arrive le soir : volets fermés, porte fermée à clef. On ne peut même pas dire qu’on va aller prendre l’air parce qu’il fait beau. On a peur. On ne sait pas comment ils réagissent, il ne faut pas les regarder… Surtout quand la police arrive.
Preuve de cette activité souterraine, le nombre de démantèlement : il est passé de deux en 2017 à 18 en 2019, selon les données du parquet de la Creuse. Treize ont été recensés malgré le confinement.
A l’origine de cette hausse spectaculaire : Bruno Sauvage, le procureur de la République de Guéret, arrivé en Creuse il y a trois ans. Anticipant le plan national de 2019, il a fait de la lutte contre les stupéfiants l’une de ses priorités. "On a parfois un peu de cocaïne, d’héroïne, mais je dirai que 95% c’est du cannabis: soit de l’herbe soit de la résine de cannabis. Le profil type d’un trafiquant : des jeunes de 20 à 30 ans, pas d'emploi, sans revenus... ils se lancent dans le trafic de stupéfiant de cannabis. L’appât du gain, l’argent facile", Bruno Sauvage.
Depuis le tribunal de Guéret, le procureur coordonne les enquêtes avec la police et la gendarmerie. Pour lui, la notion de petits trafics n’existe pas.
Je pense que pour lutter efficacement contre ce fléau il faut un triptyque : prévention, répression et traitement. Le fait que le département soit très petit, tout le monde se connait, on arrive, je pense, dans les trois domaines à être assez efficace.
L’AFD pour "bousculer la consommation"
Depuis le 1er septembre 2020, un nouvel outil contre la drogue est né : l'Amende forfaitaire délictuelle (AFD). Sur réquisition du procureur, les gendarmes ou les policiers procèdent à des contrôles ciblés et aléatoires dans n’importe quels lieux publics. "Ça permet de casser les petits points de trafics. Ça permet surtout de lutter contre la consommation, l’usage de stupéfiants, qui reste un délit. On peut le relever par PV électronique. C’est une amende forfaitaire délictuelle pour les primo usagers de 150 euros", Brigadier-chef Yassine, Chef groupement sécurité-proximité (GPS) de Guéret.
En un an, 167 AFD stupéfiants ont été relevés en Creuse. Dans certains cas, ces procédures permettent d’obtenir des renseignements. Des enquêtes peuvent alors être ouvertes. "Les procédures sont très épaisses, c’est beaucoup de travail et parfois c’est pas le résultat qu’on espérait. La saisie n’est parfois pas à la hauteur de ce qu’on attendait. (...) Il faut avoir les moyens en temps, en personnel, pour planquer, pour faire tous les PV. Il faut être dehors toute la journée, à n’importe quelle heure. C’est compliqué surtout dans les petites structures comme nous", indique Jean-Michel, Major de police, responsable unité locale de police de Guéret
Ces enquêtes durent en moyenne 5 à 6 mois. Dans la circonscription creusoise où la continuité de la chaîne pénale est facilitée par la proximité, le travail des 75 policiers de Guéret va parfois plus vite que dans les grandes villes. C’est l’avantage d’un commissariat à taille humaine. "Dans une petite structure comme la DDSP de la Creuse, les policiers n’ont pas de barrières entre eux. L’information circule très vite et très bien ici", se réjouit Eric Gigou, commissaire divisionnaire et directeur départemental de la sécurité publique de la Creuse (DDSP).
Cette AFD, son principe, c’est de bousculer la consommation. En bousculant la consommation, on va mettre à mal le trafic. S’il n’y a plus de consommateurs, plus de trafic. Ça va être de la qualité de vie pour le voisinage. Des occupations de hall d’immeubles ou de l’espace public qui cesseront bien forcément. Des gens qui ne commettront plus d’infractions pour pouvoir se payer leurs produits.
"Le cannabis, c’est juste la face visible de l’iceberg"
Pour lutter contre l’usage et le trafic de drogue il y a aussi la prévention. C’est le rôle d’Addictions France. L’association est implantée à Guéret depuis presque 60 ans. "Le mode de consommation a changé et les gens sont plus décomplexés vis-à-vis de leur consommation. (…) Souvent, d’ailleurs, en collège, en lycée et parfois même en entreprise on est obligé de rappeler que c’est 0 plan de cannabis à la maison même pour la beauté de la plante", souligne Marie-Pierre Dunet, animatrice de prévention et formatrice à l'association "Addictions France".
Depuis 2007 l’association organise des stages "stups", une alternative aux poursuites pénales. Durant deux jours les personnes sont informées des risques et de la législation. Elles peuvent aussi être orientées vers un parcours de soin. "Au fur et à mesure du stage on se rend compte que des fois le cannabis c’est juste la face visible de l’iceberg et que derrière il y a d’autres choses. Souvent, ils ont réfléchi à leur consommation et à pourquoi ils consommaient et à ce que ça leur apportait", explique Mélanie Barse, animatrice de prévention à "Addictions France".
Des fois, nous, on est juste là pour leur redonner un petit coup de pouce et appuyer là où ils s’étaient déjà interrogés. Et la plupart du temps les gens nous disent : "Ah ouais, j’avais mis un petit peu le doigt, mais là, maintenant, vous venez de me tendre une main et peut être que j’ai envie de la saisir ou pas. Nous, notre but, on propose et après les gens disposent.
Contrairement aux idées reçues, l’âge moyen des participants se situe entre 25 et 40 ans. A la sortie de ces stages 87% d’entre eux pensent réduire ou stopper leur consommation.
En attendant, face à la banalisation de la drogue, le département de la Creuse a réussi à se fédérer en quelques années.