Deux créateurs de meubles se sont installés dans une petite commune rurale des Deux-Sèvres pour créer des meubles de luxe à destination des collectionneurs. Une façon de maintenir en vie l'artisanat et le savoir-faire qui se nichent au sein des campagnes françaises.
Face à une pièce de bois, les voici avec une sensibilité d’esthète : « C’est super ! Que l’on conserve les nœuds et tout ce qui fait le bois, c’est magique ! » Devant Henri Danzin, un plateau en frêne. Tout autour, le vrombissement de la menuiserie en pleine création. Charles de Dainville, son associé, acquiesce, pointant le doigt sur les nervures de ce qui fut un arbre : « Ça, c’est la partie qui nous intéresse, le dialogue entre la partie sombre et la partie claire. »
Le patron de la menuiserie observe les deux designers avec le contentement discret de l’artisan qui voit son travail reconnu. Et la richesse de sa région appréciée.
Henri Danzin, le premier, vient de se pencher sur le plateau de frêne pour mieux en apprécier les détails : « Il n'y a pas de doute, on a vraiment du beau bois dans les Deux-Sèvres. »
Dans la commune de La-Mothe-Saint-Héray, à l’est de Niort, une nouvelle activité (peu commune) est née en mars 2023 : Henri Danzin et Charles de Dainville, diplômés des arts décoratifs à Paris, ont fondé leur maison d’édition Jauh. Prononcez « Djo ». Cela signifie "coq" en patois poitevin. « Notre philosophie, c’est de travailler avec les artisans du territoire pour concevoir des meubles qui seront vendus à une clientèle internationale de collectionneurs », confie Henri Danzin.
Tabouret, table, bibliothèque, ils redessinent les objets du quotidien en version très, mais vraiment très haut de gamme. Une table peut coûter jusqu’à 20 000 euros. « Comme les coûts de production en France sont bien plus élevés qu’en Europe de l’Est ou en Asie, aujourd’hui, la seule façon pour fabriquer du mobilier et pour gagner de l’argent, c’est de le faire dans le luxe », justifie le designer.
Des meubles en bois massif avec un style épuré. « Le bois massif, c’est ce qui nous fait vibrer », s’enthousiasme Charles de Dainville. Nous aimons bien quand on regarde nos pièces que l’on voit l’arbre et le veinage. » Une collection inspirée des années 50 « qui est un peu l’éloge de la diagonale. Nous travaillons à déconstruire les codes des designers. » Ceux-là qui ne jurent que par les lignes droites pour concevoir du mobilier.
Et pour leur atelier de création, ces deux anciens parisiens ont fait un choix radical : « Nous voulons du bois de pays récolté à 5 km autour de la menuiserie », annonce Henri Danzin. « Nous refusons de produire à l’étranger, car pour nous, c’est très important de soutenir l’artisanat français et d’essayer de bâtir un modèle vertueux, dans lequel nous allons tous nous y retrouver. Afin que Jauh se développe et soit encore là dans 10 ans et que les artisans avec lesquels nous travaillons soient encore là dans 200 ans. »
À 10 km de l’atelier des designers à La-Mothe-Saint-Héray, la menuiserie Baron est l’un des partenaires de cette aventure novatrice. Un travail à l’ancienne où les pièces sont assemblées sans colle. « Pour le territoire et l’entreprise, c’est vraiment bien, car cela nous apporte du travail de qualité, de l’estime et cela nous permet d’embaucher », raconte Matthieu Baron, gérant de la menuiserie qui fonctionne en coopérative. Un ébéniste supplémentaire vient rejoindre l’équipe en janvier prochain grâce au travail fourni par Jauh.
« Ici, nous sommes venus chercher une tradition familiale qui existe depuis 150 ans, puisque la menuiserie Baron est dans la même famille depuis 150 ans », détaille Henri Danzin. Et ce sont des ouvriers absolument remarquables et cela nous permet d’avoir le niveau d’excellence dont nous souhaitons pour des meubles qui sont vendus en galerie à une clientèle exigeante. »
Un travail qui a déjà obtenu sa première récompense : une table (celle qui coûte 20 000 euros), vient d’intégrer l’inventaire du Mobilier national.